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Si ma force première encor m'était donnée,
J'irais te conduisant moi-même par la main;
Mais je n'atteindrais pas la troisième journée;

Il faudrait me laisser bientôt sur ton chemin ;
Et moi je veux mourir aux lieux où je suis née.
Maintenant de ta mère entends le dernier vœu:

Souviens-toi, si tu veux que Dieu ne t'abandonne, Que le seul bien du pauvre est le peu qu'on lui donne; Prie, et demande au riche, il donne au nom de Dieu; Ton père le disait: sois plus heureux. Adieu. Mais le soleil tombait des montagnes prochaines; Et la mère avait dit: Il faut nous séparer; Et l'enfant s'en allait à travers les grands chênes, Se tournant quelquefois et n'osant pas pleurer.

CHANT II.

Paris.

J'ai faim: vous qui passez, daignez me secourir,
Voyez, la neige tombe et la terre est glacée;
J'ai froid: le vent se lève et l'heure est avancée ...
Et je n'ai rien pour me couvrir.

Tandis qu'en vos palais tout flatte votre envie,
'A genoux sur le seuil j'y pleure bien souvent;
Donnez, peu me suffit, je ne suis qu'un enfant,
Un petit sou me rend la vie.

On m'a dit qu'à Paris je trouverais du pain:
Plusieurs ont raconté dans nos forêts lointaines
Qu'ici le riche aidait le pauvre dans ses peines:
Eh bien! moi je suis pauvre, et je vous tends la main.
Faites-moi gagner mon salaire:

Où me faut-il courir? dites, j'y volerai:
Ma voix tremble de froid; eh bien! je chanterai,
Si mes chansons peuvent vous plaire.

Il ne m'écoute pas, il fuit,

Il court dans une fête (et j'en entends le bruit)
Finir son heureuse journée!

Et moi je vais chercher, pour y passer la nuit,
Čette guérite abandonnée.

Au foyer paternel quand pourrai-je m'asseoir?
Rendez-moi ma pauvre chaumière,

Le laitage durci qu'on partageait le soir,

Et, quand la nuit tombait, l'heure de la prière, Qui ne s'achevait pas sans laisser quelque espoir. Ma mère, tu m'as dit quand j'ai fui ta demeure: Pars, grandis et prospère, et reviens près de moi. Hélas! et tout petit faudra-t-il que je meure,

Sans avoir rien gagné pour toi? . .

...

Non, l'on ne meurt pas à mon âge;

Quelque chose me dit de reprendre courage...
Eh! que sert d'espérer? que puis-je attendre enfin? ...
J'avais une marmotte, elle est mort de faim.

Et, faible, sur la terre il reposait sa tête;
Et la neige, en tombant, le couvrait à demi;
Lorsqu'une douce voix à travers la tempête
Vint réveiller l'enfant par le froid endormi.

"Qu'il vienne à nous celui qui pleure,"
Disait la voix, mêlée au murmure des vents;
"L'heure du péril est notre heure,
Les orphelins sont nos enfants."

Et deux femmes en deuil recueillaient sa misère;
Lui, docile et confus, se levait à leur voix.
Il s'étonnait d'abord; mais il vit à leurs doigts
Briller la croix d'argent, au bout du long rosaire:
Et l'enfant les suivit en se signant deux fois.

CHANT III.

Le retour.

Avec leurs grands sommets, leurs glaces éternelles, Par un soleil d'été que les Alpes sont belles!

Tout dans leurs frais vallons sert à nous enchanter, La verdure, les eaux, les bois, les fleurs nouvelles. Heureux qui sur ces bords peut longtemps s'arrêter. Heureux qui les revoit, s'il a pu les quitter!

Quel est ce voyageur que l'été leur renvoie,
Seul, loin de la vallée, un bâton à la main?
C'est un enfant... il marche, il suit le long chemin
Qui va de France à la Savoie.

Bientôt de la colline il prend l'étroit sentier;
Il a mis ce matin la bure du dimanche ;
Et dans un sac de toile blanche

Est un pain de froment qu'il garde tout entier.
Pourquoi tant se hâter à sa course dernière?
C'est que le pauvre enfant veut gravir le coteau
Et ne point s'arrêter qu'il n'ait vu son hameau
Et n'ait reconnu sa chaumière.

Les voilà. . . tels encor qu'il les a vus toujours,
Ces grands bois, ce ruisseau qui fuit sous le feuillage;
Il ne se souvient plus qu'il a marché dix jours,
Il est si près de son village!

Tout joyeux il arrive, il regarde . . . mais quoi!
Personne ne l'attend! sa chaumière est fermée!
Pourtant du toit aigu sort un peu de fumée;
Et l'enfant plein de trouble: Ouvrez, dit-il, c'est moi...
La porte cède, il entre; et sa mère attendrie,
Sa mère qu'un long mal près du foyer retient,
Se relève à moitié, tend les bras, et s'écrie:
N'est-ce pas mon fils qui revient?

Son fils est dans ses bras, qui pleure et qui l'appelle,
Je suis infirme, hélas! Dieu m'afflige, dit-elle,
Et depuis quelques jours je te l'ai fait savoir,
Car je ne voulais pas mourir sans te revoir.

