Page images
PDF
EPUB

de la nuit précédente, quantité d'autres aussi remarquables, qui devaient avoir tôt ou tard leur effet. J'écoutai le tout avec beaucoup de soumission et peu de foi. Enfin nous arrivâmes: elle nous dit, à ma sœur et à moi, d'aller à son appartement, et qu'ensuite nous irions la trouver chez madame de Ventadour, où elle descendit. Elle logeait à Versailles dans les combles du château. Il me fut impossible d'arriver au haut du degré; et si quelqu'un de ses gens, qui nous suivaient, ne m'avaient portée pour achever les dernières marches, j'y serais restée. Cette fatigue de corps et d'esprit me jeta dans un accablement où l'on ne sent plus rien, et où l'on pense encore moins. Je n'avais pas bien compris ce que la duchesse nous avait dit sur ma présentation à madame de Ventadour. Ma sœur ne l'avait pas mieux entendu, et je crus qu'il n'y avait qu'à attendre qu'elle m'envoyât chercher. Nous restâmes ainsi jusqu'au soir, dans son appartement, où elle rentra furieuse de ce que nous n'avions pas exécuté ses ordres. Ils avaient été mal éxpliqués; mais ce n'était pas une représentation à lui faire. Elle avait prétendu qu'on la vînt trouver, on ne l'avait pas fait, c'était ma fortune manquée. J'écoutai, dans un silence respectueux, ses regrets, ses reproches, et tout ce que des sentiments impétueux, non retenus, font dire. Tout étant dit, elle se calma, et ne songea plus qu'au lendemain. Elle dit qu'elle me mènerait elle-même chez sa sœur, et m'y mena. Je trouvai une personne d'un caractère tout différent du sien. La douceur et la sérénité peintes sur son visage, annonçaient le calme de son esprit et l'égalité de son âme. Elle me reçut avec toute sorte de bonté et de politesse; me parla de ma mère, qui avait été gouvernante de sa fille; de l'estime qu'elle avait pour elle; du bien qu'elle avait ouï dire de moi, enfin du désir de me placer convenablement. Ensuite on me fit voir M. le duc de Bretagne, qui vivait encore, et le roi, qui ne faisait presque que de naître. On dit qu'il fallait aussi me faire voir les beautés de Versailles, et l'on me traîna partout. Je pensai expirer de lassitude.

Madame la duchesse de la Ferté avait déjà tant parlé de moi, qu'on m'observait comme un objet de curiosité;

* And I supposed that we were simply to wait until she should send for us.

et mille gens venaient me regarder, m'examiner, m'interroger. Elle voulut encore, pour achever ma journée, que je fusse au souper du roi; et après m'avoir démêlée dans la foule, elle me fit remarquer à M. le duc de Bourgogne, qu'elle entretint, pendant une partie du souper, de mes talents et de mon savoir prétendu. Elle ne s'en tint pas là. Le lendemain, étant allée chez la duchesse de Noailles, elle me manda d'y venir: j'arrive. "Voilà, dit-elle, madame, cette personne dont je vous ai entretenue, qui a un si grand esprit, qui sait tant de choses. Allons, mademoiselle, parlez. Madame, vous allez voir comme elle parle." Elle vit que j'hésitais à répondre, et pensa qu'il fallait m'aider, comme une chanteuse qui prélude, à qui l'on indique l'air qu'on désire d'entendre. "Parlez un peu de religion, me dit-elle; vous direz ensuite autre chose." Je fus si confondue, que cela ne se peut représenter, et que je ne puis même me souvenir comment je m'en tirai. Ce fut sans doute en niant les talents qu'elle me supposait, et, à ce qu'il me semble, pas tout à fait si mal que je l'aurais dû.

Cette scène ridicule fut à peu près répétée dans d'autres maisons où l'on me mena. Je vis donc que j'allais être promenée comme un singe, ou quelque autre animal qui fait des tours à la foire. J'aurais voulu que la terre m'engloutît, plutôt que de continuer à jouer un pareil personnage. J'ai peut-être à me reprocher d'avoir été si choquée des scènes où je me voyais exposée, que j'en aie moins senti ce que je devais au motif de tant de bizarres démarches, qui n'était autre qu'un désir immodéré de me faire valoir.

Il y avait déjà trois ou quatre jours que j'étais dans cet état violent, lorsque la duchesse rentra le soir, fulminant contre madame de Ventadour, et contre le cardinal de Rohan, de ce qu'ils ne concluaient rien sur ce qui me regardait; parce qu'il fallait, pour me mettre à Jouarre, donner une pension que personne ne voulait payer. Eh bien! dit-elle, s'adressant à ma sœur, puisqu'ils font tant de façons, il n'y a qu'à les laisser là. Je suis une assez grande dame pour faire sa fortune, sans avoir besoin d'eux. Je la prendrai chez moi, ella y sera mieux que partout ailleurs. C'était tout ce que je craignais. Aussi

*

* An elliptical expression for il n'y a autre chose à faire qu'à.

je restai sans mouvement, sans parole, ne pouvant me résoudre à donner le moindre acquiescement à cette proposition. Sa grande agitation l'empêcha de remarquer mon immobilité. Ma sœur m'en fit de justes reproches, quand nous fûmes seules. Je lui avouai que l'éloignement que j'avais pour cette situation, et la crainte de rien dire qui m'engageât, avaient suspendu toutes mes paroles.

