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Sur le bord d'une tombe toute fraîche où vous vous agenouilliez Entre mille savants attristés à jamais,

Vous étiez en deuil; et vous, et les Muses, pleuriez,

Elles, un fils aimé ; vous, un illustre père;

Je le pleure moi aussi, car il m'aima; vite, vite,
J'ai changé mon bouquet, j'y ai mis de noires fleurs ;
Recevez-le, madame, ce bouquet est triste
Comme les Muses, comme vous !

INTRODUCTION.

L'an passé, chaque soir, à l'heure si riante
Où je puis, tout seulet, rêver, chansonner,
Dans l'ombre, je voyais blanchir

Le fantôme gracieux de la pauvre folle

Qui, trente ans dans Agen, vécut de charité,

Et que, nous autres enfants, nous tourmentions sans crainte

Quand elle sortait pour remplir son petit panier vide.

Et tout me revenait. Sá grâce de vierge

Sous la toile et sous la serge,

Sa peur quand passait un soldat,

Me firent penser que la douce Marthe
Autrefois eut sa raison,

Et qu'elle était un martyr de l'amour.

Ma muse s'en alla quêter de ses nouvelles
De tous côtés, à travers vignes et paquerettes;
Je ne m'étais pas trompé : plaintive elle me revint ;

Et je vais vous dire aujourd'hui tout ce qu'elle me dit.

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Près des bords que le Lot, sans bruit, à chaque moment, Baise, baise fraîchement

De son eau claire, transparente;

Sous des ormes touffus une maisonnette se cache;
Et dans cette maison, un beau matin d'avril,

A l'heure où dans Tonneins une jeunesse hardie
Attendait que le sort marquât son choix,
Une fille pensait; ensuite priait Dieu;

Ensuite ne savait plus que faire, comment se tenir;
Elle s'asseyait, se levait, et revenait s'asseoir;
Vous auriez cru qu'elle était traversée d'impatiences,
Ou que le sol brûlant lui grillait les pieds.

Elle était belle pourtant, elle avait tout, tout pour plaire;
Elle avait ce qu'ici-bas ensemble on ne voit guère :
Taille fine, corps droit, peau blanche, noirs cheveux,
Et l'œil bleu, bleu de ciel;

Puis l'air si fin, que, dans ces plaines,

Paysanne, elle était damette au milieu des paysannes.

Elle savait bien tout cela : à côté de son lit

Un petit miroir luisant pendait;

Mais elle ne l'avait pas vu d'aujourd'hui ;
Autre chose l'absorbait;

El son âme était en jeu, car souvent, le cou tendu,
Elle devenait pâle, violette, au moindre bruit.

Quelqu'un entre : c'est Annette sa voisine.

Au premier coup d'œil, on voit bien

Que dans le cœur celle-là a des chagrins aussi;
Un moment après, on devine

Que le mal, dans son cœur, glisse et ne prend pas racine.

- Tu es contente, Annette, lui dit la première ;

Ils en sont dehors donc? oh! parle, en est-il sorti?
Je n'en sais rien encore; amie, prends courage;
Voici midi, nous le saurons bientôt ;

Mais tu trembles comme un jonc! il me fait peur ton visage!
Et si Jacques partait, tu en mourrais peut-être?

- Je n'en sais rien! -Tu as tort! mourir! que tu es enfant! J'aime Joseph; s'il part, je pourrai m'affliger,

Je pourrai laisser tomber quelques larmes ;
Cependant, en l'aimant, je l'attendrai sans mourir.
Nul garçon ne meurt pour une fille,

Et ils n'ont pas tort; il n'est que trop vrai :
« Personne ne perd plus

» Que celui qui s'en va !... »

Chasse donc ton chagrin ; et pour que tu puisses le faire,
Tirons les cartes; ce matin

Tout est sorti pour moi, pour toi tout va sortir;
Quel bonheur ! je suis calme, je veux que tu le sois;
Allons, tiens, pour te consoler,

La carte heureuse va parler.

Et le jeune furet fait asseoir son amie;
Son rire folâtre tout à coup s'apaise;
Elle déplie gracieusement un bout de chiffon

Luisant comme du taffetas;

Et les cartes aussitôt brillent blanches dans ses mains.

Celui qui souffre croit plus encore :

Marthe se laisse aller; elle ne tremble plus, elle espère; Cependant elles ont tant de peur de ce terrible jeu

Que l'aimante et la légère

Disent ce refrain toutes deux à la fois :

« Cartes blanches et jolies,
»Ne soyez pas courroucées;

» Dame de cœur, valet de trèfle,
>> Sortez sans deuil pour les amoureux ! »

Et les cartes aussitôt tournées, retournées,
Sont mises en paquets et trois fois mêlées;
Il faut couper trois fois : c'est fait...
Bon signe ! la première, un Roi!

Les couleurs en tombant se rangent sur la table;
Les deux bouches sont sans parole,
Les quatre yeux riants, effrayés,
Suivent le mouvement des doigts.

Sur les lèvres de Marthe, enfin, un doux rire commence;
Dame de cœur paraît, Valet de trèfle la suit.

Si maintenant aucun noir pique ne se montre,
Jacques sera sauvé, et le jeu le promet;
Sept piques sont dehors, un seul encore reste,
Et elles n'ont rien à craindre d'ailleurs;
La donneuse lui sourit, la plaisante, s'arrête...
Mais comme une tête de mort jetée dans une fête,
Dame de pique tombe et vient crier : malheur !

Et aussitôt sur le chemin le tambour bruyant
Lance son rire tapageur,

Qui va se marier dans l'air
Au fifre joyeux

Et aux folles chansons.

On devine que c'était

Les heureux en liberté

Que le grand démon de la guerre
Laissait au pays par pitié.

Les voici sautillant, dansant sur deux rangées;
Chacun porte au chapeau son chiffre sauveur,
El bientôt toutes les mères autour d'eux assemblées
Pleurent de joie ou de douleur.

Quel moment pour les deux jeunes filles

Que les cartes avaient frappées, plongées dans la douleur ! Le bruit s'est approché ; la première, Marthe,

Veut finir son tourment, saute à la petite fenêtre ;

Mais aussitôt elle recule, pousse un cri,

Et près d'Annette, qui tremblait effrayée,

Elle va tomber, froide, évanouie.

Les cartes n'avaient pas menti.

Dans la troupe des heureux qui au pays s'en retournaient, On voyait Joseph; Jacques manquait.

Jacques n'avait pris

Que numéro trois.

Deux semaines après, de l'église fleurie
La légère Annette sortait tout ennuptiée ;

Et dans la maison en deuil, un conscrit malheureux,
Jacques, la larme à l'œil et le sac sur le dos,

Disait d'un air touchant

A sa maîtresse là, toute, toute chagrine,
Et toute baignée de pleurs :

«Ils me font partir, Marthe, et le bonheur nous quilte; » Mais de la guerre on peut revenir;

» Je n'ai rien, ni père ni mère; je n'ai que toi pour aimer; >> Si la mort épargne ma vie,

» Ma vie t'appartient, attends! à notre autel,

>> Comme un bouquet d'amour, je viendrai te l'apporter !

>>

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