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à-dire paraître sans art, sans apprêt, et comme né de l'action. 20. Il doit se faire par quelque événement imprévu, et non par un simple changement de volonté. Enfin, il doit être accompagné de succès et de joie, et du triomphe du héros. C'est une grande vertu que l'on donne à admirer: si elle échouait, elle serait plus digne de pitié que d'admiration. Aussi Achille, dans l'Iliade, triomphe d'Agamemnon et d'Hector: Ulysse, dans l'Odyssée, triomphe de ses malheurs et de ses ennemis Enée, dans l'Enéide, est vainqueur de Turnus.

3o. Merveilleux de l'action. Le merveilleux est le caractère propre de l'Epopée ; c'est ce qui distingue l'action Epique des histoires, et des sujets dramatiques, quoiqu'héroïques. Le merveilleux consiste à dévoiler les ressorts surnaturels d'un grand événement, et à mêler l'action des Dieux à celle des hommes, conformément aux idées religieuses de ceux à qui l'on raconte. Telle est la conduite d'Homère et de Virgile, et de ceux qui ont entrepris d'écrire en ce genre. Ce systême n'a rien que de noble, et il est digne de ceux à qui on l'attribue. Est-il un objet plus grand, plus convenable à un génie presque divin, que de peindre, dans un long ouvrage, un enchaînement et une subordination de causes, de montrer l'homme, et tout l'univers qui se remue, sous la main de l'Etre Suprême? Qu'on se moque, tant qu'on voudra, de la superstition payenne, des Dieux d'Homère et de Virgile cela ne réfute point leur systême d'Epopée. Quoiqu'il ne soit, dans son origine, que le fruit d'une

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superstition absurde qui atteste l'égarement des hommes, il n'en est pas moins vrai de dire que, du fond de cette Théologie ridicule, se présente à notre esprit cette grande et utile vérité, savoir; l'unité d'un Etre Suprême, maître et arbitre des Dieux et des hommes, qui règle par sa volonté les destinées des uns et des autres.

Or les Dieux, dans l'action du poême épique, peuvent agir de trois manières différentes ; ou séparément et indépendamment du héros ; c'est-à-dire en maîtres souverains qui règlent entr'eux le sort des hommes ; cette manière est la plus brillante : c'est ainsi que Junon, Eole, Jupiter, agissent dans le premier livre de l'Enéide : ou conjointement avec le héros sous une forme humaine, en sorte qu'ils ne laissent apercevoir qui ils sont qu'au moment où ils disparaissent: cette manière a moins de dignité, et c'est celle de Vénus et de Cupidon dans le même livre: ou enfin par songes, visions nocturnes quoique toujours sous une figure connue. Cette dernière manière est la moins noble, parce qu'on est presque maître de prendre pour rêverie ce qui est l'oracle du Ciel. Enée a souvent de ces avis de la part de son père.

Au reste, comme les Dieux doivent toujours faire la fonction de cause première, et les hommes celle de cause seconde, ils ne doivent paraître que de loin en loin dans les grandes entreprises, lorsque sans eux, faute de lumière et de force, le héros ne pourrait arriver au but où ils veulent qu'il arrive :

Nec Deus intersit, nisi dignus vindice nodus
Inciderit.
HOR. art. poet.

Alors toute l'industrie du poète doit se réduire à tirer le voile qui couvre les machines qui font jouer la nature, et à représenter la conduite du Dieu telle qu'elle doit être par rapport aux choses humaines.

SECTION TROISIÈME.

QUALITÉS DES ACTEUrs.

Les qualités des acteurs consistent dans le caractère et les mœurs qu'on leur donne.

Par caractère, l'on entend une disposition naturelle qui nous porte à agir d'une manière plutôt que d'une autre et par mœurs, une disposition acquise par la répétition des actes, soit que la nature nous y ait portés, ou l'éducation, ou l'exemple, ou la raison. Ordinairement le caractère et les mœurs se tiennent ensemble; car les mœurs sont fondées sur le caractère, et le caractère est renfermé dans les mœurs.

