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qu'il n'y avait plus d'étrangers parmi les chrétiens » (1). Ce que c'est que le cosmopolitisme catholique! L'ordre de la noblesse ne fut pas de cet avis; pour repousser l'Espagnol, il se retrancha derrière la loi salique. Il en fut de même du tiers-état; par l'organe du parlement, il chargea le lieutenant général du royaume de veiller «< à ce que, sous prétexte de religion, la couronne ne fût transférée en main étrangère contre les lois du royaume (2). » Le sentiment de la patrie l'emporta sur le fanatisme ultramontain.

La conversion ouvrit les portes de Paris à Henri IV; mais pour que sa réconciliation fût complète, il lui fallait l'absolution du pape. Or Philippe II dominait à Rome, et il comptait bien empêcher le saint-siége de reconnaître Henri IV. Il fit littéralement violence au saint-père. Le duc de Nevers, ambassadeur de France, nous fait connaître les menaces par lesquelles le roi d'Espagne effrayait la cour de Rome : « Si le pape accorde absolution à Henri, Philippe II affamera la ville; il fera un schisme dans la monarchie espagnole, il suscitera l'empereur à redemander Rome et autres villes appartenantes à l'empire, et il l'aidera à exécuter ces réclamations; au pis aller, il lui déclarera la guerre ouverte, comme il l'avait faite à Paul Farnèse (3). » Clément VIII plia longtemps sous ces menaces; mais plus elles étaient violentes, plus elles donnaient à réfléchir au pape. Il se fit une vive réaction à Rome contre la domination espagnole; l'on vit que, si Philippe II atteignait le but de son ambition, le souverain pontife ne serait plus que l'instrument du roi d'Espagne. D'un autre côté, le schisme était imminent en France. L'intérêt de la religion se joignait donc à celui du saint-siége, pour inspirer au pape le courage de braver la colère de l'Espagne. En définitive, la couronne de France échappa à Philippe, comme celle d'Angleterre lui avait échappé. L'esprit d'indépendance nationale se révolta contre les prétentions de la maison d'Autriche jusqu'au sein du Vatican : le pape, pas plus que les rois, ne voulait d'un monarque universel.

(1) États généraux de 1593, p. 392.

(2) Ibid., p. 546, 736, ss.

(3) Mémoires du duc de Nevers, T. II, p. 716.

No 3. Henri IV, Elisabeth et Philippe II.

La France ne cessa pas de lutter contre l'ambition de la maison d'Autriche, même au milieu de ses dissensions civiles; mais la rivalité de Charles IX et de Henri III était stérile. Dominée par les passions religieuses, la royauté finit par se mettre à la tête du parti catholique contre la réforme; c'était perpétuer les guerres de religion, et ces guerres faisaient la force de Philippe II. Les rois très chrétiens eurent beau prendre parti pour le catholicisme, ils n'inspirèrent jamais une entière confiance aux orthodoxes; le vrai chef de la ligue catholique était le roi d'Espagne. Pour combattre la maison d'Autriche, il fallait un prince réformé, ou du moins un adversaire décidé de la Ligue. Tel fut Henri IV; arrivé au trône après de longs combats contre le parti catholique, il resta, malgré sa conversion, favorable aux réformés; en leur donnant la liberté religieuse, il mit fin aux troubles qui avaient déchiré la France, et il l'affranchit en même temps de l'influence espagnole, Dès que la royauté eut reconquis son indépendance, elle reprit la lutte contre l'Autriche. Un des premier actes de Henri IV fut de déclarer la guerre à l'Espagne. La guerre n'avait pas le caractère religieux, qu'elle aurait eu, si le roi était resté attaché à la confession de Calvin dans son manifeste il ne parlait que des dangers de l'Europe, menacée par l'ambition de l'Espagne (1). Toutefois la religion était au fond du débat; car c'est sur le catholicisme que reposaient les prétentions de la maison d'Autriche à la monarchie; la combattre, c'était combattre en même temps pour la liberté religieuse. Voilà pourquoi la lutte fut engagé par des princes réformés; il en fut ainsi sous Richelieu, il en fut encore ainsi sous Henri IV. Le roi de France n'était pas en état de soutenir seul la guerre contre la puissance formidable de l'Espagne; il revint donc forcément à l'idée d'une ligue protestante.

