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Va saisir Nérestan, va, dis-je! qu'on l'enchaîne;
Que tout chargé de fers à mes yeux on l'entraîne !

SCÈNE IX.-Orosmane, Zaïre et Fatime (marchant pendant la nuit dans l'enfoncement du théâtre).

Za. Viens, Fatime.

Oros.

Qu'entends-je! est-ce là cette voix

Dont les sons enchanteurs m'ont séduit tant de fois ?
Cette voix qui trahit un feu si légitime?

Cette voix infidèle, et l'organe du crime?

Perfide! vengeons-nous . . . quoi! c'est elle? O destin! (Il tire son poignard.)

Zaïre! ah, Dieu! . . . ce fer échappe de ma main.

Za. (à Fat.). C'est ici le chemin, viens, soutiens mon

courage.

Fat. Il va venir.

Oros.

Ce mot me rend toute ma rage. Za. Je marche en frissonnant, mon cœur est éperdu . . . Est-ce vous, Nérestan, que j'ai tant attendu?

Oros. (courant à Za.). C'est moi que tu trahis: tombe à mes pieds, parjure!

Za. (tombant dans la coulisse). Je me meurs, O mon

Oros.

Dieu!

J'ai vengé mon injure. Otons-nous de ces lieux. Je ne puis... Qu'ai-je fait?... Rien que de juste. . . . allons, j'ai puni son forfait. Ah! voici son amant que mon destin m'envoie, Pour remplir ma vengeance et ma cruelle joie."

SCÈNE X et dernière.-Orosmane, Zaïre, Nérestan, Corasmin, Fatime, Esclaves.

Oros. Approche, malheureux, qui viens de m'arracher, De m'ôter pour jamais ce qui me fut si cher; Méprisable ennemi, qui fais encor paraître L'audace d'un héros avec l'âme d'un traître; Tu m'imposais ici pour me déshonorer. Va, le prix en est prêt, tu peux t'y préparer. Tes maux vont égaler les maux où tu m'exposes, Et ton ingratitude, et l'horreur que tu causes. Avez-vous ordonné son supplice?

Cor.

Oui, seigneur.

Oros. Il commence déjà dans le fond de ton cœur. Tes yeux cherchent partout et demandent encore

La perfide qui t'aime, et qui me déshonore.
Regarde, elle est ici.

Ner.

Que dis-tu? Quelle erreur! . . . Oros. Regarde-la, te dis-je. Nér. Ah! que vois-je? Ah, ma sœur! Zaïre!... elle n'est plus! Ah, monstre! Ah! jour hor

rible!

Oros. Sa sœur! Qu'ai-je entendu? dieux, serait-il possible?

Nér. Barbare, il est trop vrai: viens épuiser mon flanc Du reste infortuné de cet auguste sang.

Lusignan, ce vieillard, fut son malheureux père;
Il venait dans mes bras d'achever sa misère,
Et d'un père expiré j'apportais en ces lieux
La volonté dernière et les derniers adieux;
Je venais, dans un cœur trop faible et trop sensible,
Rappeler des chrétiens le culte incorruptible.
Hélas! elle offensait notre Dieu, notre loi;

Et ce Dieu la punit d'avoir brûlé pour toi.

Oros. Zaïre!.... Elle m'aimait ? Est-il bien vrai, Fatime?

Sa sœur ?
Fat.

... •

J'étais aimé ?

Cruel! voilà son crime.

Tigre altéré de sang, tu viens de massacrer
Celle qui, malgré soi, constante à t'adorer,
Se flattait, espérait que le Dieu de ses pères
Recevrait le tribut de ses larmes sincères;
Qu'il verrait en pitié cet amour malheureux;
Que peut-être il voudrait vous réunir tous deux.
Hélas! à cet excès son cœur l'avait trompée;
De cet espoir trop tendre elle était occupée;
Tu balançais son Dieu dans son cœur alarmé.
Oros. Tu m'en as dit assez. O ciel! j'étais aimé!
Va, je n'ai pas besoin d'en savoir davantage.

Nér. Cruel! qu'attends-tu donc pour assouvir ta rage? Il ne reste que moi de ce sang glorieux

Dont ton père et ton bras ont inondé ces lieux;
Rejoins un malheureux à sa triste famille,

Au héros dont tu viens d'assassiner la fille.

Tes tourments sont-ils prêts? Je puis braver tes coups:
Tu m'as fait éprouver le plus cruel de tous.

Mais la soif de mon sang, qui toujours te dévore,
Permet-elle à l'honneur de te parler encore?

En m'arrachant le jour, souviens-toi des chretiens,
Dont tu m'avais juré de briser les liens;
Dans sa férocité, ton cœur impitoyable
De ce trait généreux serait-il bien capable?
Parle; à ce prix encor je bénis mon trépas.
Oros. (allant vers le corps de Za.). Zaïre!
Cor.
Hélas! seigneur, où portez-vous vos pas ?
Rentrez, trop de douleur de votre âme s'empare;
Souffrez que Nérestan...

Nér.

Qu'ordonnes-tu, barbare?

Oros. (après une longue pause). Qu'on détache ses fers. 'Ecoutez, Corasmin;

Que tous ses compagnons soient délivrés soudain :
Aux malheureux chrétiens prodiguez mes largesses;
Comblés de mes bienfaits, chargés de mes richesses,
Jusqu'au port de Joppé vous conduirez leurs pas.
Cor. Mais, seigneur
Oros.

Obéis, et ne réplique pas,

Vole, et ne trahis point la volonté suprême

D'un soudan qui commande, et d'un ami qui t'aime;
Va, ne perds point de temps, sors, obéis

(a Nérestan.)

...

Guerrier infortuné, mais moins encor que moi,
Quitte ces lieux sanglants, remporte en ta patrie
Cet objet que ma rage a privé de la vie.

Et toi,

Ton roi, tous les chrétiens, apprenant tes malheurs,
N'en parleront jamais sans répandre des pleurs.
Mais si la vérité par toi se fait connaître,
En détestant mon crime, on me plaindra peut-être.
Porte aux tiens ce poignard, que mon bras égaré
A plongé dans un sein qui dut m'être sacré;
Dis-leur que j'ai donné la mort la plus affreuse
A la plus digne femme, à la plus vertueuse,
Dont le ciel ait formé les innocents appas;
Dis-leur qu'à ses genoux j'avais mis mes 'Etats;
Dis-leur que dans son sang cette main s'est plongée;
Dis que je l'adorais, et que je l'ai vengée. (Il se tue.)
(Aux siens.) Respectez ce héros, et conduisez ses pas.
Nér. Guide-moi, Dieu puissant, je ne me connais pas.
Faut-il qu'à t'admirer ta fureur me contraigne,
Et que, dans mon malheur, ce soit moi qui te plaigne?

BIOGRAPHICAL NOTICES.

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