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LE MONTAGNARD ÉMIGRÉ.

COMBIEN j'ai douce souvenance
Du joli lieu de ma naissance!

Ma sœur, qu'ils422 étaient beaux ces jours
De France!

O mon pays, sois mes amours
Toujours.

Te souvient-il que notre mère
Au foyer de notre chaumière
Nous pressait sur son sein joyeux,
Ma chère!

Et nous baisions ses blonds cheveux
Tous deux.

Ma sœur, te souvient-il encore
Du château que baignait la Dore,
Et de cette tant vieille tour

Du More,

Où l'airain sonnait le retour
Du jour ?

Te souvient-il du lac tranquille
Qu'effleurait l'hirondelle agile,
Du vent qui courbait le roseau
Mobile,

Et du soleil couchant sur l'eau
Si beau ?

Te souvient-il de cette amie,
Douce compagne de ma vie?
Dans les bois, en cueillant la fleur
Jolie,

Hélène appuyait sur mon cœur
Son cœur.

Oh! qui me rendra mon Hélène,
Et ma montagne et le grand chêne?
Leur souvenir fait tous les jours

Ma peine:

Mon pays sera mes amours

Toujours!

CHATEAUBRIAND.

LE CHEVALIER DE GRAMMONT

DUPÉ AU JEU.

Nous arrivâmes enfin à Lyon. Deux soldats nous arrêtèrent à la porte de la ville pour nous mener chez le gouverneur. J'en pris un pour me conduire à la meilleure hôtellerie, et mis Brinon entre les mains de l'autre, pour aller rendre compte au commandant de mon voyage et de mes desseins.

Il y a d'aussi bons traiteurs à Lyon qu'à Paris; mais mon soldat, selon la coutume, me mena chez un de ses amis, dont il me vanta la maison, comme le lieu de la ville où l'on faisait la chère la plus délicate, et où l'on trouvait la meilleure compagnie. L'hôte de ce palais était gros comme un muid; il s'appelait Cerise. Il était Suisse de nation, empoisonneur de profession, et voleur par habitude. Il me mit dans une chambre assez propre, et me demanda si je voulais manger en compagnie, ou seul. Je voulus être de l'auberge, à cause du beau monde, que le soldat m'avait promis dans cette maison.

Brinon, que les questions du gouverneur avaient impatienté, revint plus refrogné qu'un vieux singe; et voyant que je me peignais un peu pour descendre, "Et que voulez-vous donc, monsieur ?" me dit-il: "aller trotter par la ville ?" "Non pas." "N'est-pas assez trotté depuis le matin? mangez un morceau et couchez-vous à bonne heure, pour être du matin à cheval à la pointe du jour." "Monsieur le contrôleur, lui dis-je, je ne veux ni trotter par la ville, ni manger seul, ni me coucher à bonne heure. Je veux souper en compagnie, là-bas.” "En pleine auberge?" s'écria-t-il; "hé, monsieur, vous n'y songez pas. Je me donne au diable, s'ils ne sont une douzaine de baragouineurs à jouer carte et dés, qu'on n'entendrait pas Dieu tonner."

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J'étais devenu insolent depuis que je m'étais emparé de l'argent; et voulant commencer à me soustraire à la domination de mon gouverneur: "Savez-vous bien, monsieur Brinon, lui dis-je, que je n'aime pas qu'un sot fasse le raisonneur? allez-vous-en souper, s'il vous plaît, et que j'aie ici des chevaux de poste avant le jour."

* Vulgar for n'est-il pas, etc., Has there not been enough jolting about since morning.

J'avais senti pétiller mon argent au moment où il avait lâché le mot de cartes et dés. Je fus un peu surpris de trouver la salle où l'on mangeait remplie de figures extraordinaires. Mon hôte, après m'avoir présenté, m'assura qu'il n'y avait que dix-huit ou vingt de ces messieurs qui auraient l'honneur de manger avec moi. Je m'approchai d'une table où l'on jouait, et je faillis à mourir de rire. Je m'étais attendu à voir bonne compagnie et gros jeu; et c'étaient deux Allemands qui jouaient au trictrac. Jamais chevaux de carosse n'ont joué comme ils faisaient, mais leur figure surtout passait l'imagination. Celui aupres de qui j'étais, était un petit ragot, grassouillet et rond comme une boule. Il avait une fraise, avec un chapeau pointu haut d'une aune. Non, il n'y a personne qui, d'un peu loin, ne l'eût pris pour le dôme de quelque église, avec un clocher dessus. Je demandai

à l'hôte ce que c'était ? "Un marchand de Basle," me

dit-il, "qui vient vendre ici des chevaux; mais je crois qu'il n'en vendra guère de la manière dont il s'y prend; car il ne fait que jouer." "Joue-t-il gros jeu," lui dis-je ? "Non pas à present," dit-il," ce n'est que pour leur écot, en attendant le souper: mais quand on peut tenir le petit marchand en particulier, il joue beau jeu." "A-t-il de l'argent," lui dis-je ? "Oh, oh," dit le perfide Cerise, "plût à Dieu que vous lui eussiez gagné mille pistoles, et en être de moitié! nous ne serions pas longtemps à les attendre."

Il ne m'en fallut pas davantage* pour méditer la ruine du chapeau pointu. Je me remis auprès de lui pour l'étudier: il jouait tout de travers, écoles sur écoles, Dieu sait. Je commençais à me sentir quelques remords sur l'argent que je devais gagner avec cette petite citrouille qui en savait si peu: il perdit son écot, on servit, et je le fis mettre auprès de moi.

