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pas la première qui ait su recourir à de pareilles vengeances, qui n'ait pas fait difficulté de se donner la mort pour perdre ceux qui ont la cruauté de nous pousser à la dernière extrémité.

GEORGE DANDIN.

Je suis votre valet. On ne s'avise plus de se tuer soi-même, et la mode en est passée il y a longtemps.

ANGÉLIQUE. C'est une chose dont vous pouvez vous tenir sûr; et, si vous persistez dans votre refus, si vous ne me faites ouvrir, je vous jure que tout à l'heure je vais vous faire voir jusques où peut aller la résolution d'une personne qu'on met au désespoir.

GEORGE DANDIN.

faire peur.

Bagatelles, bagatelles ! C'est pour me

ANGÉLIQUE. Hé bien, puisqu'il le faut, voici qui nous contentera tous deux et montrera si je me moque. Äh! c'en est fait. Fasse le ciel que ma mort soit vengée comme je le souhaite, et que celui qui en est cause reçoive un juste châtiment de la dureté qu'il a eue pour moi !

GEORGE DANDIN.

Ouais! serait-elle bien si malicieuse que de s'être tuée pour me faire pendre ? Prenons un bout de chandelle pour aller voir.

ANGÉLIQUE.

St! Paix. Rangeons-nous chacune immédia

tement contre un des côtés de la porte.

GEORGE DANDIN.

bien jusque là ?

La méchanceté d'une femme irait-elle

(Il sort avec un bout de chandelle sans les apercevoir; elles entrent, aussitôt elles ferment la porte.)

Il n'y a personne. Eh! je m'en étais bien douté, et la pendarde s'est retirée, voyant qu'elle ne gagnait rien après moi, ni par prières ni par menaces. Tant mieux, cela rendra ses affaires encore plus mauvaises, et le père et la mère, qui vont venir, en verront mieux son crime. Ah! ah! la porte s'est fermée. Holà ! ho! quelqu'un! Qu'on m'ouvre promptement.

ANGÉLIQUE, à la fenêtre avec Claudine. - Comment, c'est toi ? D'où viens-tu, bon pendard? Est-il l'heure de revenir chez soi quand le jour est prêt de paraître, et cette manière de vie est-elle celle que doit suivre un honnête mari ?

CLAUDINE. Cela est-il beau d'aller ivrogner toute la nuit, et de laisser ainsi toute seule une pauvre jeune femme dans la maison ?

GEORGE DANDIN. Comment! vous avez...

ANGÉLIQUE.

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Va, va, traître, je suis lasse de tes déportements. et je m'en veux plaindre sans plus tarder à mon père et à ma mère.

GEORGE DANDIN. - Quoi ! c'est ainsi que vous osez...

SCÈNE VII: MONSIEUR ET MADAME DE SOTENVILLE, COLIN, CLAUDINE, ANGÉLIQUE, GEORGE DANDIN.

(Monsieur et madame de Sotenville sont en des habits de nuit, et conduits par Colin, qui porte une lanterne.)

ANGÉLIQUE. Approchez, de grâce, et venez me faire raison de l'insolence la plus grande du monde, d'un mari à qui le vin et la jalousie ont troublé de telle sorte la cervelle qu'il ne sait plus ni ce qu'il dit ni ce qu'il fait, et vous a lui-même envoyé querir pour vous faire témoin de l'extravagance la plus étrange dont on ait jamais ouï parler. Le voilà qui revient, comme vous voyez, après s'être fait attendre toute la nuit ; et, si vous voulez l'écouter, il vous dira qu'il a les plus grandes plaintes du monde à vous faire de moi ; que, durant qu'il dormait, je me suis dérobée d'auprès de lui pour m'en aller courir, et cent autres contes de même nature qu'il est allé rêver.

GEORGE DANDIN, à part.

Voilà une méchante carogne !

CLAUDINE. Oui, il nous a voulu faire accroire qu'il était dans la maison, et que nous en étions dehors; et c'est une folie qu'il n'y a pas moyen de lui ôter de la tête.

MONSIEUR DE SOTENVILLE.

cela ?

MADAME DE SOTENVILLE.

de nous envoyer querir.

GEORGE DANDIN. - Jamais...

ANGÉLIQUE.

Comment qu'est-ce à dire

Voilà une furieuse impudence que

Non, mon père, je ne puis plus souffrir un mari de la sorte. Ma patience est poussée à bout, et il vient de me dire cent paroles injurieuses.

MONSIEUR DE SOTENVILLE. honnête homme.

Corbleu vous êtes un mal

CLAUDINE. C'est une conscience de voir une pauvre jeune femme traitée de la façon, et cela crie vengeance au ciel.

GEORGE DANDIN. - Peut-on...

MADAME DE SOTENVILLE.

honte.

GEORGE DANDIN.

ANGÉLIQUE.

conter de belles !

GEORGE DANDIN.

CLAUDINE.

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Laissez-moi vous dire deux mots.

Vous n'avez qu'à l'écouter, il va vous en

Je désespère.

Il a tant bu que je ne pense pas qu'on puisse durer contre lui, et l'odeur du vin qu'il souffle est montée jusqu'à nous.

