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il la peine de veiller toute la nuit? Que dirait madame, si elle voyait ce train ?" "Monsieur Brinon, lui dis-je, fermez, s'il vous plaît, le rideau." Mais au lieu de m'obéir, on eût dit que le diable lui fourrait dans l'esprit ce qu'il y avait de plus sensible et de plus piquant dans un malheur comme le mien. "Et combien, me disait-il; les cinq cents? Que fera ce pauvre homme? Souvenezvous que je vous l'ai dit, monsieur le chevalier: cet argent ne vous profitera pas. Est-ce quatre cents? trois? deux? Quoi! ce ne serait que cent louis !" poursuivit-il, voyant que je branlais la tête à chaque somme qu'il avait nommée. "Il n'y a pas grand mal à cela, et cent pistoles ne le ruineront pas, pourvu que vous les ayez bien gagnées." "Brinon, mon ami, lui dis-je, avec un grand soupir, fermez le rideau, je suis indigne de voir le jour."

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Brinon tressaillit à ces tristes paroles; mais il pensa s'évanouir, quand je lui contai mon aventure. Il s'arracha les cheveux, fit des exclamations douloureuses, dont le refrain était toujours: "Que dira madame ?" et après s'être épuisé en regrets inutiles: ça donc, monsieur le chevalier," me dit-il, "que prétendez-vous devenir ?" "Rien, lui dis-je, car je ne suis bon à rien." Ensuite, comme j'étais un peu soulagé de lui avoir fait ma confession, il me passa quelques projets dans la tête que je ne pus lui faire approuver. Je voulais qu'il allât en poste rejoindre mon équipage, pour vendre quelqu'un de mes habits. Je voulais encore proposer au marchand de chevaux de lui en acheter bien cher à crédit, pour les revendre à bon marché. Brinon se moqua de toutes ces propositions, et après avoir eu la cruauté de me laisser longtemps tourmenter, il me tira d'affaire. Les parents font toujours quelque vilenie à leurs pauvres enfants. Ma mère avait eu dessein de me donner cinq cents louis; elle en avait retenu cinquante, tant pour quelques petites réparations à l'abbaye que pour faire prier Dieu pour moi.

Brinon était chargé de cinquante autres, avec ordre de ne m'en point parler, que dans quelque pressante nécessité. Elle arriva bientôt, comme tu vois.-HAMILTON.

SCÈNES DU FESTIN DE PIERRE.

COMÉDIE DE MOLIÈRE.

Don Juan; Sganarelle, La Violette, Ragotin, ses Valets. La Violette. Voilà votre marchand, Monsieur Dimanche, qui demande à vous parler.

Sgan. Bon! voilà ce qu'il nous faut qu'un compliment de créancier! de quoi s'avise-t-il de nous venir demander de l'argent? et que ne lui disais-tu que monsieur n'y est pas ?

La Violette. Il y a trois quarts d'heure que je lui dis; mais il ne veut pas le croire, et s'est assis là-dedans pour l'attendre.

Sgan. Qu'il attende tant qu'il voudra.

Don Juan. Non; au contraire, faites-le entrer. C'est une fort mauvaise politique que de se faire celer aux créanciers. Il est bon482 de les payer de quelque chose; et j'ai le secret de les renvoyer satisfaits sans leur donner un double.

SCÈNE SUIVANTE.

Don Juan, Dimanche, Sganarelle, La Violette, Ragotin. Don Juan. Ah! monsieur Dimanche, approchez. Que je suis ravi de vous voir! et que je veux de mal à mes gens de ne vous pas faire entrer d'abord! J'avais donné ordre qu'on ne me fît parler à personne; mais cet ordre n'est pas pour vous, et vous êtes en droit de ne trouver jamais de porte fermée chez moi.

M. Dimanche. Monsieur, je vous suis fort obligé.

Don Juan (parlant à La Violette et à Ragotin). Parbleu, coquins, je vous apprendrai à laisser monsieur Dimanche dans une antichambre, et je vous ferai connaître les gens.

M. Dimanche. Monsieur, cela n'est rien.

Don Juan (à M. Dimanche). Comment! vous dire que je n'y suis pas, à monsieur Dimanche, au meilleur de mes amis !

M. Dimanche. Monsieur, je suis votre serviteur. J'étais venu..

Don Juan. Allons, vite, un siége pour monsieur Dimanche.

M. Dimanche. Monsieur, je suis bien comme cela. Don Juan. Point, point; je veux que vous soyez assis comme moi.

M. Dimanche. Cela n'est point nécessaire.

Don Juan. Otez ce pliant, et apportez un fauteuil. M. Dimanche. Monsieur, vous vous moquez, et... Don Juan. Non, non; je sais ce que je vous dois: et je ne veux point qu'on mette de différence entre nous deux.

M. Dimanche. Monsieur . .

Don Juan. Allons, asseyez-vous.

M. Dimanche. I1306 n'est pas besoin, monsieur, et je n'ai qu'un mot à vous dire. J'étais.

Don Juan. Mettez-vous là, vous dis-je.

M. Dimanche. Non, monsieur, je suis bien. Je viens pour

Don Juan. Non, je ne vous écoute526 point, si vous n'êtes point assis.

M. Dimanche. Monsieur, je fais ce que vous voulez: je.

Don Juan. Parbleu! Monsieur Dimanche, vous vous portez bien.

M. Dimanche. Oui, monsieur, pour vous rendre service. Je suis venu

...

