soutenu, et prouvé par les discours et par les mœurs ; et tout cela à l'imitation des hommes dont les animaux deviennent les copistes, et prennent les rôles, chacun suivant une certaine analogie de caractère, 3o. On ajoute le récit d'une action allégorique, c'est-à-dire, qu'elle couvre une maxime instructive, ou quelque vérité. Tous les Apologues sont des miroirs où nous voyons la justice ou l'injustice de notre conduite dans celle des animaux, dont les actions supposées nous apprennent à connaitre les hommes. Le Loup et l'Agneau sont deux personnages, dont l'un représente l'homme injuste et puissant; et l'autre, l'homme innocent et faible. Celui-ci, après d'injustes traitements, est enfin la victime du premier : c'est ainsi qu'on reconnait les hommes dans l'action des animaux. La vérité, qui résulte durécit allégorique de l'Apologue, s'appelle moralité: elle doit être claire, courte, et intéressante. En conséquence, il n'y faut point de métaphysique, point de périodes, point de vérités trop triviales, comme serait celle-ci: qu'il faut ménager sa santé. Phèdre et Lafontaine placent indifféremment la moralité tantôt avant, tantôt après le récit, selon que le goût l'exige ou le permet. L'avantage est à peu près égal pour l'esprit du lecteur qui n'est pas moins exercé, soit qu'on la place avant ou après. Dans le premier cas, on a le plaisir de combiner chaque trait du récit avec la vérité dans le second cas, on a le plaisir de la suspension. Nous devinons ce qu'on veut nous apprendre; et nous avons la sa tisfaction de nous rencontrer avec l'auteur, ou le mérite de lui céder, si nous n'avons pas réussi. 40. On dit que c'est le récit d'une action allégorique, attribuée ordinairement aux animaux. Ici l'on objectera peut-être,qu'il est contre la vraisemblance que des animaux parlent. Cette supposition, toute hardie qu'elle parait, a néanmoins quelque chose de vrai, puisqu'il n'y a rien dans la nature qui n'ait son langage, qui ne parle du moins aux yeux, et qui ne porte dans l'esprit du sage des idées aussi claires, que s'il se faisait entendre aux oreilles. C'est sur ce principé que les inventeurs de l'Apologue ont cru qu'on leur passerait de prêter la raison et la parole non seulement aux animaux, mais à tout ce qui existe dans la nature, pourvu néanmoins qu'ils conservassent à leurs acteurs les caractères et les habitudes que nous leur connaissons. Si l'on se sert des animaux pour instruire les hommes, c'est que nous n'aimons point à recevoir des leçons de nos semblables, et que nous écoutons sans prévention ceux qui nous jugent sans passion. 5o. Enfin cette action allégorique est ordinairement attribuée aux animaux. On dit ordinairement, parce qu'on peut en prendre ailleurs le sujet : l'essentiel est que l'allégorie s'y trouve. Delà vient que l'on distingue trois sortes de fables; les fables morales où les personnages ont, par emprunt, les mœurs des hommes, sans avoir la raison qui en est le principe, comme le loup et l'agneau; les fables raisonnables, ainsi nommées parce que les personnages qu'on y emploie ont l'usage de la raison, comme le vieillard et les trois jeunes gens; enfin les fables mixtes où un personnage raisonnable agit avec un qui ne l'est pas, comme l'homme et la couleuvre. Nous allons faire voir les règles générales de l'Apologue observées dans la fable du loup et de l'agneau. Un agneau se désaltérait Dans le courant d'une onde pure : Voilà un acteur avec un caractère connu, et en même temps le lieu de la scène. Un loup survient à jeun, qui cherchait aventure, Et que la faim en ces lieux attirait: Voilà l'autre acteur aussi avec son caractère, et outre cela avec sa disposition actuelle. L'action et le nœud commencent. Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage? Tu seras châtié de ta témérité. Le caractère du loup se soutient dans ce discours, de même que celui de l'agneau dans le suivant: Sire, répond l'agneau, que votre Majesté Ne se mette point en colère; Que je me vas désaltérant Dans le courant, Plus de vingt pas au dessous d'elle; Et que par conséquent en aucune façon Je ne puis troubler sa boisson. On remarque assez le contraste des caractères et des mœurs exprimé par le discours; l'action continue: Tu la troubles, reprit cette bête cruelle ; -Je n'en ai point.-C'est donc quelqu'un des tiens: Vous, vos bergers et vos chiens. On me l'a dit: il faut que je me venge. Le loup l'emporte, puis le mange, Sans autre forme de procès. Le dénouement est arrivé ; et il est tel qu'il devait être, pris dans le principe de l'action même, dans l'injustice et la cruauté qui accompagnent la force. Cette petite Tragédie excite, à sa manière, la terreur et la pitié on plaint l'agneau; on déteste l'assassin; et l'on sent parfaitement l'allégorie, et la moralité que l'auteur a voulu tirer, et qu'il a placée au commencement de sa fable, savoir: que la raison du plus fort est toujours la meilleure. SECTION PREMIÈRE. DU STYLE DE L'APOLOGUE. Le style de la fable doit être simple, naturel, naïf, familier, riant et gracieux. 1o. La simplicité consiste à dire en peu de mots, et avec les termes ordinaires, ce que l'on veut dire, sans dessein apparent de plaire. Rien ne nuit tant à la fable que l'appareil et l'air de dessein ; ils mettent le lecteur en garde contre l'insinuation. Voici un modèle du style simple, dans l'entretien du Savetier et du Financier. Un Savetier chantait du matin jusqu'au soir : C'était merveille de le voir, Merveille de l'ouïr: il faisait des passages, Plus content qu'aucun des sept sages. Le chanteur, et lui dit: or çà, Sire Grégoire, Le gaillard Savetier, ce n'est pas ma manière Chaque jour amène son pain. LIV. 8. Fable 2e. La fable suivante est encore un modèle de style simple. Socrate un jour faisant bâtir, Chacun censurait son ouvrage. L'un trouvait les dedans, pour ne lui point mentir, Indignes d'un tel personnage: L'autre blâmait la face; et tous étaient d'avis |