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de venir dire aux grands de certaines choses dont ils ne se soucient pas, et je vous prie de m'excuser.

ÉRIPHILE. Que tu es cruel !

CLITIDAS.

Une autre fois j'aurai la discrétion de ne vous

pas venir interrompre.

ÉRIPHILE.

Ne me tiens point dans l'inquiétude. Qu'est-ce

que tu viens m'annoncer ?

CLITIDAS.

C'est une bagatelle de Sostrate, madame, que je vous dirai une autre fois, quand vous ne serez point embarrassée.

ÉRIPHILE.

Ne me fais point languir davantage, te dis-je,

et m'apprends cette nouvelle.

CLITIDAS.
ÉRIPHILE.

CLITIDAS.

tendait.

ÉRIPHILE.

Vous la voulez savoir, madame ?

Oui, dépêche. Qu'as-tu à me dire de Sostrate ?
Une aventure merveilleuse où personne ne s'at-

Dis-moi vite ce que c'est.

CLITIDAS. Cela ne troublera-t-il point, madame, votre sombre mélancolie ?

ÉRIPHILE. Ah! parle promptement.

CLITIDAS. - J'ai donc à vous dire, madame, que la princesse votre mère passait presque seule dans la forêt, par ces petites routes qui sont si agréables, lorsqu'un sanglier hideux (ces vilains sangliers-là font toujours du désordre, et l'on devrait les bannir des forêts bien policées), lors, dis-je, qu'un sanglier hideux, poussé, je crois, par des chasseurs, est venu traverser la route où nous étions. Je devrais vous faire peut-être, pour orner mon récit, une description étendue du sanglier dont je parle, mais vous vous en passerez s'il vous plaît, et je me contenterai de vous dire que c'était un fort vilain animal. Il passait son chemin, et il était bon de ne lui rien dire, de ne point chercher de noise avec lui; mais la princesse a voulu égayer sa dextérité et de son dard, qu'elle lui a lancé un peu mal à propos, ne lui en déplaise, lui a fait au-dessus de l'oreille une assez petite blessure. Le sanglier, mal morigéné 2, s'est impertinemment détourné contre nous nous étions là deux ou trois misérables qui avons pâli de frayeur; chacun gagnait son arbre, et la princesse, sans défense, demeurait exposée à la furie de la bête, lorsque Sostrate a paru, comme si les dieux l'eussent envoyé.

ÉRIPHILE.

CLITIDAS.

le reste à une ÉRIPHILE.

Hé bien, Clitidas ?

Si mon récit vous ennuie, madame, je remettrai autre fois.

Achève promptement.

1. Chercher noise se dit encore pour chercher querelle à quelqu'un. 2. Mal morigéné par plaisanterie, à qui on avait mal fait la leçon.

CLITIDAS. Ma foi, c'est promptement, de vrai, que j'achèverai, car un peu de poltronnerie m'a empêché de voir tout le détail de ce combat ; et tout ce que je puis vous dire, c'est que, retournant sur la place, nous avons vu le sanglier mort, tout vautré dans son sang, et la princesse, pleine de joie, nommant Sostrate son libérateur et l'époux digne et fortuné que les dieux lui marquaient pour vous. A ces paroles j'ai cru que j'en avais assez entendu, et je me suis hâté de vous en venir, avant tous, apporter la nouvelle.

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Ah! Clitidas, pouvais-tu m'en donner une qui

me pût être plus agréable?

CLITIDAS.

Voilà qu'on vient vous trouver.

SCÈNE II ARISTIONE, SOSTRATE, ÉRIPHILE,

ARISTIONE.

CLITIDAS.

Je vois, ma fille, que vous savez déjà tout ce que nous pourrions vous dire. Vous voyez que les dieux se sont expliqués bien plutôt que nous n'eussions pensé; mon péril n'a guère tardé à nous marquer leurs volontés, et l'on connaît assez que ce sont eux qui se sont mêlés de ce choix, puisque le mérite tout seul brille dans cette préférence. Aurez-vous quelque répugnance à récompenser de votre cœur celui à qui je dois la vie, et refuserez-vous Sostrate pour époux ?