Mais lui: De votre enfant vous étiez éloignée;
Le voilà qui revient, ayez des jours contents;
Vivez, je suis grandi, vous serez bien soignée,

Nous sommes riches pour longtemps.

Et les mains de l'enfant, des siennes détachées,
Jetaient sur ses genoux tout ce qu'il possédait,
Les trois pièces d'argent dans sa veste cachées,
Et le pain de froment que pour elle il gardait.

Sa mère l'embrassait, et respirait à peine,
Et son œil se fixait, de larmes obscurci,

Sur un grand crucifix de chêne
Suspendu devant elle et par le temps noirci.

"C'est lui, je le savais, le Dieu des pauvres mères
Et des petits enfants, qui du mien a pris soin;
Lui qui me consolait quand mes plaintes amères
Appelaient mon fils de si loin.

"C'est le Christ du foyer que les mères implorent,
Qui sauve nos enfants du froid et de la faim.
Nous gardons nos agneaux, et les loups les dévorent;
Nos fils s'en vont tout seuls . . . et reviennent en-
fin.

"Toi, mon fils, maintenant me seras-tu fidèle ?
Ta pauvre mère infirme a besoin de secours;
Elle mourrait sans toi." L'enfant, à ce discours,
Grave, et joignant les mains, tombe à genoux près d'elle,
Disant: Que le bon Dieu vous fasse de longs jours!
A. GUIRAUD.

VIE INTIME DU POËTE.

L'HEURE du chant pour moi, c'est la fin de l'automne; ce sont les derniers jours de l'année qui meurt dans les brouillards et dans les tristesses du vent. La nature âpre et froide nous refoule alors au dedans de nousmêmes; c'est le crépuscule de l'année, c'est le moment où l'action cesse au dehors; mais, l'action intérieure ne cessant jamais, il faut bien employer à quelque chose ce superflu de force qui se convertirait en mélancolie dévorante, en désespoir et en démence, si on ne l'exhalait pas en prose ou en vers. Béni soit celui qui a inventé l'écriture, cette conversation de l'homme avec sa propre pensée, ce moyen de le soulager du poids de son âme!

'A ce moment de l'année, je me lève bien avant le jour. Cinq heures du matin n'ont pas encore sonné à l'horloge lente et rauque du clocher qui domine mon jardin, que j'ai quitté mon lit, fatigué de rêves, rallumé ma lampe de cuivre, et mis le feu au sarment de vigne qui doit réchauffer ma veille dans cette petite tour voûtée, muette et isolée, qui ressemble à une chambre sépulcrale habitée encore par l'activité de la vie. J'ouvre ma fenêtre; je fais quelques pas sur le plancher vermoulu de mon balcon de bois. Je regarde le ciel et les noires dentelures de la montagne, qui se découpent nettes et aiguës sur le

D

bleu pâle d'un firmament d'hiver, ou qui noient leurs cimes dans un lourd océan de brouillards: quand il y a du vent, je vois courir les nuages sur les dernières étoiles, qui brillent et disparaissent tour à tour comme des perles de l'abîme, que la vague recouvre et découvre dans ses ondulations. Les branches noires et dépouillées des noyers du cimetière se tordent et se plaignent sous la tourmente des airs, et l'orage nocturne ramasse et roule leurs tas de feuilles mortes, qui viennent bruire et bouillonner au pied de la tour comme de l'eau.

'A un tel spectacle, à une telle heure, dans un tel silence au milieu de cette nature sympathique, de ces collines où l'on a grandi, où l'on doit vieillir, à dix pas du tombeau où repose, en nous attendant, tout ce qu'on a le plus pleuré sur la terre, est-il possible que l'âme qui s'éveille et qui se trempe dans cet air des nuits n'éprouve pas un frisson universel, ne se mêle pas instantanément à toute cette magnifique confidence du firmament et des montagnes, des étoiles et des prés, du vent et des arbres, et qu'une rapide et bondissante pensée ne s'élance pas du cœur pour monter à ces étoiles, et de ces étoiles pour monter à Dieu? Quelque chose s'échappe de moi pour se confondre à toutes ces choses; un soupir me ramène à tout ce que j'ai connu, aimé, perdu dans cette maison et ailleurs; une espérance, forte et évidente comme la Providence dans la nature, me reporte au sein de Dieu, où tout se retrouve; une tristesse et un enthousiasme se confondent dans quelques mots que j'articule tout haut, sans crainte que personne les entende, excepté le vent qui les porte à Dieu. Le froid du matin me saisit; mes pas craquent sur le givre; je referme ma fenêtre, et je rentre dans ma tour, où le fagot réchauffant petille et où mon chien m'attend.

Que faire alors, mon cher ami, pendant ces trois ou quatre longues heures de silence qui ont à s'écouler, en novembre, entre le réveil et le mouvement de la lumière et du jour? Tout dort dans la maison et dans la cour; à peine entend-on quelquefois un coq, trompé par la lueur d'une étoile, jeter un cri qu'il n'achève pas et dont il semble se repentir, ou quelque bœuf endormi et rêvant, dans l'étable, pousser un mugissement sonore qui réveille en sursaut le bouvier. On est sûr qu'aucune distraction domestique, aucune visite importune, aucune af

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