Don Juan. Vous avez un fonds de santé admirable, des lèvres fraîches, un teint vermeil, et des yeux vifs. M. Dimanche. Je voudrais bien . . .

Don Juan. Comment se porte madame Dimanche votre épouse?

M. Dimanche. Fort bien, monsieur, Dieu merci.
Don Juan. C'est une brave femme.

M. Dimanche. Elle est votre servante, monsieur. Je venais

Don Juan. Et votre petite fille Claudine, comment se porte-t-elle ?

M. Dimanche. Le mieux du monde.

Don Juan. La jolie petite fille que c'est! Je l'aime de tout mon cœur.

M. Dimanche. C'est trop d'honneur que vous lui faites, monsieur. Je vous

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Don Juan. Et le petit Colin, fait-il toujours bien du bruit avec son tambour?

M. Dimanche. Toujours de même, monsieur. Je... Don Juan. Et votre petit chien Brusquet, gronde-t-il toujours aussi fort, et mord-il toujours bien aux jambes les gens qui vont chez vous?

M. Dimanche. Plus que jamais, monsieur, et nous ne saurions en chevir.

Don Juan. Ne vous étonnez pas si je m'informe des nouvelles de toute la famille, car j'y prends beaucoup d'intérêt.

M. Dimanche. Nous vous sommes infiniment obligés : je.

Don Juan (lui tendant la main). Touchez donc là, monsieur Dimanche. Etes-vous bien de mes amis?

M. Dimanche. Monsieur, je suis votre serviteur.
Don Juan. Parbleu! Je suis à vous de tout mon

cœur.

M. Dimanche. Vous m'honorez trop. Je.... Don Juan. Il n'y a rien que je ne fisse pour vous. M. Dimanche. Monsieur, vous avez trop de bonté pour moi.

Don Juan. Et cela sans intérêt, je vous prie de le

croire.

M. Dimanche. Je n'ai point mérité cette grâce, assurément. Mais, monsieur

Don Juan. Or çà, monsieur Dimanche, sans façon, voulez-vous souper avec moi?

M. Dimanche. Non, monsieur, il faut que je m'en retourne tout à l'heure. Je..

Don Juan (se levant). Allons, vite, un flambeau pour conduire monsieur Dimanche; et que quatre ou cinq de mes gens prennent des mousquetons pour l'escorter.

M. Dimanche (se levant aussi). Monsieur, il n'est pas nécessaire, et je m'en irai bien tout seul. Mais (Sganarelle ote les siéges promptement.)

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Don Juan. Comment! je veux qu'on vous escorte, et je m'intéresse trop à votre personne. Je suis votre serviteur, et, de plus, votre débiteur.

M. Dimanche. Ah! monsieur.

Don Juan. C'est une chose que je ne cache pas, et je

le dis à tout le monde.

M. Dimanche. Si . . .

Don Juan. Voulez-vous que je vous reconduise?

M. Dimanche. Ah! monsieur, vous vous moquez. Monsieur

...

Don Juan. Embrassez-moi donc, s'il vous plaît. Je vous prie encore une fois d'être persuadé que je suis tout à vous, et qu'il n'y a rien au monde que je ne fasse pour votre service. (Il sort.)-MOLIÈRE.

NAPOLÉON ET LUCIEN.

Si vous voulez me suivre maintenant dans les rues tortueuses de Milan, nous nous arrêterons un instant en face de son dôme miraculeux; mais, comme nous le reverrons plus tard en détail, je vous inviterai à prendre promptement à gauche, car une de ces scènes qui se passent dans une chambre et qui retentissent dans un monde est prête à s'accomplir.

Entrons donc au Palais-Royal, montons le grand escalier, traversons quelques-uns de ces appartements qui viennent d'être si splendidement décorés par le pinceau d'Appiani: plus tard nous nous arrêterons devant ces fresques qui représentent les quatre parties du monde, et devant le plafond où s'accomplit le triomphe d'Auguste; mais, à cette heure, ce sont des tableaux vivants qui nous attendent, c'est de l'histoire moderne que nous allons écrire.

Entre-baillons doucement la porte de ce cabinet, afin de voir sans être vus. C'est bien: vous apercevez un homme, n'est-ce pas ? et vous le reconnaissez à la simplicité de son uniforme vert, à son pantalon collant de cachemire blanc, à ses bottes assouplies et montant jusqu'au genou. Voyez sa tête modelée comme un marbre antique; cette étroite mèche de cheveux noirs qui va s'amincissant sur son large front; ces yeux bleus dont le regard s'use à percer l'avenir; ces lèvres pressées.

Quel calme! c'est la conscience de la force, c'est la sérénité du lion. Quand cette bouche s'ouvre, les peuples écoutent; quand cet œil s'allume, les plaines d'Austerlitz jettent des flammes comme un volcan; quand ce sourcil se fronce, les rois tremblent. 'A cette heure, cet homme commande à cent vingt millions d'hommes, dix peuples chantent en chœur l'hosanna de sa gloire en dix langues différentes; car cet homme, c'est plus que César; c'est autant que Charlemagne; c'est Napoléon-le-Grand, le Jupiter tonnant de la France.

Après un instant d'attente calme, il fixe ses yeux sur une porte qui s'ouvre; elle donne entrée à un homme vêtu d'un habit bleu, d'un pantalon gris collant, au-dessous du genou duquel montent en s'échancrant en cœur des bottes à la hussarde. En jetant les yeux sur lui, C

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