Les mœurs des acteurs épiques doivent être bonnes, convenables, égales et variées.

Elles seront bonnes, si elles ont de la conformité avec la loi naturelle qui commande la vertu et proscrit le vice. Cette bonté peut néanmoins souffrir dans les personnages poétiqnes quelque écart, ou quelque excês passager, où ils tombent par imprudence, par faiblesse, par emportement.

Elles doivent être convenables, c'est-à-dire, que les personnages doivent parler et agir selon leur sexe, leur âge, leur état, selon leur caractère, leur éducation, leurs passions,selon leur siècle,leur pays,leur gouvernement, et d'après l'histoire,ou la renommée,ou l'opinion reçue.

Elles seront égales, si elles se soutiennent partout.

de manière que les personnages se montrent jusqu'à la fin tels qu'ils ont paru dès le commencement. servetur ad imum

Qualis ab incœpto processerit, et sibi constet.
HOR. art. poet.

Enfin, elles doivent être variées, c'est-à-dire, que chaque acteur doit avoir son caractère particulier fondé sur la différence même des vertus, par exemple, la prudence dans le conseil, le feu dans l'exécution; ou sur la différence des degrés dans la même espèce de vertus, comme seraient les différents degrés de valeur ; ou enfin sur l'addition d'une autre qualité qui, sans être dominante, altère néanmoins la vertu principale, comme serait la prudence accompagnée de timidité dans l'un, et soutenue par la fermeté dans l'autre.

SECTION QUATRIÈME.

FORME DE L'ÉPOPÉE.

L'Epopée comprend ordinairement trois parties, la proposition du sujet, l'invocation, et le récit.

D'abord, la nature et le bon sens exigent que tout auteur, entrant en matière, propose ce dont il s'agit; et ce début doit être simple, clair et sans apprêt : c'est le précepte d'Horace et de Boileau:

Que le début soit simple, et n'ait rien d'affecté.
N'allez pas, dès l'abord, sur Pégase monté,

Crier à vos lecteurs d'une voix de tonnerre:

Je chante le vainqueur des vainqueurs de la terre.
Que produira l'auteur après tous ces grands cris?
La montagne en travail enfante une souris.

Oh! que j'aime bien mieux cet auteur plein d'adresse,
Qui, sans faire d'abord de si haute promesse,

Me dit d'un ton aisé, doux, simple, harmonieux:
Je chante les combats, et cet homme pieux,
Qui, des bords phrygiens conduit dans l'Ausonie,
Le premier aborda les champs de Lavinie.

Et

pour

Sa Muse, en arrivant, ne met pas tout en feu; donner beaucoup ne nous promet que peu. ART. poét. chant 3e. Après la proposition, le poète invoque une Divinité, de la quelle il obtient la révélation des causes surnaturelles de l'événement qu'il va raconter. Comme il ne peut savoir humainement ce qui s'est passé dans le Ciel, à propos, par exemple, de l'établissement d'Enée en Italie; il prie quelque Muse de l'en instruire. L'invocation peut être d'un style très-élevé : c'est une prière à un Dieu. On peut par conséquent y mettre beaucoup de chaleur, de force et de dignité: elle est de soi Lyrique. Muse, dit Virgile,

Muse, raconte-moi ces grands événements :
Dis pourquoi de Junon les fiers ressentiments,
Poursuivant en tous lieux le malheureux Enée,
Troublèrent si longtemps la haute destinée
D'un Prince magnanime, humain, religieux.
Tant de fiel entre-t-il dans les ames des Dieux?
DELILLE.

Le poète, se supposant exaucé, commence enfin son récit d'un ton soutenu et presque prophétique. On sent que c'est un Dieu qui parle, et qui fait un récit à des Dieux,

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