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Il vous a parlé, grand' mère!
Il vous a parlé !

L'an d'après, moi, pauvre femme
'A Paris étant un jour,

Je le vis avec sa cour:
Il se rendait à Notre-Dame.
Tous les cœurs étaient contents;
On admirait son cortége.

Chacun disait: Quel beau temps!
Le ciel toujours le protége.
Son sourire était bien doux:
D'un fils Dieu le rendait père,
Le rendait père.

Quel beau jour pour vous, grand' mère!
Quel beau jour pour vous!

Mais quand la pauvre Champagne
Fut en proie aux étrangers,
Lui, bravant tous les dangers,
Semblait seul tenir la campagne:
Un soir, tout comme aujourd'hui,
J'entends frapper à la porte;
J'ouvre: bon Dieu! c'était lui,
Suivi d'une faible escorte.
Il s'assoit* où me voilà,
S'écriant: Oh! quelle guerre!
Oh! quelle guerre!

Il s'est assis là, grand' mère!
Il s'est assis là!

J'ai faim, dit-il; et bien vite
Je sers piquette et pain bis.
Puis il sèche ses habits;
Même à dormir le feu l'invite.

Au réveil, voyant mes pleurs,
Il me dit: Bonne espérance!

Je cours de tous ses malheurs
Sous Paris venger la France.
Il part; et comme un trésor
J'ai depuis gardé son verre,
Gardé son verre.

Vous l'avez encor, grand' mère!
Vous l'avez encor!

* An occasional form for il s'assied.

Le voici. Mais à sa perte
Le héros fut entraîné.

Lui, qu'un pape a couronné,
Est mort dans une île déserte;
Longtemps aucun ne l'a cru;
On disait: Il va paraître;
Par mer il est accouru;
L'étranger va voir son maître.
Quand d'erreur on nous tira,
Ma douleur fut bien amère,
Fut bien amère.

Dieu vous bénira, grand' mere,

Dieu vous bénira.

BÉRANGER.

TABLEAU DE JÉRUSALEM.

MAINTENANT que je vais quitter la Palestine, il faut que le lecteur se transporte avec moi hors des murailles de Jérusalem pour jeter un dernier regard sur cette ville extraordinaire.

Arrêtons-nous d'abord à la grotte de Jérémie, près des sépulcres des rois. Cette grotte est assez vaste, et la voûte en est soutenue par un pilier de pierres. C'est là, dit-on, que le prophète fit entendre ses lamentations; elles ont l'air d'avoir été composées à la vue de la moderne Jérusalem, tant elles peignent naturellement l'état de cette ville désolée.

"Comment cette ville si pleine de peuple est-elle274 maintenant si solitaire et si désolée? La maîtresse des nations est devenue comme veuve: la reine des provinces a été assujettie au tribut."

"Les rues de Sion pleurent, parce qu'il n'y a plus personne qui vienne à ses solennités: toutes ses portes sont détruites; ses prêtres ne font que gémir; ses vierges sont toutes défigurées de douleur; et elle est plongée dans l'amertume."

"O vous tous qui passez par le chemin, considérez et voyez s'il y a une douleur comme la mienne!"

"Le Seigneur a résolu d'abattre la muraille de la fille de Sion: il a tendu son cordeau, et il n'a point retiré sa main

que tout ne* fût renversé : le boulevard est tombé d'une manière déplorable, et le mur a éte détruit de même."

"Ses portes sont enfoncées dans la terre; il en a rompu et brisé les barres; il a banni son roi et ses princes parmi les nations: il n'y a plus de loi; et ses prophètes n'ont point reçu de visions prophétiques du Seigneur."

"Mes yeux se sont affaiblis à force de verser des larmes: le trouble a saisi mes entrailles: mon cœur s'est répandu en terre en voyant la ruine de la fille de mon peuple, en voyant les petits enfants et ceux qui étaient encore à la mamelle tomber morts dans la place de la ville." "A qui vous comparerai-je, ô fille de Jérusalem? 'A qui dirai-je que vous ressemblez ?"

"Tous ceux qui passaient par le chemin ont frappé des mains en vous voyant; ils ont sifflé la fille de Jérusalem en branlant la tête et en disant: Est-ce là cette ville d'une beauté si parfaite, qui était la joie de toute la terre ?"

Vue de la montagne des Oliviers, de l'autre côté de la vallée de Josaphat, Jérusalem présente un plan incliné sur un sol qui descend du couchant au levant. Une muraille crénelée, fortifiée par des tours et par un château gothique, enferme la ville dans son entier, laissant toutefois au dehors une partie de la montagne de Sion qu'elle embrassait autrefois.

Dans la région du couchant et au centre de la ville, vers le Calvaire, les maisons se serrent d'assez près; mais au levant, le long de la vallée de Cédron, on aperçoit des espaces vides, entre autres l'enceinte qui règne autour de la mosquée bâtie sur les débris du Temple, et le terrain presque abandonné où s'élevait le château Antonia, et le second palais d'Hérode.

Les maisons de Jérusalem sont de lourdes masses carrées fort basses, sans cheminées et sans fenêtres; elles se terminent en terrasses aplaties ou en dômes, et elles ressemblent à des prisons ou à des sépulcres. Tout serait à l'œil d'un niveau égal, si les clochers des églises, les minarets des mosquées, les cimes de quelques cyprès et les buissons de nopals ne rompaient l'uniformité du plan. 'A la vue de ces maisons de pierres, renfermées dans un paysage de pierres, on se demande si ce ne sont pas là les monuments confus d'un cimetière au milieu d'un désert.

