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SBRIGANI.

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Ne perdez point de temps. Je vous aime tant que je voudrais que vous fussiez déjà bien loin. (Seul.) Que le ciel te conduise! Par ma foi, voilà une grande dupe. Mais voici...

SCÈNE VI ORONTE, SBRIGANI.

SBRIGANI, feignant de ne pas voir Oronte. Ah! quelle étrange aventure! quelle fâcheuse nouvelle pour un père! Pauvre Oronte, que je te plains! Que diras-tu, et de quelle façon pourras-tu supporter cette douleur mortelle ?

ORONTE. - Qu'est-ce ? Quel malheur me présages-tu ?

SBRIGANI.

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Ah! monsieur, ce perfide de Limosin, ce traître de monsieur de Pourceaugnac, vous enlève votre fille. ORONTE. Il m'enlève ma fille !

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SBRIGANI. Oui, elle en est devenue si folle qu'elle vous quitte pour le suivre; et l'on dit qu'il a un caractère pour se faire aimer de toutes les femmes.

ORONTE. Allons, vite à la justice! Des archers après eux !

SCÈNE VII: ÉRASTE, JULIE, SBRIGANI, ORONTE.

ÉRASTE. Allons, vous viendrez malgré vous, et je veux vous remettre entre les mains de votre père. Tenez, monsieur, voilà votre fille, que j'ai tirée de force d'entre les mains de l'homme avec qui elle s'enfuyait; non pas pour l'amour d'elle, mais pour votre seule considération 1: car, après l'action qu'elle a faite, je dois la mépriser et me guérir absolument de l'amour que j'avais pour elle.

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-

Ah! infâme que tu es !

ÉRASTE. Comment! me traiter de la sorte après toutes les marques d'amitié que je vous ai données! Je ne vous blâme point de vous être soumise aux volontés de monsieur votre père : il est sage et judicieux dans les choses qu'il fait, et je ne me plains point de lui de m'avoir rejeté pour un autre. S'il a manqué à la parole qu'il m'avait donnée, il a ses raisons pour cela. On lui a fait croire que cet autre est plus riche que moi de quatre ou cinq mille écus; et quatre ou cinq mille écus est un denier considérable, et qui vaut bien la peine qu'un homme manque à sa parole. Mais oublier en un moment toute l'ardeur que je vous ai montrée, vous laisser d'abord enflammer d'amour pour un nouveau venu, et le suivre honteusement sans le consentement de monsieur votre père, après les crimes qu'on lui impute ! c'est une chose condamnée de tout le monde, et dont mon cœur ne peut vous faire d'assez sanglants reproches.

JULIE. Hé bien, oui, j'ai conçu de l'amour pour lui, et je l'ai voulu suivre, puisque mon père me l'avait choisi pour époux.

1. Pour votre seule considération seulement par respect pour vous.

Quoi que vous me disiez, c'est un fort honnête homme, et tous les crimes dont on l'accuse sont faussetés épouvantables.

ORONTE.

Taisez-vous; vous êtes une impertinente, et je

sais mieux que vous ce qui en est.

JULIE. Ce sont sans doute des pièces qu'on lui fait 1, et c'est peut-être lui qui a trouvé cet artifice pour vous en dégoûter.

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ORONTE.

--

Taisez-vous, vous dis-je ; vous êtes une sotte.

ÉRASTE. Non, non; ne vous imaginez pas que j'aie aucune envie de détourner ce mariage, et que ce soit ma passion qui m'ait forcé à courir après vous. Je vous l'ai déjà dit, ce n'est que la seule considération que j'ai pour monsieur votre père, et je n'ai pu souffrir qu'un honnête homme comme lui fût exposé à la honte de tous les bruits qui pourraient suivre une action comme la vôtre.

ORONTE.

- Je vous suis, seigneur Eraste, infiniment obligé. ÉRASTE. Adieu, monsieur. J'avais toutes les ardeurs du monde d'entrer dans votre alliance; j'ai fait tout ce que j'ai pu pour obtenir un tel honneur ; mais j'ai été malheureux, et vous ne m'avez pas jugé digne de cette grâce. Cela n'empêchera pas que je ne conserve pour vous les sentiments d'estime et de vénération où votre personne m'oblige; et, si je n'ai pu être votre gendre, au moins serai-je éternellement votre serviteur.

ORONTE.

Arrêtez, seigneur Eraste; votre procédé me touche

l'âme, et je vous donne ma fille en mariage.

-

Je ne veux point d'autre mari que monsieur de

JULIE. Pourceaugnac.

ORONTE. Et je veux, moi, tout à l'heure, que tu prennes le seigneur Eraste. Čà, la main.

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Non, je n'en ferai rien.

- Je te donnerai sur les oreilles.

Non, non, monsieur, ne lui faites point de violence,

je vous en prie.

ORONTE.

maître.

ERASTE.

C'est à elle à m'obéir, et je sais me montrer le

Ne voyez-vous pas l'amour qu'elle a pour cet homme-là? et voulez-vous que je possède un corps dont un autre possédera le cœur ?