ÉRIPHILE.

Et de la main des dieux et de la vôtre, madame, je ne puis rien recevoir qui ne me soit fort agréable.

SOSTRATE. Ciel n'est-ce point ici quelque songe tout plein de gloire dont les dieux me veuillent flatter, et quelque réveil malheureux ne me replongera-t-il point dans la bassesse de ma fortune?

SCÈNE III CLÉONICE, ARISTIONE, SOSTRATE, ÉRIPHILE, CLITIDAS.

CLÉONICE. Madame, je viens vous dire qu'Anaxarque a jusqu'ici abusé l'un et l'autre prince par l'espérance de ce choix qu'ils poursuivent depuis longtemps, et qu'au bruit qui s'est répandu de votre aventure, ils ont fait éclater tous deux leur ressentiment contre lui jusque-là que, de paroles en paroles, les choses se sont échauffées, et il en a reçu quelques blessures dont on ne sait pas bien ce qui arrivera. Mais les voici.

SCÈNE IV: IPHICRATE, TIMOCLÈS, CLÉONICE, ARISTIONE, SOSTRATE, ÉRIPHILE, CLITIDAS.

ARISTIONE. Princes, vous agissez tous deux avec une violence bien grande; et, si Anaxarque a pu vous offenser, j'étais pour vous en faire justice moi-même.

IPHICRATE. Et quelle justice, madame, auriez-vous pu nous faire de lui, si vous la faites si peu à notre rang dans le choix que vous embrassez ?

ARISTIONE.

Ne vous êtes-vous pas soumis l'un et l'autre

à ce que pourraient décider ou les ordres du ciel ou l'inclination de ma fille ?

TIMOCLÈS.

Oui, madame, nous nous sommes soumis à ce qu'ils pourraient décider entre le prince Iphicrate et moi, mais non pas à nous voir rebutés tous deux.

ARISTIONE.

--

Et, si chacun de vous a bien pu se résoudre à souffrir une préférence, que vous arrive-t-il à tous deux où vous ne soyez préparés ? et que peuvent importer à l'un et à l'autre les intérêts de son rival ?

IPHICRATE. Oui, madame, il importe. C'est quelque consolation de se voir préférer un homme qui vous est égal, et votre aveuglement est une chose épouvantable.

ARISTIONE. Prince, je ne veux pas me brouiller avec une personne qui m'a fait tant de grâce que de me dire des douceurs; et je vous prie, avec toute l'honnêteté qu'il m'est possible, de donner à votre chagrin un fondement plus raisonnable; de vous souvenir, s'il vous plaît, que Sostrate est revêtu d'un mérite qui s'est fait connaître à toute la Grèce, et que le rang où le ciel l'élève aujourd'hui va remplir toute la distance qui était entre lui et vous.

IPHICRATE. Oui, oui, madame, nous nous en souviendrons; mais peut-être aussi vous souviendrez-vous que deux princes outragés ne sont pas deux ennemis peu redoutables.

TIMOCLÈS. Peut-être, madame, qu'on ne goûtera pas longtemps la joie du mépris que l'on fait de nous.

ARISTIONE. - Je pardonne toutes ces menaces aux chagrins d'un amour qui se croit offensé, et nous n'en verrons pas avec moins de tranquillité la fête des jeux Pythiens. Allons-y de ce pas et couronnons par ce pompeux spectacle cette merveilleuse journée.

SIXIÈME INTERMÈDE

QUI EST LA SOLENNITÉ DES JEUX PYTHIENS.

Le théâtre est une grande salle en manière d'amphithéâtre, ouvert d'une grande arcade dans le fond, au-dessus de laquelle est une tribune fermée d'un rideau; et dans l'éloignement paraît un hôtel pour le sacrifice. Six hommes, habillés comme s'ils étaient presque nus, portant chacun une hache sur l'épaule, comme ministres du sacrifice, entrent par le portique, au son des violons, et sont suivis de deux sacrificateurs musiciens, d'une prêtresse musicienne, et leur suite.

LA PRÊTRESSE.

