Page images
PDF
EPUB
[ocr errors]

LIVRE 1

LES LUTTES NATIONALES

1.

CHAPITRE I

MONARCHIE UNIVERSELLE ET NATIONALITÉS

§ 1. Considérations générales

La lutte du catholicisme et du protestantisme pendant le xvre et le XVIe siècle est religieuse tout ensemble et politique. Les intérêts de la religion et ceux des nationalités y sont si étroitement unis, qu'il est difficile de dire lesquels dominent. Parmi les historiens modernes, les uns, préoccupés des résultats auxquels aboutirent les longues guerres qui suivirent la réforme, disent que la religion ne fut qu'un prétexte ou un instrument, qu'en réalité les princes combattaient, soit pour leur ambition, soit pour le maintien de leur indépendance. Les autres, voyant les guerres procéder d'une révolution religieuse, sont d'avis que l'objet principal du débat était, d'une part, la prétention de la papauté à la toute-puissance spirituelle et temporelle, et, d'autre part, la liberté de l'esprit humain et la souveraineté des peuples: c'est l'idée que nous avons développée dans l'Étude sur les Guerres de religion. Nous ne prétendons pas que la lutte sanglante qui ouvre l'ère moderne ait été exclusivement religieuse dans son principe et dans ses conséquences; nous avons, au contraire, constaté l'affaiblissement de l'influence de l'Église à partir de la fin du moyen âge. Les guerres contre le protestantisme ne sont plus des croisades; c'est, il est

vrai, l'ambition du catholicisme qui les allume, mais il s'y mêle d'autres ambitions et d'autres tendances. Toutefois, et c'est une chose très remarquable, il y a un lien intime entre les deux faces de la lutte le but est presque identique, bien que les intérêts soient divers, et il en est de même des résultats.

La réformation brisa l'unité chrétienne, telle qu'elle s'était formée au moyen âge, sous l'influence de l'invasion des Barbares. C'était une unité à deux têtes, le pape et l'empereur; elle était donc moitié religieuse, moitié politique. Les protestants mirent fin à la papauté, et par cela même à l'empire. Il était impossible que les papes abdiquassent volontairement leurs superbes prétentions; ils combattirent le protestantisme, pour rétablir l'unité de la foi et par suite la domination universelle de l'Église. Mais, dans la doctrine catholique, l'unité religieuse par le pape ne pouvait exister sans l'unité politique par l'empereur. Cela implique que la lutte du catholicisme contre le protestantisme tendait nécessairement à reconstituer l'unité politique aussi bien que l'unité religieuse du moyen âge. Ce n'était donc pas une vaine chimère que l'ambition de la monarchie universelle, qui, au xvre et au XVIe siècle, fit la grandeur de la maison d'Autriche et qui fut la terreur de ses ennemis. Charles-Quint était l'allié-né de la papauté, mais le défenseur de l'Église poursuivait en même temps un but qui lui était personnel, tout en se confondant avec l'intérêt de l'Église : le rétablissement de l'unité catholique devait profiter à l'empereur plus encore qu'au pape.

Charles-Quint légua son ambition comme un héritage à sa famille; et quand la maison d'Autriche, vaincue par le génie de Richelieu, fut forcée de renoncer à ses hautes prétentions dans la paix de Westphalie, elle les transmit à son vainqueur. La monarchie universelle fut plus dangereuse dans les mains de la France qu'elle ne l'avait jamais été dans les mains de l'Espagne. Ainsi ce sont toujours des puissances catholiques qui menacent la liberté et l'indépendance de l'Europe. Cela devait être, car la monarchie universelle est une idée catholique. Pour le moyen âge, on n'en saurait douter le pape et l'empereur sont les deux chefs de la chrétienté, et le christianisme ne connaît d'autres limites que celles du monde. La monarchie universelle était donc une institution divine; aux yeux des catholiques, elle avait la même légitimité que

:

« PreviousContinue »