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GEORGE DANDIN. Madame, je vous prie...

MADAME DE SOTENVILLE.

haleine est empestée.

GEORGE DANDIN.

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Fi! ne m'approchez pas; votre

Retirez-vous, vous dis-je; on

Souffrez que je vous...

MONSIEUR DE SOTENVILLE.

ne peut vous souffrir.

GEORGE DANDIN. Permettez, de grâce, que...

MADAME DE SOTENVILLE. Pouah! vous m'engloutissez le cœur. Parlez de loin, si vous voulez.

GEORGE DANDIN. Hé bien! oui, je parle de loin. Je vous jure que je n'ai bougé de chez moi, et que c'est elle qui est sortie. ANGÉLIQUE. — Ne voilà pas ce que je vous ai dit ?

CLAUDINE. Vous voyez quelle apparence il y a.

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MONSIEUR DE SOTENVILLE. Allez. Vous vous moquez des gens. Descendez, ma fille, et venez ici.

GEORGE DANDIN.

et que...

- J'atteste le ciel que j'étais dans la maison,

MADAME DE SOTENVILLE.

gance qui n'est pas supportable.

Taisez-vous, c'est une extrava

GEORGE DANDIN. Que la foudre m'écrase tout à l'heure si... MONSIEUR DE SOTENVILLE. Ne nous rompez pas davantage la tête, et songez à demander pardon à votre femme.

GEORGE DANDIN. Moi, demander pardon?

MONSIEUR DE SOTENVILLE. Oui, pardon, et sur-le-champ.

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MONSIEUR DE SOTENVILLE. Corbleu si vous me répliquez, je vous apprendrai ce que c'est que de vous jouer à nous. GEORGE DANDIN. - Ah! George Dandin !

MONSIEUR DE SOTENVILLE.

mari vous demande pardon. ANGÉLIQUE, descendue.

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Moi ? lui pardonner tout ce qu'il

m'a dit? Non, non, mon père, il m'est impossible de m'y résoudre, et je vous prie de me séparer d'un mari avec lequel je ne saurais plus vivre.

CLAUDINE. Le moyen d'y résister?

MONSIEUR DE SOTENVILLE.

Ma fille, de semblables séparations ne se font point sans grand scandale, et vous devez vous montrer plus sage que lui et patienter encore cette fois.

ANGÉLIQUE. Comment patienter après de telles indignités ? Non, mon père, c'est une chose où je ne puis consentir.

MONSIEUR DE SOTENVILLE.

qui vous le commande.

Il le faut, ma fille, et c'est moi

ANGÉLIQUE. Ce mot me ferme la bouche, et vous avez sur moi une puissance absolue.

CLAUDINE. Quelle douceur !

ANGÉLIQUE.

Il est fâcheux d'être contraint d'oublier de telles injures; mais, quelle violence que je me fasse, c'est à moi de vous obéir.

CLAUDINE. Pauvre mouton !

MONSIEUR DE SOTENVILLE.

ANGÉLIQUE.

Approchez.

Tout ce que vous me faites faire ne servira

de rien, et vous verrez que ce sera dès demain à recommencer. Nous y donnerons ordre. Allons,

MONSIEUR DE SOTENVILLE.

mettez-vous à genoux.

GEORGE DANDIN.

A genoux ?

MONSIEUR DE SOTENVILLE.

Oui, à genoux, et sans tarder. GEORGE DANDIN, il se met à genoux. O ciel! Que faut-il dire?

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GEORGE DANDIN. Madame, je vous prie de me pardonner. MONSIEUR DE SOTENVILLE. «L'extravagance que j'ai faite. » L'extravagance que j'ai faite... (à part)

GEORGE DANDIN.

de vous épouser.

MONSIEUR DE SOTENVILLE.

vivre à l'avenir. »>

GEORGE DANDIN. l'avenir.

Et je vous promets de mieux

Et je vous promets de mieux vivre à

MONSIEUR DE SOTENVILLE. Prenez-y-garde, et sachez que c'est ici la dernière de vos impertinences que nous souffrirons.

MADAME DE SOTENVILLE. - Jour de Dieu! si vous y retournez, on vous apprendra le respect que vous devez à votre femme et à ceux de qui elle sort.

MONSIEUR DE SOTENVILLE. Voilà le jour qui va paraître. Adieu. Rentrez chez vous, et songez bien à être sage. Et nous, m'amour, allons nous mettre au lit.

SCÈNE VIII: GEORGE DANDIN.

GEORGE DANDIN.

Ah! je le quitte maintenant 2, et je n'y vois plus de remède. Lorsqu'on a, comme moi, épousé une méchante femme, le meilleur parti qu'on puisse prendre, c'est de s'aller jeter dans l'eau la tête la première.

1. Si vous recommencez.

2. Je le quitte j'y renonce.

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A PARIS, Chez 1 EAN RIBOV, au Palais, vis-à-vis la Porte de l'Eglife de la Sainte Chapelle, à l'Image S. Louis.

M. DC. LXIX.

AVEC PRIVILEGE DV ROY.

TITRE DE L'ÉDITION
ORIGINALE DE 1669.

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