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XLV. L'Homme et ses deux Amantes.

UN Homme de moyen âge, ni jeune ni vieux, mais qui commençait déjà à grisonner, pensait sérieusement au mariage. Ce n'était pas par intérêt qu'il cherchait une femme. Il était riche, et ne pouvait manquer d'en trouver une; mais il voulait choisir, et il avait raison.1

Il y avait dans une maison2 deux femmes qui demeuraient ensemble: l'une jeune, l'autre plus âgée, mais qui était encore néanmoins très aimable. Elles souhaitaient toutes deux l'avoir pour mari, et | elles s'efforçaient de lui plaire en tout. Comme elles_ajustaient un jour sa tête, la plus jeune lui arracha tous les cheveux blancs,3 afin qu'il ne semblât pas plus âgé qu'elle: tandis que, de son côté, la plus vieille arrachait tous les noirs, de sorte que le Galant demeura chauve. Je vous suis réellement obligé, mes Belles, leur dit-il, de m'avoir si bien tondu. J'y gagne plus que je n'y perds, car je ne veux plus me marier. Celle de vous, que je prendrais pour femme, voudrait que je vécusse à sa façon, et non à la mienne. Je ne suis point de cet avis-là. Je suis bien aise d'en être quitte pours mes cheveux.

Il arrive souvent, qu'une petite perte est la cause d'un grand gain.

1 Il avait raison, "he was right." The learner should carefully observe the idioms; vous avez raison, “you are right," literally, "you have reason," and its opposite, vous avez tort, "you are wrong."

2 Il y avait dans une maison, "there were in the same house."
3 Blancs. This word is pronounced like blong; the c is silent.
4 Je ne suis point de cet_avis-là, "I am not at all of that opinion."
5 D'en être quitte, "to have come off only with the loss of

my hairs."

XLVI. La Tortue et l'Aigle.

LA Tortue, mécontente de sa condition, souhaita devenir oiseau. Elle trouvait ennuyeuse la vie qu'elle menait, rampant toujours à terre, avec une maison sur le dos, tandis que tant d'autres_animaux_ont la liberté de voyager par tout où ils veulent. Il y a tant de plaisir à voir de nouveaux pays, et | à en connaître les divers habitans. Elle alla donc trouver un Aigle, pour le prier de lui apprendre à voler. Elle ne pouvait manquer sans doute d'apprendre bientôt, car elle avait beaucoup d'inclination pour cet art. L'Aigle fit tout ce qu'il put pour s'en excuser, et lui représenta même combien cela était1 contraire à ses dispositions naturelles. Mais comme c'est l'ordinaire des_opiniâtres, plus l'un s'y opposait, plus l'autre le voulait absolument. L'Aigle voyant qu'il n'y avait pas moyen de l'en dissuader, la prit entre ses serres, l'enleva bien haut dans l'air, et puis la laissa tomber sur un rocher, où elle fut mise en pièces.

Le malheur de la Tortue doit apprendre aux ambi tieux, que ceux qui veulent s'élever trop haut, font souvent des chûtes très-funestes.

XLVII. L'Écrevisse, et sa Fille.

La vertu

De tout exemple domestique

Est universelle, et s'applique

En bien, en mal, en tout.-LA FONTAINE.

UNE Écrevisse, usant du privilège de mère, réprimandait

1 Combien cela était contraire, "how contrary it was to his natural disposition."

2 Bien haut dans l'air, "very high in the air."

sa fille. En vérité comme vous marchez lui disait-elle. Ne sauriez-vous marcher droit? Ma mère, répondit la fille, puis-je marcher autrement que vous ne faites? Je vous vois toujours aller à reculons.

Si nous voulons que nos avis soient utiles, il faut pratiquer nous-memes ce que nous enseignons aux autres. Cette maxime regarde principalement les pères et les mères: car ils sont obligés de corriger leurs enfans, et de les avèrtir de leurs défauts: mais leurs remontrances ne servent de rien, s'ils ne leur donnent eux-mêmes de bons exemples.