C'était une table de réfectoire où nous étions pour le moins vingt-cinq malgré la promesse de mon hôte.

Le plus maudit repas du monde fini, toute cette cohue se dispersa je ne sais comment, à la réserve du petit Suisse, qui se tint auprès de moi, et l'hôte qui se vint mettre de l'autre côté. Ils fumaient comme des dragons, et le Suisse me disait de temps en temps: "Demande

* Il-pour, I needed no farther hint to.

pardon à monsieur de la liberté grande;" et là-dessus m'envoyait des bouffées de tabac à m'étouffer.

Monsieur Cerise de l'autre côté me demanda la liberté de me demander si j'avais jamais été dans son pays, et parut surpris de me voir assez bon air,* sans avoir voyagé en Suisse.

Le petit ragot, à qui j'avais affaire, était aussi questionneur que l'autre. Il me demanda si je venais de l'armée de Piémont; et lui ayant dit que j'y allais, il me demanda si je voulais acheter des chevaux; qu'il en avait bien deux cents, dont il me ferait bon marché.

Je commençais à être enfumé comme un jambon: et m'ennuyant du tabac et des questions, je proposai à mon homme de jouer une petite pistole au trictrac, en attendant que nos gens eussent soupé. Ce ne fut pas sans beaucoup de façons qu'il y consentit, en me demandant pardon de la liberté grande.

Je lui gagnai partie, revanche et le tout dans un clin d'œil; car il se troublait et se laissait enfiler, que c'était une bénédiction. Brinon arriva sur la fin de la troisième partie, pour me mener coucher. Il fit un grand signe de croix, et n'eut aucun égard à tous ceux que je lui faisais de sortir. Il fallut me lever pour lui en aller donner l'ordre en particulier.

Il commença par me faire des réprimandes, de ce que je m'encanaillais avec un vilain monstre comme cela. J'eus beau lui dire que c'était un gros marchand qui avait force argent et qui ne jouait non plus qu'un enfant. “Lui, marchand!" s'écria-t-il, "ne vous y fiez pas, monsieur le chevalier. Je me donne au diable, si ce n'est quelque sorcier." "Tais-toi, vieux fou," lui dis-je; "il n'est non plus sorcier que toi, c'est tout dire, et pour te le montrer, je veux lui gagner quatre ou cinq cents pistoles avant de me coucher." En disant cela, je le mis dehors, avec défense de rentrer ou de nous interrompre.

Le jeu fini, le petit Suisse déboutonna son haut-dechausses, pour tirer un beau quadruple d'un de ses goussets; et me le présentant, il me demanda pardon de la liberté grande, et voulut se retirer. Ce n'était pas mon compte. Je lui dis que nous ne jouions que pour nous amuser: que je ne voulais point de son argent; et, que,

* To see me looking very well.

s'il voulait, je lui jouerais ses quatre pistoles dans un tour unique. Il en fit quelque difficulté, mais il se rendit à la fin, et les regagna. J'en fus piqué. J'en rejouai une autre; la chance tourna; le dé lui devint favorable, les écoles cessèrent; je perdis partie, revanche et le tout: les moitiés suivirent; le tout en fut.* J'étais piqué, lui beau joueur, il ne me refusa rien, et me gagna tout, sans que j'eusse pris six trous en huit ou dix parties. Je lui demandai encore un tour pour cent pistoles; mais comme il vit que je ne mettais pas au jeu, il me dit qu'il était tard, qu'il fallait qu'il allât voir ses chevaux, et se retira, me demandant pardon de la liberté grande. Le sangfroid dont il me refusa, et la politesse dont il me fit la révérence, me piquèrent tellement, que je fus sur le point de le tuer. Je fus si troublé de la rapidité dont je venais de perdre jusqu'à la dernière pistole, que je ne fis pas d'abord toutes les réflexions qu'il y a à faire sur l'état où j'étais réduit.

non.

Je n'osais remonter dans ma chambre, de peur de BriPar bonheur, s'étant ennuyé de m'attendre, il s'était couché. Ce fut quelque consolation; mais elle ne dura pas. Dès que je fus au lit, tout ce qu'il y avait de funeste dans mon aventure se présenta à mon imagination: je n'eus garde de m'endormir. J'envisageais toute l'horreur de mon désastre, sans y trouver de remède; et j'eus beau tourner mon esprit de toutes façons, il ne me fournit aucun expédient. Je ne craignais rien tant que l'aube du jour: elle arriva pourtant, et le cruel Brinon avec elle. Il était botté jusqu'à la ceinture et faisant claquer un maudit fouet qu'il tenait à la main: "Debout, M. le chevalier," s'écria-t-il, en ouvrant mes rideaux; "les chevaux sont à la porte, et vous dormez encore? Nous devrions avoir déjà fait deux postes; çà, de l'argent pour payer dans la maison." Brinon, lui dis-je d'une voix humiliée, "fermez le rideau." "Comment! s'écria-t-il, fermez le rideau! Vous voulez donc faire votre campagne à Lyon? Apparemment que vous y prenez goût. Et le gros marchand, vous l'avez dévalisé ?" Non pas. "M. le chevalier, cet argent ne vous profitera pas, ce malheureux a peut-être une famille; et c'est le pain de ses enfants qu'il a joué, et que vous avez gagné. Cela valait

*The whole disappeared. See p. 23, note.

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