L'allié naturel de Henri IV était la reine d'Angleterre. Il lui écrivit en 1595: «Ayant pour ennemi commun le roi d'Espagne, lequel n'a d'autre but que de troubler et travailler nos royaumes

(1) Poirson, Histoire de Henri IV, T. I, p. 276.

par ses armes continuelles, et artifices accoutumés, nous devons joindre aussi nos efforts et les moyens que Dieu nous a donnés pour rompre ses dessseins (1). » Les ouvertures du roi de France ne furent pas mieux accueillies que ne l'avaient été celles du roi de Navarre (2). Après la ruine de l'armada, Philippe II avait cessé d'inquiéter l'Angleterre; Élisabeth se croyait à l'abri de tout danger, et elle ne se souciait guère d'entrer dans une lutte, dont l'issue devait être de grandir la France et de lui donner la suprématie qui jusque-là avait appartenu à la maison d'Autriche. Henri IV ne trouva pas plus de sympathie en Allemagne ; les calvinistes lui étaient favorables, mais par cela même les luthériens lui étaient hostiles. Les princes protestants ne comprenaient pas combien Henri IV disait vrai en leur représentant «< que leur conservation était conjointe au bien de ses affaires et de son royaume (3); » ils s'excusèrent en alléguant qu'ils ne pouvaient, comme membres de l'empire, prendre part à une alliance étrangère. Henri IV chercha des ennemis à l'Espagne, partout où il y avait communauté d'intérêts contre la domination de la maison d'Autriche. Il s'adressa au sultan, non sans se plaindre de l'indifférence des princes chrétiens, et surtout d'Elisabeth, sur l'appui desquels il avait compté (4); mais l'alliance avec les infidèles n'avait jamais été profitable à la France: Henri IV n'en reçut aucun secours efficace. Au bout de ses négociations, il resta seul dans la lice.

Philippe II n'avait pas renoncé à l'ambition de toute sa vie; malgré les échecs qu'il avait essuyés en Angleterre et en France, il poursuivait les desseins de la monarchie universelle sous le drapeau du catholicisme; comptant sur les intelligences qu'il conservait avec la Ligue, il fit une rude guerre à Henri IV. La prise de Calais effraya les Anglais. Quand ils se virent menacés eux-mêmes, ils consentirent à faire une ligue offensive et défensive avec la France. Les Provinces-Unies entrèrent dans l'alliance. Cette coalition des puissances maritimes avec un État militaire aurait pu devenir fatale à l'Espagne, si Élisabeth avait

(1) Lettres missives de Henri I, T. IV, p. 449.

(2) Flassan, Histoire de la diplomatie française, T. II, p. 156, ss.

(3) Lettres de Henri IV, T. IV, p. 462.

(4) Id., ibid., p. 475-478, 937.

mis toutes ses forces à la disposition de Henri IV; mais elle fut alliée tiède du roi de France, comme elle avait été défenseur peu zélé des huguenots. Henri lui écrivait les lettres les plus suppliantes : « Je ne puis croire, dit-il, que vous permettiez jamais et moins vouliez la ruine de votre meilleur frère et plus fidèle ami, la conservation duquel sert comme de trophée à votre bonté non moins que de votre prudence... Je ne vous affligerais de mon affliction, si je n'avais entière confiance en vous, et si je pouvais, sans vous, sortir de la perplexité en laquelle la prise d'Amiens a réduit mes affaires (1). » La défiance perce au milieu de la flatterie, et elle était légitime. Dans une lettre confidentielle adressée à son ambassadeur à Rome, le roi avoue que ses voisins, sur l'assistance desquels il avait compté, ne semblaient pas trop tristes de sa peine, qu'ils espéraient plutôt profiter de sa nécessité, principalement la reine d'Angleterre. En effet, Élisabeth n'eut pas honte de demander Calais, au cas que la ville fût reprise, et de surbordonner ses secours à cette restitution; Henri IV, indigné, répondit que s'il devait être dépouillé, il aimait mieux que ce fût par ses ennemis que par ses amis (2). Le roi écrivit à son ambassadeur à Constantinople ces paroles amères : « Quelque amitié qu'il y ait entre les princes, ils ne cèdent guère rien les uns aux autres de ce qui importe à leur grandeur, comme ceux qui font profit de tout ce qui se présente, sans avoir égard à l'intérêt de leurs plus chers amis: ce que pratiquent les Anglais plus que toutes les autres nations (3). »