Le dépit de madame de la Ferté contre sa sœur la détermina à partir le lendemain; et je me flattai que j'allais me retrouver dans mon couvent, où j'avais tant d'impatience de me revoir; mais je n'étais pas encore au bout de mes voyages. La duchesse m'annonça qu'elle allait à Sceaux, et qu'elle voulait m'y mener, pour me faire voir à M. de Malesieu, très capable de juger de ce que je valais. Ce me fut un surcroît de désolation d'aller encore me produire sur un nouveau théâtre.

Avant qu'elle partît, l'abbé de Vertot, son parent et son ami, qui se trouva à Versailles, lui vint rendre visite. Elle lui fit donner un fauteuil, et me laissa debout, comme elle faisait volontiers lorsqu'il y avait compagnie. Je ne pus me voir d'un air si soumis devant quelqu'un qui m'avait toujours rendu les plus profonds hommages. Je passai dans un cabinet, où je répandis quelques larmes que m'arracha l'humiliation de mon état.

Nous fumes l'après-dînée à Sceaux, où madame la duchesse de la Ferté, toujours remplie de son objet, ne manqua pas de parler de moi avec excès. Madame la duchesse du Maine, accoutumée à ses exagérations, et rarement attentive à ce qui ne l'intéresse pas, l'écouta peu ou point. Cependant elle voulut à toute force me montrer à elle, et l'y fit consentir par complaisance. Mais madame la duchesse du Maine ne s'arrêta guère à me considérer. Madame de la Ferté, voyant que cette tentative n'avait rien rendu, pria M. de Malesieu de me venir voir chez elle, et de m'entretenir. Il y vint, fut longtemps avec moi, traita diverses matières, sur lesquelles il me trouva passablement instruite. L'envie d'obliger la duchesse de la Ferté, la pente qu'il avait aussi bien qu'elle à l'exagération, et peut-être la volonté de me servir, lui firent confirmer toutes les merveilles qu'elle débitait de moi. Ce suffrage me mit en honneur dans une cour où les décisions de M. de Malesieu avaient la même infailli

bilité que celles de Pythagore parmi ses disciples. Les disputes les plus échauffées s'y terminaient au moment que quelqu'un prononçait: Il l'a dit. Il dit donc que j'étais une personne rare; on le crut. On me venait voir; on m'écoutait; on ne cessait de m'admirer. Baron, fameux comédien, qui avait quitté le théâtre de Paris depuis près de trente ans, jouait alors la comédie à Sceaux. Il se piquait d'esprit: il vint aussi examiner le mien; et dans quelqu'une de ses visites, il me dit, d'un air ironique, qu'on jouerait le lendemain les Femmes savantes,* et que sans doute j'y serais. Je répondis de manière à lui faire connaître qu'il ne me jouerait pas.-Mémoires.

FABLES.

LE COCHET, LE CHAT ET LE SOURICEAU.

UN souriceau tout jeune, et qui n'avait rien vu,
Fut presque pris au dépourvu.

Voici comme il conta l'aventure à sa mère:
J'avais franchi les monts qui bornent notre 'Etat,
Et trottais comme un jeune rat
Qui cherche à se donner carrière,
Lorsque deux animaux m'ont arrêté les yeux:
L'un doux, bénin et gracieux,

Et l'autre turbulent et plein d'inquiétude;
Il a la voix perçante et rude,

Sur la tête un morceau de chair,
Une sorte de bras dont il s'élève en l'air,
Comme pour prendre la volée,
La queue en panache étalée.

Or c'était un cochet dont notre souriceau
Fit à sa mère le tableau

Comme d'un animal venu de l'Amérique.
Il se battait, dit-il, les flancs avec ses bras,
Faisant tel bruit et tel fracas

Que moi, qui, grâce aux dieux, de courage me pique,
En ai pris la fuite de peur,

Le maudissant de très bon cœur.

*One of Molière's comedies.

Sans lui, j'aurais fait connaissance
Avec cet animal qui m'a semblé si doux:
Il est velouté comme nous,

Marqueté, longue queue, une humble contenance,
Un modeste regard, et pourtant l'œil luisant.
Je le crois fort sympathisant

Avec messieurs les rats: car il a des oreilles
En figure aux nôtres pareilles.

Je l'allais aborder, quand, d'un son plein d'éclat,
L'autre m'a fait prendre la fuite.

Mon fils, dit la souris, ce doucet est un chat,
Qui, sous son minois hypocrite,
Contre toute ta parenté

D'un malin vouloir est porté.
L'autre animal, tout au contraire,

Bien éloigné de nous mal faire, Servira quelque jour, peut-être, à nos repas. Quant au chat, c'est sur nous qu'il fonde sa cuisine. Garde-toi, tant que tu vivras, De juger les gens sur la mine.

LA FONTAINE.

LE RAT RETIRÉ DU MONDE.

Les Levantins en leur légende
Disent qu'un certain rat, las des soins d'ici-bas,
Dans un fromage de Hollande
Se retira loin du tracas.
La solitude était profonde,
S'étendant partout à la ronde.

Notre ermite nouveau subsistait là dedans.
Il fit tant des pieds et des dents,

Qu'en peu de jours il eut au fond de l'ermitage
Le vivre et le couvert: que faut-il davantage?
Il devint gros et gras: Dieu prodigue ses biens
A ceux qui font vœu d'être siens.

Un jour, au dévot personnage
Des députés du peuple rat

S'en vinrent demander quelque aumône légère:
Ils allaient en terre étrangère

Chercher quelque secours contre le peuple chat;

« PreviousContinue »