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pas, moi, et que, si vous m'échauffez la tête, je vous ferai rire d'une autre sorte ?

(Maître Jacques pousse Valère jusqu'au bout du théâtre en le menaçant.)

VALÈRE. Eh! doucement !

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MAITRE JACQUES.

Comment, doucement? Il ne me plaît

pas, moi !

VALÈRE. De grâce!

MAITRE JACQUES. Vous êtes un impertinent.
Monsieur maître Jacques!

VALÈRE.

MAITRE JACQUES.

Il n'y a point de monsieur maître Jacques pour un double 1. Si je prends un bâton, je vous rosserai d'importance.

VALÈRE. Comment! un bâton ?

(Valère le fait reculer autant qu'il l'a fait.)

MAITRE JACQUES. — Eh! je ne parle pas de cela.

VALÈRE. Savez-vous bien, monsieur le fat, que je suis homme à vous rosser vous-même ?

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VALÈRE. Que vous n'êtes, pour tout potage, qu'un faquin de cuisinier ?

MAITRE JACQUES. Je le sais bien.

VALÈRE. Et que vous ne me connaissez pas encore ?

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VALÈRE. - Vous me rosserez, dites-vous ?

MAITRE JACQUES. Je le disais en raillant.

VALÈRE. - Et moi, je ne prends point de goût à votre raillerie. (Il lui donne des coups de bâton.) Apprenez que vous êtes un mauvais railleur.

MAITRE JACQUES, seul. Peste soit la sincérité! c'est un mauvais métier. Désormais j'y renonce, et je ne veux plus dire vrai. Passe encore pour mon maître, il a quelque droit de me battre; mais, pour ce monsieur l'intendant, je m'en vengerai si je puis.

FROSINE.

au logis ?

SCÈNE III FROSINE, MARIANE,
MAITRE JACQUES.

Savez-vous, maître Jacques, si votre maître est

MAITRE JACQUES. Oui, vraiment il y est, je ne le sais que trop!

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Dites-lui, je vous prie, que nous sommes ici.

1. Pièce de monnaie qui valait deux deniers, c'est-à-dire la dixième partie

d'un sou.

SCÈNE IV MARIANE, FROSINE.

MARIANE. Ah! que je suis, Frosine, dans un étrange état ! et, s'il faut dire ce que je sens, que j'appréhende cette vue !

MARIANE.

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FROSINE. Mais pourquoi ? et quelle est votre inquiétude ? Hélas! me le demandez-vous ? et ne vous figurez-vous point les alarmes d'une personne toute prête à voir le supplice où l'on veut l'attacher?

FROSINE. Je vois bien que, pour mourir agréablement, Harpagon n'est pas le supplice que vous voudriez embrasser ; et je connais, à votre mine, que le jeune blondin dont vous m'avez parlé vous revient un peu dans l'esprit.

MARIANE. Oui. C'est une chose, Frosine, dont je ne veux pas me défendre; et les visites respectueuses qu'il a rendues chez nous ont fait, je vous l'avoue, quelque effet dans mon âme. FROSINE. Mais avez-vous su quel il est ?

MARIANE. Non, je ne sais point quel il est; mais je sais qu'il est fait d'un air à se faire aimer; que, si l'on pouvait mettre les choses à mon choix, je le prendrais plutôt qu'un autre, et qu'il ne contribue pas peu à me faire trouver un tourment effroyable dans l'époux qu'on veut me donner.

FROSINE. Mon Dieu, tous ces blondins sont agréables et débitent fort bien leur fait; mais la plupart sont gueux 1 comme des rats, et il vaut mieux pour vous de prendre un vieux mari qui vous donne beaucoup de bien. Je vous avoue que les sens ne trouvent pas si bien leur compte du côté que je dis, et qu'il y a quelques petits dégoûts à essuyer avec un tel époux ; mais cela n'est pas pour durer, et sa mort, croyez-moi, vous mettra bientôt en état d'en prendre un plus aimable qui réparera toutes choses.

MARIANE.

Mon Dieu, Frosine, c'est une étrange affaire lorsque pour être heureuse il faut souhaiter ou attendre le trépas de quelqu'un, et la mort ne suit pas tous les projets que nous faisons.

