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n'est pas le récit d'une seule action, mais de plusieurs ; d'avec l'histoire qui ne va pas jusqu'au merveilleux ; d'avec le drame qui n'est pas un récit; et d'avec les autres petits poêmes, dont les sujets n'ont rien de grand, d'héroïque et de merveilleux.

SECTION PREMIÈRE.

MATIÈRE DE L'ÉPOPÉE.

La matière du poême Epique est une action héroïque et merveilleuse. Par conséquent la vie totale d'un héros, qui peut être la matière de l'histoire, ne saurait l'être du poême épique : 1o. parce que toutes les actions d'un héros ne sont point héroïques, et que ses efforts pour faire des prodiges peuvent être interrompus par des repos de plusieurs années. 20. Parce qu'une vie entière serait un champ trop vaste pour qu'on pût l'embrasser d'un seul coup d'œil, en saisir les rapports, et en voir la beauté. 3o. Parce que les faits n'étant pas nécessairement enchaînés les uns avec les autres pour arriver à une fin qui les embrasse tous comme moyens, le lecteur n'aurait point d'intérêt qui le menât jusqu'au bout du poème.

On est convenu que l'action de l'Epopée, dans le récit du poète, pourrait occuper l'espace d'un an, mais pas plus, à commencer du moment où il entre en matière jusqu'à la fin. Si cependant l'entreprise a plus d'étendue, le poète pourra faire naître une occasion où son héros racontera le reste de ses aventures, comme Virgile le fait dans son Enéide.

SECTION SECONDE.

QUALITÉS DE L'ACTION de l'épopée. L'action de l'Epopée doit être une, intéressante et merveilleuse.

1o. Unité de l'action. Toute action épique doit être une. Plusieurs actions qui marcheraient ensemble partageraient le cœur, et rendraient ses mouvements incertains, si elles intéressaient également; et, si elles n'étaient pas également intéressantes, l'une donnerait du dégoût pour l'autre. C'est pourquoi le goût a décidé que l'action serait une.

* Mais d'où dépend l'unité de l'action? Elle dépend uniquement de la fin que se propose le poète, et qu'il annonce par ce qu'on appelle le prologue, ou la proposition du sujet. Par exemple: si Virgile avait dit : je chante le désespoir de Didon; son poême n'eût contenu qu'un livre; et cependant il eût fait un tout. De même, s'il eût dit: je chante la descente d'Enée aux enfers, l'action de son poême eût été entière, sans avoir plus de cinq à six cents vers. Mais ayant dit: je chante un héros qui par mille travaux s'établit en Italie; toutes les traverses qu'essuie ce héros pour faire cet établissement sont du sujet du poême. L'u nité d'action n'empêche cependant pas l'usage des Episodes, pourvu qu'il soit sobre et adroit.

On entend par épisodes "certaines petites actions "subordonnées à l'action principale, qui ne sont "mises que pour délasser le lecteur par une variété "étrangère à celle du sujet même, et qui pourraient "se détacher sans empêcher l'action principale d'ar

"river à sa fin." Telle est dans l'Enéide l'aventure de Cacus racontée par Evandre, celle de Nisus et d'Euryale. Ces morceaux pourraient être détachés, que l'Enéide ne serait pas moins un poême.. Lorsque les Episodes sont amenés par les circonstances, qu'ils sont courts à proportion que leur matière est éloignée du sujet, qu'ils offrent des objets différents de ceux qui les précèdent et qui les suivent, et qu'ils ont le ton général de l'ouvrage, ils contribuent merveilleusement à délasser le lecteur.

2o. Intérêt de l'action. Il y a deux manières d'intéresser; l'une qui tient à la nature de l'action, des circonstances, des personnes, des temps, et des lieux; l'autre qui dépend de la nature des obstacles à surmonter. La première nous émeut, c'est le touchant; la seconde excite notre curiosité, et c'est le piquant.

Le touchant renferme plusieurs sortes d'intérêt. L'intérêt de nation: Un Romain s'intéresse à l'entreprise d'Enée, parce qu'il est Romain. L'intérêt de religion: un Chrétien s'intéresse à l'entreprise de Godefroi, qui veut délivrer. le tombeau du Sauveur. L'intérêt de la nature ou de l'humanité: tout homme s'intéresse aux malheurs d'un homme qui essuie tous les maux que l'humanité peut éprouver, et qui néanmoins les surmonte par sa patience et sa prudence. Ces trois sortes d'intérêt doivent se réunir dans l'action du poême épique. L'Iliade et l'Odyssée les réunissaient pour les Grecs, de même que l'Enéide pour les Romains. Aujourd'hui nous ne trouvons

dans ces poêmes que l'intérêt de l'humanité, qui vit autant que le genre humain, et qui assure à un poême l'immortalité.

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L'intérêt de l'humanité se partage en plusieurs branches, dont chacune est l'objet principal de quelque genre de poésie.

L'Epopée, qui propose des objets héroïques et merveilleux, attire les hommes par la curiosité, et les soutient par l'admiration.

La Tragédie, qui intéresse par l'atrocité des événements, nous appelle par le sentiment de la compassion, et nous retient par celui de la terreur.

La Comédie, qui nous plait par la singularité et la bizarrerie des entreprises ou des mœurs, nous réjouit en nous faisant rire.

La Poésie pastorale nous charme par sa douceur et sa simplicité, et par l'idée de repos qui l'accom-. pagne.

Mais comme l'Epopée est la mère et la source de tous ces genres, elle doit en renfermer tous les intérêts. Quand elle a étonné le lecteur par la colère de Junon, qui fait déchaîner les vents; par la puissance de Neptune, qui calme les flots; elle l'attendrit et le trouble par les horreurs d'une ville saccagée, par l'amour d'une Princesse qui meurt désespérée. Quelquefois même, mais rarement, elle peint un Thersite, ou un pilote jeté par dépit dans la mer, et qui, revenant sur les flots, vomit l'onde salée. Enfin, quand le poète en trouve l'occasion, il décrit un paysage; il peint le repos de la vie champêtre, les festins rustiques du bon

Evandre, et les rayons du soleil naissant qui l'éveillent avec le ramage des oiseaux. Pour être Poète tragique, ou comique, ou berger, il ne faut avoir qu'une partie: mais pour être Poète épique, il faut les avoir toutes, et dans un degré éminent. Le Poète épique est le peintre de tout l'univers.

Le piquant, ou la seconde manière d'intéresser est celle qui vient des obstacles, lorsque le héros trouve une forte opposition à ses desseins. Les obstacles présentés s'appellent nauds, et la manière dont on les force s'appelle dénouement. Une action sans naud est presque toujours sans intérêt; parce que c'est la difficulté qui irrite les passions, et qui met en œuvre les grandes vertus. Ainsi toute action poétique doit avoir un neud.

Qn distingue dans un poême nœud principal, et næuds subordonnés. Le nœud principal doit être unique; les autres seront multipliés selon le besoin et la vraisemblance. Le nænd principal de l'Enéide est la colère de Junon qui s'oppose à l'établissement d'Enée en Italie. Les nœuds subordonnés sont les effets de cette colère: c'est une tempête qui rejette Ence loin de l'Italie: c'est l'amour d'une Princesse qui veut retenir ce héros à Carthage: c'est la valeur d'un Prince qui s'oppose à l'établissement de ce héros. Ces trois nœuds sont subordonnés à un nœud supérieur qui les embrasse, de manière qu'ils font plutôt trois branches d'un même noud, que trois nœuds séperés.

Quant au dénouement, il doit être 1o. naturel, c'est

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