Page images
PDF
EPUB

à l'historien d'un artifice qui anime le récit, sans faire tort à la vérité. On sent néanmoins que ces beautés sont voisines du vice, en ce qu'elles peuvent trop suspendre la marche du récit, et par là le faire languir. L'historien ne doit jamais oublier qu'il n'est qu'un témoin fidèle, et que c'est une déposition qu'on lui demande.

SECTION TROISIÈME.

STYLE DE L'HISTOIRE GÉNÉRALE.

Le style de l'histoire doit être clair et naif, parce que la clarté est la règle de ce qu'elle doit dire, comme la vérité est la règle de ce qu'elle doit penser. It doit être pur; car, quand on veut instruire, il est nécessaire de s'expliquer nettement pour se faire entendre; et, quand on parle bien, on se fait écouter de tout le monde. Il doit être rapide; parce que l'historien se hâte d'arriver à l'événement, et de le faire connaître. Il doit être simple, pour éviter l'air pompeux et affecté, si contraires l'un et l'autre au grand caractère qui règne dans l'histoire, parce que tout ce qui est grand cesse de l'être, dès qu'il n'est pas simple, et que ce qui est simple et grand tout ensemble, redouble de grandeur, et devient en quelque façon sublime. En même temps il doit être noble, sans négligence et sans platitude, sans trivialité et sans bassesse. Enfin, proportionné au sujet : une histoire générale s'écrit d'un autre ton qu'une histoire particulière: le style en est plus périodique et plus nombreux; c'est presque un discours

1

soutenu. C'est pour cela que Tite Live et Tacite ont une manière plus élevée que Cornelius Nepos. Le caractère même de l'écrivain contribue souvent, autant que le sujet, à lui donner plus ou moins d'élévation; et, quelque effort que l'on fasse, on ne peut s'oublier assez soi-même pour ne pas assaisonner les choses à son goût. Car le goût est la loi qui doit guider l'écrivain; il s'agit pour lui de l'avoir bon.

On pourrait demander ici si le style de l'histoire est susceptible de réflexions, de portraits, de descriptions, et de figures oratoires. Voici ce que nous croyons pouvoir répondre.

1o. Un des plus grands défauts de l'historien serait de s'attacher à philosopher indifféremment sur tout ce qui se présente à lui, et d'ôter par là au lecteur le plaisir qu'il trouve dans la liberté de faire lui-même ses réflexions, sans qu'on le prévienne. Les réflexions ne sont bonnes que quand elles n'ont presque pas l'air de réflexions. Outre que, pour les faire à propos, il faut savoir exactement la vraie morale, qui est le fondement de la bonne politique: ceux qui veulent moraliser sur toutes choses, sortent évidemment du carac tère de l'histoire, qui est racontante et non discutante,

Un sage historien ne mêle à son récit quelques réflexions,que quand elles sont tirées naturellement du fond du sujet: il observe qu'elles ne soient ni trop fines,ni trop étudiées ; qu'elles n'aient pas le tour de pointes qu'un petit génie fait jouer sur les paroles; qu'elles aient moins d'éclat que de solidité; qu'elles approchent plus du raisonnement d'une sage politique, que du ton L

sentencieux d'un philosophe, et de l'affectation d'un déclamateur; qu'elles ne soient ni trop fréquentes, ni trop longues, ni trop détachées, mais rares, courtes, et enchâssées en quelque sorte dans le corps de l'ouvrage; enfin, qu'elles n'aient jamais cet air guindé et suffisant, qui donne toujours mauvaise opinion de celui qui les fait.

2o. Quoique l'histoire soit le portrait le plus fidèle des personnes dont on parle, et que rien ne dévoile mieux leur caractère que la suite de leurs actions, néanmoins l'historien peut faire quelquefois les portraits des principaux acteurs de son récit. Celui de Catilina dans Salluste, à l'entrée de son histoire, donne une grande idée de ce Chef de conspiration, qui remue tout sans se montrer, qui jette l'alarme dans Rome, et fait trembler l'Italie. C'est ainsi qu'on peut deviner ce qui arrivera de la guerre d'Adherbal et de Jugurtha, après que le même auteur a décrit le génie de l'un et de l'autre ; et qu'on connaît à fond Sylla et Marius par la peinture qu'il a tracée de ces deux illustres Généraux. Mais c'est un coup de maître, que de bien saisir ainsi les caractères; car ces portraits doivent être réels, ressemblants, formés de traits singuliers et essentiels, faits à propos, pour des personnages importants, et pour servir à mieux faire connaître le génie de ceux dont on parle.