FROSINE. Vous moquez-vous? Vous ne l'épousez qu'aux conditions de vous laisser veuve bientôt ; et ce doit être là un des articles du contrat. Il serait bien impertinent de ne pas mourir dans trois mois ! Le voici en propre personne.

MARIANE. Ah! Frosine, quelle figure!

SCÈNE V HARPAGON, FROSINE, MARIANE.

HARPAGON. Ne vous offensez pas, ma belle, si je viens à vous avec des lunettes. Je sais que vos appas frappent assez les yeux, sont assez visibles d'eux-mêmes, et qu'il n'est pas

1. Gueux pauvres.

besoin de lunettes pour les apercevoir; mais enfin c'est avec des lunettes qu'on observe les astres, et je maintiens et garantis que vous êtes un astre, mais un astre, le plus bel astre qui soit dans le pays des astres... Frosine, elle ne répond mot et ne témoigne, ce me semble, aucune joie de me voir.

FROSINE.

C'est qu'elle est encore toute surprise; et puis les filles ont toujours honte à témoigner d'abord ce qu'elles ont

dans l'âme.

HARPAGON. Tu as raison. (A Mariane.) Voilà, belle mignonne, ma fille qui vient vous saluer.

SCÈNE VI : ÉLISE, HARPAGON, MARIANE, FROSINE. Je m'acquitte bien tard, madame, d'une telle

MARIANE.

visite.

ÉLISE.

Vous avez fait, madame, ce que je devais faire, et 'était à moi de vous prévenir 1.

HARPAGON. Vous voyez qu'elle est grande; mais mauvaise herbe croît toujours.

MARIANE, bas à Frosine. O l'homme déplaisant !

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Que dit la belle ?

FROSINE. Qu'elle vous trouve admirable.

HARPAGON. C'est trop d'honneur que vous me faites, adorable mignonne.

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Quel animal!

HARPAGON. Je vous suis trop obligé de ces sentiments.
MARIANE, à part. Je n'y puis plus tenir.

--

HARPAGON. Voici mon fils aussi qui vous vient faire la révérence.

MARIANE, à part à Frosine. Ah! Frosine, quelle rencontre ! C'est justement celui dont je t'ai parlé.

FROSINE, à Mariane.

HARPAGON.

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Je vois que vous vous étonnez de me voir de si grands enfants; mais je serai bientôt défait et de l'un et de l'autre.

SCÈNE VII: CLÉANTE, HARPAGON, ÉLISE, MARIANE,

FROSINE.

CLÉANTE. Madame, à vous dire le vrai, c'est ici une aventure où sans doute je ne m'attendais pas, et mon père ne m'a pas peu surpris lorsqu'il m'a dit tantôt le dessein qu'il avait formé.

MARIANE.

Je puis dire la même chose. C'est une rencontre imprévue qui m'a surprise autant que vous, et je n'étais point préparée à une pareille aventure.

1. D'arriver avant vous, de vous saluer la première.

CLÉANTE. Il est vrai que mon père, madame, ne peut pas faire un plus beau choix, et que ce m'est une sensible joie que l'honneur de vous voir; mais, avec tout cela, je ne vous assurerai point que je me réjouis du dessein où vous pourriez être de devenir ma belle-mère. Le compliment, je vous l'avoue, est trop difficile pour moi; et, c'est un titre s'il vous plaît, que je ne vous souhaite point. Ce discours paraîtra brutal aux yeux de quelques-uns; mais je suis assuré que vous serez personne à le prendre comme il faudra; que c'est un mariage, madame, où vous vous imaginez bien que je dois avoir de la répugnance; que vous n'ignorez pas, sachant ce que je suis, comme il choque mes intérêts; et que vous voulez bien enfin que je vous dise, avec la permission de mon père, que, si les choses dépendaient de moi, cet hymen ne se ferait point.

HARPAGON.

Voilà un compliment bien impertinent ! Quelle

belle confession à lui faire !

MARIANE.