XLVIII. La Corneille et la Cruche.

UNE Corneille, ayant3 soif, trouva une Cruche où il y avait de l'eau. Mais comme il n'y en avait guère, et que la Cruche était profonde, elle ne pouvait y atteindre pour se désaltérer. Elle essaya d'abord de la casser avec son bec, puis de la renverser; mais n'étant pas assez forte pour le faire, elle s'avisa enfin d'y jeter dedans une quantité de petits cailloux, qui firent monter l'eau assez haut pour qu'elle pût boire.

La nécessité fait naître des inventions, auxquelles on ne penserait jamais, si l'on ne se trouvait pas dans des conjonctures fâcheuses.

1 Si nous voulons. This moral is given as it appears in the author's genuine edition.

Defauts. The final letters ts are silent in this word.

3 Ayant soif, "being thirsty," literally, "having thirst." The pupil should carefully observe the use of the verb avoir in similar expressions. "To be cold," is in French, "avoir froid," "to be hungry" is "avoir faim."

XLIX. Le Satyre et la Villageois.

UN Villageois, ayant rencontré dans une forêt un Satyre à moitié mort de froid, le mena dans sa maison. Le Satyre, voyant que cet homme soufflait dans ses mains, lui en demanda la raison. C'est, répondit-il, pour les réchauffer. Peu de temps après, s'étant mis à table, le Satyre vit que le Villageois soufflait sur son potage. Il lui demanda pourquoi il le faisait. Pour le refroidir, répondit l'autre. Alors le Satyre se leva de table, et sortit de la maison, en disant: Je ne veux point de commerce avec un homme qui souffle le froid et le chaud de la même bouche.

On ne doit pas associer avec un homme à deux visages.

L. Le Manant et l'Oie aux oeufs d'or.

L'avarice perd tout en voulant tout gagner.-LA FONTAINE.

UN Manant avait une Oie? qui lui pondait tous les jours, un œuf d'or. Il s'imagina follement qu'il y avait, dans cette Oie, une mine de ce précieux métal, et il la tua pour s'enrichir tout-d'un-coup. Mais quelle fut sa surprise, quand, ayant ouvert son Oie, il trouva seulement au lieu d'or, ce qu'il y a dans les oies ordinaires. Il perdit par sa convoitise, des richesses médiocres, pour avoir voulu s'en procurer tout-d'un-coup d'immenses.

Modérez vos désirs: car bien souvent3 on perd tout, quand on veut trop_avoir.

1 Villageois. The final letters geois are pronounced like joi.

2 Oie is pronounced like the letters wa in the word "water."

3 Bien souvent, 66 very often." Bien is frequently used in the sense of our English word "very," as, bien aisé, "very glad."

LI. Le Singe et ses deux Petits.

UN Singe avait deux petits jumeaux Il en aimait un passionnément, et ne pouvait souffrir l'autre. Le favori était beau comme le jour, spirituel et | aimable au possible; (du moins son papa le croyait ;) il était alerte; il dansait1_et sautait avec une grande légèreté, et faisait toutes sortes de singeries qui le faisaient rire. Un jour, par malheur, il se démit la jambe en sautant, et fit des cris qui firent accourir sur le champ son père. Il le prit entre ses bras, et à force de l'embrasser, il l'étouffa.

Les tendresses excessives des pères et des mères envers leurs enfans, sont bien souvent la cause de leur perte.

LII. Le Renard et le Léopard.2

LE Léopard vantant un jour beaucoup sa peau tachetée en presence du Renard, celui-ci lui dit tout-bas, que la beauté d'esprit etait préférable à celle de la peau.

Il y a différentes sortes de biens, qui ont leurs différens degres de bonte. Les biens de la Fortune, comme les richesses les honneurs, les dignités; et les biens de la Nature, qui sont aussi de deux sortes; ceux du corps, comme la beaute, la force, la santé; et ceux de l'esprit, comme le jugement, le bon sens, la sagacité. Ceux-ci sont certainment préférables aux autres; mais les qualites du cœur les surpassent tous.

1 Il dansait, "he used to dance." In French, the imperfect tense frequently denotes habit.

2 Le Renard et le Léopard. This Fable and its accompanying moral is given exactly as it appears in the author's genuine edition. The reader is referred to the Preface for Chambaud's remarks upon this Fable, and upon the inferior version which was substituted for it.

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