ORONTE.

C'est un sortilège qu'il lui a donné, et vous verrez qu'elle changera de sentiment avant qu'il soit peu. Donnez-moi votre main. Allons.

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1. Des pièces qu'on lui fait des tours qu'on lui joue.

ORONTE.

Ah ah ah !

Ah! que de bruit ! Cà, votre main, vous dis-je.

ERASTE, à Julie. Ne croyez pas que ce soit pour l'amour de vous que je vous donne la main; ce n'est que monsieur votre père dont je suis amoureux, et c'est lui que j'épouse.

ORONTE. Je vous suis beaucoup obligé, et j'augmente de dix mille écus le mariage de ma fille. Allons, qu'on fasse venir le notaire pour dresser le contrat.

ÉRASTE. En attendant qu'il vienne, nous pouvons jouir du divertissement de la saison et faire entrer les masques que le bruit des noces de M. de Pourceaugnac a attiré ici de tous les endroits de la ville.

SCÈNE VIII: PLUSIEURS MASQUES de toutes les manières, dont les uns occupent plusieurs balcons, et les autres sont dans la place, qui, par plusieurs chansons et diverses danses et jeux, cherchent à se donner des plaisirs innocents.

UNE ÉGYPTIENNE.

Sortez, sortez de ces lieux,
Soucis, chagrins et tristesse ;
Venez, venez, ris et jeux,
Plaisirs, amour et tendresse.
Ne songeons qu'à nous réjouir!
La grande affaire est le plaisir.

CHOEUR DE MUSICIENS.

Ne songeons qu'à nous réjouir !
La grande affaire est le plaisir.

L'ÉGYPTIENNE.

A me suivre tous ici

Votre ardeur est non commune,
Et vous êtes en souci

De votre bonne fortune:

Soyez toujours amoureux,

C'est le moyen d'être heureux.
UN ÉGYPTIEN.

Aimons jusques au trépas,
La raison nous y convie.
Hélas! si l'on n'aimait pas,
Que serait-ce de la vie?
Äh! perdons plutôt le jour
Que de perdre notre amour.
(Tous deux en dialogue.)
L'ÉGYPTIEN.

Les biens,

L'ÉGYPTIENNE.
La gloire,

L'ÉGYPTIEN.

Les grandeurs,

L'ÉGYPTIENNE.

Les sceptres, qui font tant d'envie,
L'ÉGYPTIEN.

Tout n'est rien, si l'amour n'y mêle ses ardeurs.
L'ÉGYPTIENNE.

Il n'est point, sans l'amour, de plaisir dans la vie.

TOUS DEUX ENSEMBLE.

Soyons toujours amoureux

C'est le moyen d'être heureux.

LE PETIT CHŒUR chante après ces deux derniers vers: Sus, sus, chantons tous ensemble, Dansons, sautons, jouons-nous.

UN MUSICIEN, seul.

Lorsque pour rire on s'assemble,
Les plus sages, ce me semble,
Sont ceux qui sont les plus fous.
TOUS, ensemble.

Ne songeons qu'à nous réjouir,
La grande affaire est le plaisir.

LES

AMANTS MAGNIFIQUES

Comédie- 1670

NOTICE HISTORIQUE ET ANALYTIQUE

L'avant-propos indique les circonstances où fut composée cette pièce et le sujet lui-même. La première représentation fit partie du divertissement royal donné à Saint-Germain le 7 septembre 1670 il n'y eut pas de représentation publique, et Voltaire fait avec raison remarquer que les Amants magnifiques ne pouvaient réussir qu'à la cour, et surtout par les accompagnements de chants et de danse.

L'analyse, acte par acte, en est inutile, car il n'y a pas d'intrigue : il s'agit d'une princesse recherchée par deux prétendants qui s'efforcent de lui plaire en multipliant pour elle la magnificence des spectaclès et des fêtes c'est l'occasion des ballets et des intermèdes qui font à peu près toute l'action. A la fin la princesse préfère à ses amants magnifiques le général Sostrate, qui l'aime sans avoir osé lui avouer son amour. Il y a cependant un plaisant personnage d'astrologue qui se joue de la crédulité des deux princes et fournit le seul élément comique de la pièce.

On a souvent rapproché le sujet des Amants magnifiques du Don Sanche de Corneille.

AVANT-PROPOS

Le roi, qui ne veut que des choses extraordinaires dans tout ce qu'il entreprend, s'est proposé de donner à sa cour un divertissement qui fût composé de tous ceux que le théâtre peut fournir; et, pour embrasser cette vaste idée et enchaîner ensemble tant de choses diverses, SA MAJESTÉ a choisi pour sujet deux princes rivaux, qui, dans le champêtre séjour de la vallée de Tempé, où l'on doit célébrer la fête des jeux Pythiens, régalent à l'envi une jeune princesse et sa mère de toutes les galanteries dont ils se peuvent aviser.

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