3o. On ne peut être trop circonspect dans l'usage des descriptions. Le principe à observer est, qu'il n'en faut qu'autant qu'il est nécessaire pour faire mieux sentir les choses, dont la connaissance est essentielle

ou utile à ce qu'on écrit. Telle est la description de l'Ile de Caprée au livre quatrième des Annales de Tacite; car elle marque les raisons qu'eut Tibère de s'y retirer sur la fin de ses jours; et, étant concise et polie, et n'ayant rien de superflu, on peut dire qu'elle est comme il faut. La description du lieu où Jugurtha fut défait par Métellus, dans Salluste, sert à mieux faire comprendre le combat: on y reconnaît la valeur du Romain, aussi bien que l'expérience du Roi de Numidie,par l'avantage qu'il avait pris en se saisissant des hauteurs. La peinture du poste où Annibal attaqua Minutius, au livre vingt-deuxième de Tite Live, est un endroit bien touché; et la situation de la ville de Pella, Capitale de la Macédoine, après la défaite du Roi Persée par Paul-Emile au livre quarante-quatrième, est élégante, succincte, à propos, et bien placée. Les descriptions peuvent donc être permises . dans l'histoire pour égayer la narration, pourvu qu'elles y soient en leur place, et sans cette superfluité dont elles sont ordinairement accompagnées dans les jeunes historiens et dans les écrivains romantiques. L'affectation, qu'ils ont de briller par là, les fait tomber dans des puérilités qui font pitié aux personnes sensées et judicieuses. C'est donc avec bien de la raison que Lucien, dans son livre sur la manière d'écrire l'histoire, s'emporte contre l'impertinent historien de son temps, qui se plaisait si fort à faire de grandes descriptions de montagnes, de villes, et de batailles, qu'elles surpassent, dit-il, par leur froideur, toutes les neiges et toutes les glaces du Septentrion.

4o. L'emploi des figures doit être aussi extrémement sage et modéré ; parce que les figures sont faites pour exprimer les passions: or un historien n'a point de passions: il n'a ni amis, ni ennemis, ni parents, ni patrie: il n'a rien ou presque rien à prouver ou à dé̟truire; il n'accuse, ni ne défend; tout son office se borne à exposer la chose comme elle est. Si donc l'histoire se sert de figures oratoires, c'est seulement pour s'animer. L'orateur, qui veut imposer, ne parle presque que figurément, afin de mieux faire jouer les ressorts de son art: mais l'historien, qui ne pense qu'à instruire, en doit user tout autrement. La simplicité même, que demande la vérité de l'histoire, ne s'ac commode pas de ces airs figurés, qui blesseraient sa candeur et son ingénuité ; et la vérité de l'histoire ellemême devient suspecte, si elle est trop ornée. Les tours recherchés, les expressions sonores, les phrases ronflantes, les pensées brillantes et métaphoriques, sont plus d'un Rhéteur ou d'un déclamateur, qui veut attirer sur lui une partie de l'attention qui n'est due qu'au sujet, que d'un homme de bon sens et de bon goût. Tout cet appareil, toute cette enflure de style défigure l'histoire plutôt qu'il ne l'embellit, et lui donne l'air fastueux et apprêté du Roman.

Lucien, qui est partout admirable, ne l'est nulle part autant, que quand il s'élève contre ces vains ornements de l'éloquence, qui ne conviennent point à l'histoire. Si vous y mêlez trop d'ornements, dit-il, vous la rendez semblable à Hercule paré des atours de Aresse: ce qui est la dernière des indécences.

« PreviousContinue »