Henri IV s'était promis une assistance sérieuse de sa puissante voisine, quand il s'engagea dans la lutte contre l'Espagne. Réduit pour ainsi dire à ses seules forces, il fut heureux d'accueillir les propositions de paix que lui fit Philippe II et qui aboutirent au traité de Vervins. La France, épuisée par un demi-siècle de guerres civiles, n'était pas en état de briser la puissance de la maison d'Autriche, et Henri IV apprit à ses dépens que les ProvincesUnies et Élisabeth ne tenaient à la guerre que dans leur intérêt. Lors des négociations de Vervins, les rôles changèrent subitement.

(1) Lettres de Henri IV, T. IV, p. 770.

(2) Id., ibid., p. 751. De Thou, Histoire universelle, livre CXVI. (3) Lettres de Henri IV, T. IV, p. 861.

Tant que les hostilités avaient duré, le roi de France dut supplier, implorer Élisabeth, pour en obtenir des secours qui n'étaient accordés que d'une main avare et jalouse; il dut plus d'une fois sommer les Provinces-Unies de remplir leurs engagements (1). Quand il s'agit de négocier la paix, ses alliés ne voulurent plus entendre parler que de guerre. Henri IV écrit à ses plénipotentiaires : « J'ai trouvé les députés des Provinces-Unies si farouches et aliénés de la paix, qu'à grande peine ai-je seulement pu leur faire comprendre les raisons et nécessités qui m'ont forcé d'entamer la négociation; ils ont reçu pour instruction de ne parler d'autre chose que de la continuation de la guerre (2). » Les Hollandais restèrent inébranlables, pendant tout le cours des négociations; ils disaient n'avoir autre pouvoir que d'offrir leurs forces pour continuer les hostilités (3). On conçoit leur opposition à toute idée de paix, ils étaient persuadés que la guerre était le seul moyen de les sauver (4). Il est plus difficile de comprendre la résistance d'Élisabeth, qui avait toujours témoigné tant de répugnance pour la guerre, et qui ne la faisait qu'avec mollesse et irrésolution. Sa politique, au dire d'un habile diplomate, était celle de l'égoïsme: << La reine d'Angleterre, dit Jeannin, voudra toujours ce qu'elle doit vouloir par raison d'État, et non pas plus avant (5). » Quel était donc son but en entravant les négociations de Vervins? Elle repoussait la paix, parce que la paix était favorable à la France; c'est Henri IV qui nous le dit : « Les ambassadeurs d'Angleterre eussent bien voulu par leurs dilations me faire perdre l'occasion. de pacifier mon royaume, pour faire toujours leurs affaires à mes dépens, et profiter de mes travaux. » Était-elle au moins décidée. à combattre sérieusement? Henri IV dit «< que ses ambassadeurs eussent bien voulu l'empêcher de faire la paix, sans engager leur maîtresse à la guerre (6). » « En définitive, écrit l'ambassadeur de France en Angleterre, ces gens-ci n'ont envie ni de paix ni de guerre, mais bien d'entretenir nos malheurs, pour mieux faire

(A) Lettres de Henri IV, T. IV, p. 797, s.

(2) Mémoires de Bellièvre et de Sillery, T. I, p. 207, s.

(3) Lettre de Henri IV à ses plénipotentiaires à Vervins. (Mémoires de du Plessis Mornay, T. VIII, p. 414.)

(4) Id., ibid., p. 313.

(5) Avis de Jeannin sur la paix future, dans les mémoires de du Plessis, T. VII, p. 531.

(6) Lettres de Henri IV, T. IV, p. 973, s.

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