* Que-ne=until.

Entrez dans la ville, rien ne vous consolera de la tristesse extérieure: vous vous égarez dans de petites rues non pavées, qui montent et descendent sur un sol inégal, et vous marchez dans des flots de poussière, ou parmi des cailloux roulants. Des toiles jetées d'une maison à l'autre augmentent l'obscurité de ce labyrinthe; des bazars voûtés et infects achèvent d'ôter la lumière à la ville désolée; quelques chétives boutiques mêmes sont fermées, dans la crainte du passage d'un cadi. Personne* dans les rues, personne* aux portes de la ville; quelquefois seulement un paysan se glisse dans l'ombre, cachant sous ses habits les fruits de son labeur, dans la crainte d'être dépouillé par le soldat; dans un coin à l'écart, le boucher arabe égorge quelque bête suspendue par les pieds à un mur en ruine: à l'air hagard et féroce de cet homme, à ses bras ensanglantés, vous croiriez qu'il vient plutôt de tuer son semblable que d'immoler un agneau. Pour tout bruit dans la cité déicide on entend par intervalles le galop de la cavale du désert: c'est le janissaire qui apporte la tête du Bédouin, ou qui va piller le Fellah.

Au milieu de cette désolation extraordinaire, il faut s'arrêter un moment pour contempler des choses plus extraordinaires encore. Parmi les ruines de Jérusalem, deux espèces de peuples indépendants trouvent dans leur foi de quoi surmonter tant d'horreurs et de misères. Là vivent des religieux chrétiens que rien ne peut forcer à abandonner le tombeau de Jésus-Christ, ni spoliations, ni mauvais traitements, ni la mort. Leurs cantiques retentissent nuit et jour autour du saint sépulcre. Dépouillés le matin par un gouverneur turc, le soir les retrouve au pied du Calvaire, priant au lieu où Jésus-Christ souffrit pour le salut des hommes. Leur front est serein, leur bouche riante. Ils reçoivent l'étranger avec joie. Sans forces et sans soldats, ils protégent des villages entiers contre l'iniquité. Pressés par le bâton et par le sabre, les femmes, les enfants, les troupeaux se réfugient dans les cloîtres de ces solitaires. Qui empêche le méchant armé de poursuivre sa proie, et de renverser d'aussi faibles remparts? la charité des moines: ils se privent des dernières ressources de la vie pour racheter leurs suppliants. Turcs, Arabes, Grecs, chrétiens schismatiques, tous se

* Understand n'est, there is no one.

jettent sous la protection de quelques pauvres religieux, qui ne peuvent se défendre eux-mêmes. C'est ici qu'il faut remarquer, avec Bossuet, " que des mains levées vers le ciel enfoncent plus de bataillons que des mains armées de javelots."

Tandis que la nouvelle Jérusalem sort ainsi du désert, brillante de clarté, jetez les yeux entre la montagne de Sion et le Temple; voyez ce petit peuple qui vit séparé du reste des habitants de la cité. Objet particulier de tous les mépris, il baisse la tête sans se plaindre; il souffre toutes les avanies sans demander justice; il se laisse accabler de coups sans soupirer; on lui demande sa tête: il la présente au cimeterre. Si quelque membre de cette société proscrite vient à mourir, son compagnon ira, pendant la nuit, l'enterrer furtivement dans la vallée de Josaphat, à l'ombre du temple de Salomon. Pénétrez dans la demeure de ce peuple, vous le trouverez dans une af freuse misère, faisant lire un livre mystérieux à des enfants qui, à leur tour, le feront lire à leurs enfants. Ce qu'il faisait il y a cinq mille ans, ce peuple le fait encore. Il a assisté dix-sept fois à la ruine de Jérusalem, et rien ne peut le décourager; rien ne peut l'empêcher de tourner ses regards vers Sion. Quand on voit les juifs dispersés sur la terre, selon la parole de Dieu, on est surpris sans doute: mais pour être frappé d'un étonnement surnaturel, il faut les retrouver à Jérusalem; il faut voir ces légitimes maîtres de la Judée esclaves et étrangers dans leur propre pays; il faut les voir attendant, sous toutes les oppressions, un roi qui doit les délivrer. 'Ecrasés par la croix qui les condamne, et qui est plantée sur leurs têtes, cachés près du Temple dont il ne reste pas pierre sur pierre, ils demeurent dans leur déplorable aveuglement. Les Perses, les Grecs, les Romains ont disparu de la terre; et un petit peuple, dont l'origine précéda celle de ces grands peuples, existe encore sans mélange dans les décombres de sa patrie. Si quelque chose, parmi les nations, porte le caractère du miracle, nous pensons que ce caractère est ici. Et qu'y a-t-il de plus merveilleux, même aux yeux du philosophe, que cette rencontre de l'antique et de la nouvelle Jérusalem, au pied du Calvaire la première s'affligeant à l'aspect du sépulcre de Jésus-Christ ressuscité; la seconde se consolant auprès du seul tombeau qui n'aura rien à rendre à la fin des siècles!-CHATEAUBRIAND.

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