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Elle est encore moins capable, ajoute-t-il, de ces traits éclatants dont se sert la Poésie pour produire ces émotions qu'elle excite dans le cœur, qui remuent l'ame, et jettent le trouble dans l'esprit par le mouvement des passions. L'histoire, qui est simple et naïve, et qui ne veut point m'en faire accroire, doit me laisser le cœur libre, pour juger płus sainement de ce qu'elle me dit. L'éloquence peut entreprendre sur ma liberté, en s'efforçant de me persuader malgré moi. Mais l'histoire, qui se renferme dans les bornes d'une instruction toute pure, ne peut avec bienséance se servir de figures, que pour ôter à la narration sa froideur naturelle, et l'empêcher d'être ennuyeuse. Il faut donc que les figures, pour y être employées, aient de la pudeur et de la modestie; qu'elles ne soient ni éclatantes, ni saillantes, si ce n'est peut-être dans la description d'une bataille, ou bien dans une harangue militaire, où l'historien peut quelquefois déployer les voiles de son éloquence, sans pourtant s'élever trop haut.

SECTION QUATRIÈME.

DE L'HISTOIRE PARTICULIÈRE, DES ABRÉCÉS, DES ANNALES, DES MÉMOIRES, DE L'HISTOIRE LITTÉRAIRE, DE L'HISTOIRE NATURELLE, ET DU ROMAN.

Autre chose est une histoire générale, et autre chose une histoire particulière. L'histoire générale est celle qui embrasse les faits de toute une époque, ou ceux d'un empire, d'un royaume, d'une république,

pendant toute sa durée. Telles sont l'histoire Ancienne, l'histoire Romaine, l'histoire de France ou d'Angleterre. Mais l'histoire particulière est celle qui traite quelque grand événement, ou quelque période qui peut être conçue comme faisant un tout. Telle est la Cyropédie de Xénophon, les guerres de Catilina et de Jugurtha par Salluste, l'histoire des Croisades par Michaud, et celle de la révolution française par de Conny,

Quand l'histoire ne renferme que la vie d'un homme, elle s'appelle biographie. L'historien n'y doit rapporter que les événements publics, où son personnage aura joué un rôle considérable. Il doit principalement s'arrêter sur les détails de sa conduite particulière, développer d'une manière nette et précise les motifs de ses actions, et former sous des traits bien marqués le tableau de ses faiblesses et de ses vertus. Les réflexions y doivent être peu nombreuses, et surtout placées à propos.

Mais il faut remarquer, qu'il y a une différence assez essentielle entre l'histoire et la vie d'un homme illustre. Dans la première, on considère l'homme public plus que l'homme privé; dans la seconde, on considère autant l'homme privé que l'homme public. Si, par exemple, on écrit l'histoire d'un Général, on doit rapporter en détail toutes ses actions guerrières, ainsi que les événements qui s'y trouvent liés, et passer légèrement sur sa conduite privée. Si on écrit la vie de ce Général, on doit y joindre, au récit circons

tancié de tous ses faits d'armes, celui de ses actions particulières.

Au reste, les vies des hommes illustres ont ce grand avantage, de nous faire commencer l'étude du cœur humain, en nous montrant les hommes de près et tels qu'ils sont. Quel fruit ne peut-on pas retirer de cette lecture! C'est là, plus que partout ailleurs, que l'histoire instruit les hommes par les hommes mêmes. Les grands événements de l'histoire générale nous frappent, nous étonnent, nous jettent dans l'admiration. Mais ils nous font sentir en même temps notre impuissance de nous élever jusqu'à l'imitation de ces actions d'éclat, qui ont fixé la destinée des empires et le sort des peuples; au lieu que nous ne jugeons pas au dessus de nos forces morales les actions particulières d'un homme, quelque illustres qu'aient été son rang et sa naissance.

-Les abrégés d'histoire ont une grande utilité, lorsqu'ils sont bien faits. Les ignorants y puisent des connaissances générales, et les savants y retrouvent certains faits, dont ils avaient perdu le souvenir. Ces sortes d'ouvrages ne sont susceptibles ni de grands détails, ni de riches ornements. Il faut cependant n'y rien omettre d'essentiel, y rapporter tous les faits vraiment importants, avec leurs principales circonstances, et dire assez de choses pour instruire et intéresser le lecteur. C'est ici qu'un discernement juste est surtout nécessaire. Il faut de plus le talent rare de dire beaucoup en peu de mots, c'est-à-dire la plus grande précision dans le style; qualité, il est vrai, qui n'est

pas la plus brillante, mais qui peut être la plus difficilè de toutes.

On entend généralement par annales, une collection de faits rangés selon l'ordre chronologique, destinée à servir de matériaux à l'histoire, plutôt qu'à en former une par eux-mêmes. Ainsi,tout ce qu'on demande de l'Annaliste, c'est d'être fidèle; distinct et complet.

-Les mémoires sont une composition historique, où l'auteur ne prétend pas donner une instruction pleine sur tous les événements du temps qu'il décrit,mais se borne à rapporter ce dont il a eu personnellement connaissance, ou les choses auxquelles il a pris part, ou ce qui peut jeter du jour sur la conduite de quelque personnage, sur les circonstances de quelque événement *qu'il a choisi pour en faire le sujet d'un ouvrage. On n'attend donc pas d'un auteur de mémoires la même profondeur de recherches, la même étendue de connaissances, que de l'historien proprement dit. Il n'est pas obligé, comme celui-ci, de soutenir invariablement un ton de dignité et de gravité. Il peut parler librement de lui-même, et raconter les anecdotes les plus familières. Ce qu'on exige surtout de lui, c'est qu'il soit intéressant et animé ; qu'il rapporte des faits curieux et utiles; qu'il communique enfin des connaissances de quelque prix, et qui vaillent la peine d'être acquises.

-L'histoire littéraire comprend la naissance, les progrès, la perfection, la décadence et le renouvellement des sciences et des arts, et doit en même temps offrir un tableau de ce qu'ils ont produit, dans les dif

férents siècles, de plus agréable, de plus grand et de plus utile. Le principal devoir de l'historien littéraire est de distinguer le ton; le talent, le génie particulier de chaque auteur, de les peindre tous et de les caractériser d'après leurs ouvrages, dont il doit donner une analyse exacte avec une critique judicieuse et impartiale. L'histoire de la littérature est encore à faire. Le Cours de La Harpe peut y suppléer; mais il est loin d'être complet, excepté pour l'art dramatique.

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- L'histoire naturelle a pour matière tous les ouvrages dont le souverain Créateur a embelli le globe que nous habitons, toutes les productions que la terre étale à nos yeux ou qu'elle cache dans son sein. Elle comprend 1o, le règne animal, c'est-à-dire les mœurs et le caractère des différentes espèces d'animaux, leur formation, leur structure, leur manière de vivre, leur industrie: 20. le règne végétal, c'est-à-dire le dénombrement des plantes qui croissent sur le sommet des montagnes, au milieu des plaines, dans le creux des vallées, à l'ombre des forêts: 3°. le règne minéral, c'est-à-dire la diversité des métaux, des minéraux et de toutes les substances qui se trouvent dans les entrailles de la terre. L'historien doit être ici un sage -et laborieux observateur: il faut qu'il ait assez d'intelligence pour bien voir, assez de patience pour bien observer, assez de pénétration pour tout approfondir, assez de sagacité pour ne rien confondre. Pline le Naturaliste et Buffon ont exécuté en partie, avec une rare magnificence, le plan d'une histoire naturelle.

Le Roman n'est pas, comme on pourrait le croire,

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