Chantez, peuples, chantez en mille et mille lieux
Du dieu que nous servons les brillantes merveilles ;
Parcourez la terre et les cieux;

Vous ne sauriez chanter rien de plus précieux,
Rien de plus doux pour les oreilles.

UNE GRECQUE.

A ce dieu plein de force, à ce dieu plein d'appas
Il n'est rien qui résiste.

AUTRE GRECQUE.

Il n'est rien ici-bas

Qui par ses bienfaits ne subsiste.

AUTRE GRECQUE.

Toute la terre est triste
Quand on ne le voit pas.

LE CHOEUR.

Poussons à sa mémoire 1
Des concerts si touchants,
Que du haut de sa gloire
Il écoute nos chants.

PREMIÈRE ENTRÉE DE BALLET.

Les six hommes portant les haches font entre eux une danse ornée de toutes les attitudes que peuvent exprimer des gens qui étudient leur force, puis ils se retirent aux deux côtés du théâtre pour faire place à six voltigeurs.

DEUXIÈME ENTRÉE DE BALLET.

Six voltigeurs font paraître en cadence leur adresse sur des chevaux de bois qui sont apportés par des esclaves.

TROISIÈME ENTRÉE DE BALLET.

Quatre conducteurs d'esclaves amènent en cadence douze esclaves qui dansent en marquant la joie qu'ils ont d'avoir recouvré leur liberté.

QUATRIÈME ENTRÉE DE BALLET.

Quatre hommes et quatre femmes armés à la grecque font ensemble une manière de jeu pour les armes.

La tribune s'ouvre; un héraut, six trompettes et un timbalier, se mêlant à tous les instruments, annoncent ayec un grand bruit la venue d'Apollon.

LE CHEUR.

Ouvrons tous nos yeux
A l'éclat suprême
Qui brille en ces lieux.

Quelle grâce extrême !
Quel port glorieux !
Où voit-on des dieux
Qui soient faits de même ?

1. A sa mémoire pour honorer sa mémoire.

Apollon, au bruit des trompettes et des violons, entre par le portique, précédé de six jeunes gens qui portent des lauriers entrelacés autour d'un bâton, et un soleil d'or au-dessus avec la devise royale en manière de trophée. Les six jeunes gens, pour danser avec Apollon, donnent leur trophée à tenir aux six hommes qui portent les haches et commencent avec Apollon une danse héroïque, à laquelle se joignent en diverses manières les six hommes portant les trophées, les quatre femmes armées avec leurs timbres, et les quatre hommes armés avec leurs tambours, tandis que les six trompettes, le timbalier, les sacrificateurs, la prêtresse et le chœur de musique accompagnent tout cela en s'y mêlant par diverses reprises, ce qui finit la fête des jeux Pythiens et tout le divertissement.

CINQUIÈME ET DERNIÈRE ENTRÉE DE BALLET.

APOLLON ET SIX JEUNES GENS DE SA SUITE.
CHOEUR DE MUSIQUE.

Pour LE ROI, représentant LE Soleil.

Je suis la source des clartés,
Et les astres les plus vantés

Dont le beau cercle m'environne
Ne sont brillants et respectés
Que par l'éclat que je leur donne.
Du char où je me puis asseoir,
Je vois le désir de me voir
Posséder la nature entière,
Et le monde n'a son espoir
Qu'aux seuls bienfaits de ma lumière.
Bienheureuses de toutes parts
Et pleines d'exquises richesses
Les terres où de mes regards
J'arrête les douces caresses.

Pour monsieur le Grand, suivant d'APOLLON.

Bien qu'auprès du Soleil tout autre éclat s'efface,
S'en éloigner pourtant n'est pas ce que l'on veut ;
Et vous voyez bien, quoi qu'il fasse,

Que l'on s'en tient toujours le plus près que l'on peut.

Pour le marquis de Villeroi, suivant d'APOLLON.
De notre maître incomparable

Vous me voyez inséparable,

Et le zèle puissant qui m'attache à ses vœux
Le suit parmi les eaux, le suit parmi les feux.

Pour le marquis DE RASSENT, suivant d'APOLLON.
Je ne serai pas vain quand je ne croirai pas
Qu'un autre mieux que moi suive partout ses pas.

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