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Ratopolis était bloquée:

On les avait contraints de partir sans argent,
Attendu l'état indigent

De la république attaquée.

Ils demandaient fort

peu, certains que le secours
Serait prêt dans quatre ou cinq jours.
Mes amis, dit le solitaire,

Les choses d'ici-bas ne me regardent plus:
En quoi peut un pauvre reclus

Vous assister? que peut-il faire,

Que de prier le Ciel qu'il vous aide en ceci?
J'espère qu'il aura de vous quelque souci.
Ayant parlé de cette sorte,

Le nouveau saint ferma sa porte.
Qui désigné-je, à votre avis,
Par ce rat si peu secourable?

Un moine? Non, mais un dervis:

Je suppose qu'un moine est toujours charitable.

LA FONTAINE.

LE PACHA ET LE DERVIS.

Un Arabe, à Marseille, autrefois m'a conté
Qu'un pacha turc, dans sa patrie,
Vint porter certain jour un coffret cacheté
Au plus sage dervis qui fût en Arabie.
Ce coffret, lui dit-il, renferme des rubis,
Des diamants de très grand prix:
C'est un présent que je veux faire
'A l'homme que tu jugeras
Être le plus fou de la terre.
Cherche bien, tu le trouveras.

Muni de son coffret, notre bon solitaire

S'en va courir le monde.

Avait-il donc besoin

D'aller loin?

L'embarras de choisir était sa grande affaire:
Des fous toujours plus fous venaient de toutes parts
Se présenter à ses regards.

Notre pauvre dépositaire,

Pour l'offrir à chacun, saisissait le coffret;
Mais un pressentiment secret

Lui conseillait de n'en rien faire,

L'assurait qu'il trouverait mieux.
Errant ainsi de lieux en lieux,
Embarrassé de son message,
Enfin, après un long voyage,

Notre homme et le coffret arrivent un matin
Dans la ville de Constantin.

Il trouve tout le peuple en joie:
Que s'est-il donc passé? Rien, lui dit un iman;
C'est notre grand vizir que le sultan envoie,
Au moyen d'un lacet de soie,
Porter au prophète un firman.

Le peuple rit toujours de ces sortes d'affaires;
Et, comme ce sont des misères,

Notre empereur souvent lui donne ce plaisir.
Souvent? Oui. C'est fort bien. Votre nouveau vizir
Est-il nommé? Sans doute, et le voilà qui passe.
Le dervis à ces mots court, traverse la place,
Arrive, et reconnaît le pacha son ami.

Bon! te voilà, dit celui-ci :

Et le coffret? Seigneur, j'ai parcouru l'Asie :
J'ai vu des fous parfaits, mais sans oser choisir.
Aujourd'hui ma course est finie;
Daignez l'accepter, grand vizir.

FLORIAN.

EXORDE DE L'ORAISON FUNÈBRE DE LOUIS XIV.

DIEU seul est grand, mes frères, et dans ces derniers moments surtout où il préside à la mort des rois de la terre: plus leur gloire et leur puissance ont éclaté, plus, en s'évanouissant alors, elles rendent hommage à sa grandeur suprême: Dieu paraît tout ce qu'il est ; et l'homme n'est plus rien de tout ce qu'il croyait être.

Heureux le prince dont le cœur ne s'est point élevé au milieu de ses prospérités et de sa gloire; qui, semblable à Salomon, n'a pas attendu que toute sa grandeur expirât avec lui au lit de la mort, pour avouer qu'elle n'était que vanité et affliction d'esprit, et qui s'est humilié sous la main de Dieu, dans le temps même que l'adulation semblait le mettre au-dessus de l'homme!

Oui, mes frères, la grandeur et les victoires du roi que

nous pleurons ont été autrefois assez publiées; la magnificence des éloges a égalé celle des événements; les hommes ont tout dit il y a longtemps en parlant de sa gloire. Que nous reste-t-il ici, que d'en parler pour notre

instruction?

Ce roi, la terreur de ses voisins, l'étonnement de l'univers, le père des rois; plus grand que tous ses ancêtres, plus magnifique que Salomon dans toute sa gloire, a reconnu, comme lui, que tout était vanité. Le monde a été ébloui de l'éclat qui l'environnait; ses ennemis ont envié sa puissance; les étrangers sont venus des îles les plus éloignées baisser les yeux devant la gloire de sa majesté; ses sujets lui ont presque dressé des autels; et le prestige qui se formait autour de lui n'a pu le séduire lui-même.

Vous l'aviez rempli, ô mon Dieu! de la crainte de votre nom; vous l'aviez écrit sur le livre éternel, dans la succession des saints rois qui devaient gouverner vos peuples; vous l'aviez revêtu de grandeur et de magnificence. Mais ce n'était pas assez: il fallait encore qu'il fût marqué du caractère propre de vos élus: vous avez récompensé sa foi par des tribulations et par des disgrâces. L'usage chrétien des prospérités peut nous donner droit au royaume des cieux; mais il n'y a que l'affliction et la violence qui nous l'assurent.