1

Et moi, pour vous répondre, j'ai à vous dire que les choses sont fort égales et que, si vous auriez de la répugnance à me voir votre belle-mère, je n'en aurais pas moins sans doute à vous voir mon beau-fils. Ne croyez pas, je vous prie, que ce soit moi qui cherche à vous donner cette inquiétude. Je serais fort fâchée de vous causer du déplaisir, et, si je ne m'y vois forcée par une puissance absolue, je vous donne ma parole que je ne consentirai point au mariage qui vous chagrine.

HARPAGON. Elle a raison. A sot compliment il faut une réponse de même. Je vous demande pardon, ma belle, de l'impertinence de mon fils. C'est un jeune sot qui ne sait pas encore la conséquence des paroles qu'il dit.

MARIANE. Je vous promets que ce qu'il m'a dit ne m'a point du tout offensée; au contraire, il m'a fait plaisir de m'expliquer ainsi ses véritables sentiments. J'aime de lui un aveu de la sorte; et, s'il avait parlé d'autre façon, je l'en estimerais bien moins.

HARPAGON.

C'est beaucoup de bonté à vous de vouloir ainsi excuser ses fautes. Le temps le rendra plus sage, et vous verrez qu'il changera de sentiments.

CLÉANTE. Non, mon père, je ne suis pas capable d'en changer; et je prie instamment madame de le croire.

HARPAGON.

encore plus fort. CLÉANTE.

HARPAGON.

cours?

Mais voyez quelle extravagance! il continue

Voulez-vous que je trahisse mon cœur ?

Encore! Avez-vous envie de changer de dis

CLÉANTE. Hé bien, puisque vous voulez que je parle d'autre façon, souffrez, madame, que je me mette ici à la place de mon père, et que je vous avoue que je n'ai rien vu dans le monde de si charmant que vous; que je ne conçois rien d'égal au

1. Nous pensons de même.

bonheur de vous plaire, et que le titre de votre époux est une gloire, une félicité, que je préférerais aux destinées des plus grands princes de la terre. Oui, madame, le bonheur de vous posséder est à mes regards la plus belle de toutes les fortunes; c'est où j'attache toute mon ambition. Il n'y a rien que je ne sois capable de faire pour une conquête si précieuse; et les obstacles les plus puissants...

HARPAGON. Doucement, mon fils, s'il vous plaît.

CLÉANTE. madame.

HARPAGON.

--

C'est un compliment que je fais pour vous à

Mon Dieu, j'ai une langue pour m'expliquer moi-même, et n'ai pas besoin d'un procureur comme vous. Allons, donnez des sièges.

FROSINE. Non. Il vaut mieux que de ce pas nous allions à la foire, afin d'en revenir plus tôt et d'avoir tout le temps ensuite de vous entretenir.

HARPAGON.

Qu'on mette donc les chevaux au carrosse. Je vous prie de m'excuser, ma belle, si je n'ai pas songé à vous donner un peu de collation avant que de partir.

CLÉANTE. J'y ai pourvu, mon père, et j'ai fait apporter ici quelques bassins d'oranges de la Chine, de citrons doux et de confitures, que j'ai envoyé querir de votre part.

HARPAGON, bas, à Valère. Valère !

VALÈRE, à Harpagon. Il a perdu le sens.

CLÉANTE.

Est-ce que vous trouvez, mon père, que ce ne soit pas assez? Madame aura la bonté d'excuser cela, s'il lui plaît.

MARIANE. - C'est une chose qui n'était pas nécessaire. CLÉANTE. Avez-vous jamais vu, madame, un diamant plus vif que celui que vous voyez que mon père a au doigt ? MARIANE. Il est vrai qu'il brille beaucoup.

CLÉANTE, l'ôtant du doigt de son père et le donnant à Mariane. Il faut que vous le voyiez de près.

MARIANE. Il est fort beau, sans doute, et jette quantité de feux.

CLÉANTE, se mettant au-devant de Mariane, qui le veut rendre. Nenni. Madame, il est en de trop belles mains. C'est un présent que mon père vous a fait.

HARPAGON. Moi ?

CLÉANTE.

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N'est-il pas vrai, mon père, que vous voulez que madame le garde pour l'amour de vous ? HARPAGON, à part, à son fils. Comment!

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Belle demande ! Il me fait signe de vous le faire

accepter.

1. Procureur: intermédiaire, interprète.

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