Voyons-nous des mêmes yeux, mes frères, la vicissitude des choses humaines? Sans remonter aux siècles de nos pères, quelles leçons Dieu n'a-t-il pas donné au nôtre? Nous avons vu toute la race royale presque éteinte; les princes, l'espérance et l'appui du trône, moissonnés à la fleur de leur âge; l'époux et l'épouse auguste, au milieu de leurs plus beaux jours, enfermés dans le même cercueil, et les cendres de l'enfant suivre tristement, et augmenter l'appareil lugubre de leurs funérailles; le roi, qui avait passé d'une minorité orageuse au règne le plus glorieux dont il soit parlé dans nos histoires, retomber de cette gloire dans des malheurs presque supérieurs à ses anciennes prospérités; se relever encore plus grand de toutes ces pertes, et survivre à tant d'évenèments divers, pour rendre gloire à Dieu et s'affermir dans la foi des biens immuables.

Ces grands objets passent devant nos yeux comme des scènes fabuleuses; le cœur se prête pour un moment au spectacle; l'attendrissement finit avec la représentation;

il semble que Dieu n'opère ici-bas tant de révolutions, que pour se jouer dans l'univers, et nous amuser plutôt que nous instruire.

Ajoutons donc les paroles de la foi à cette triste cérémonie, qui, sans cela, nous prêcherait en vain; racontons, non les merveilles d'un règne que les hommes ont déjà tant exalté, mais les merveilles de Dieu sur le roi qui nous est ôté; rappelons ici ses vertus plutôt que ses victoires; montrons-le plus grand encore au lit de la mort, qu'il ne l'était autrefois sur son trône, dans les jours de sa gloire; n'ôtons les louanges à la vanité que pour les rendre à la grâce, et quoiqu'il ait été grand, et par l'éclat inoui de son règne, et par les sentiments héroïques de sa piété, deux réflexions sur lesquelles va rouler ce devoir de religion que nous rendons à la mémoire du très-haut, très-puissant et très-excellent prince, Louis XIV du nom, roi de France et de Navarre; ne parlons de la gloire et de la grandeur de son règne que pour en montrer les écueils et le néant qu'il a connus, et de sa piété que pour en proposer et immortaliser les exemples.-MASSILLON.

CAMPAGNE.

Le travail de la campagne est agréable à considérer, et n'a rien d'assez pénible en lui-même pour émouvoir à compassion. L'objet de l'utilité publique et privée le rend intéressant; et puis c'est la première vocation de l'homme; il rappelle à l'esprit une idée agréable, et au cœur tous les charmes de l'âge d'or. L'imagination ne reste point froide à l'aspect du labourage et des mois

sons.

La simplicité de la vie pastorale et champêtre a toujours quelque chose qui touche. Qu'on regarde les prés couverts de gens qui fanent et chantent, et des troupeaux épars dans l'éloignement; insensiblement on se sent attendrir sans savoir pourquoi. Ainsi quelquefois encore la voix de la nature amollit nos cœurs farouches, et quoiqu'on l'entende avec un regret inutile, elle est si douce qu'on ne l'entend jamais sans plaisir.

Les gens de ville ne savent pas aimer la campagne; ils ne savent pas même Ꭹ être à peine, quand ils y sont, sa

vent-ils ce qu'on y fait. Ils en dédaignent les travaux; les plaisirs, ils les ignorent: ils sont chez eux comme en pays étrangers; faut-il s'étonner s'ils s'y déplaisent? Il faut être villageois, ou n'y point aller; car qu'y va-t-on faire? Les habitants de Paris, qui croient aller à la campagne, n'y vont point; ils portent Paris avec eux; les chanteurs, les beaux esprits, les auteurs, les parasites, sont le cortége qui les suit.

Le jeu, la musique, la comédie y sont leur seule occupation; s'ils y ajoutent quelquefois la chasse, ils la font si commodément, qu'ils n'en ont pas la moitié de la fatigue ni du plaisir. Leur table est couverte comme à Paris; ils y mangent aux mêmes heures; on leur y sert les mêmes mets, avec le même appareil; ils n'y font que les mêmes choses; autant valait y rester: car quelque riche qu'on puisse être, et quelque soin qu'on ait pris, on sent toujours quelque privation, et l'on ne saurait apporter avec soi Paris tout entier. Ainsi cette variété qui leur est si chère, ils la fuient; ils ne connaissent jamais qu'une manière de vivre, et s'en ennuient toujours.

La simplicité de la vie pastorale et champêtre a toujours quelque chose qui touche. On ne peut se dérober à la douce illusion des objets qui se présentent; on oublie son siècle et ses contemporains; on se transporte au temps des patriarches. O temps de l'amour et de l'innocence, où les hommes étaient simples et vivaient contents! O Rachel, fille charmante et si constamment aimée! heureux celui qui, pour t'obtenir ne regretta pas quatorze ans d'esclavage! O douce élève de Noémi! heureux le bon vieillard dont tu réchauffais les pieds et le cœur! Non, jamais la beauté ne règne avec plus d'empire qu'au milieu des soins champêtres: c'est là que les grâces sont sur leur trône, que la simplicité les pare, que la gaiete les anime, et qu'il faut les adorer malgré soi. C'est une impression générale qu' éprouvent tous les hommes, quoiqu'ils ne l'observent pas tous, que sur les hautes montagnes où l'air est pur et subtil, on se sent plus de facilité dans la respiration, plus de légèreté dans le corps, plus de sérénité dans l'esprit. Les plaisirs y sont moins ardents; les passions plus modérées; les méditations y prennent je ne sais quel caractère grand et sublime, proportionné aux objets qui nous frappent; je ne sais quelle volupté tranquille qui n'a rien d'âcre et de

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