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dise d'un homme qui, en parlant à Michel-Ange de son Moïse, lui dit: L'ami, vous avez l'art de rapetisser les grandes choses? L'ami est bon, et puis c'était là tout juste le défaut de Michel-Ange.

Lorsque quelque question, grave ou frivole, occupe les esprits et fait une forte sensation, on peut compter que M. le comte de L*** composera une brochure; on peut compter aussi que, dans cette brochure, il ne sera de l'avis de personne, et qu'il aura trouvé, lui tout seul, la pie au nid; mais, ce qu'il y a de pis, c'est qu'on peut être sûr de ne lire dans ses compositions qu'un déraisonnement continuel et inintelligible. Il ressemble à un homme endormi et rêvant tout haut à ́tout moment on croit que le bon sens va lui revenir, on est tenté de l'écouter encore un instant; mais il n'a approché de la raison que pour tromper l'espérance de celui qui l'écoute, et pour battre la campagne de plus belle; le plus court est de ne plus se laisser attraper: et quand le hasard vous conduit à côté de ce rêveur laborieux et insipide, de passer votre chemin. Il s'est donc cru obligé de dire son avis sur les questions que les affaires du temps ont fait agiter; et comme il n'était pas sûr de pouvoir dire cet avis en France, il a passé en Angleterre, et il y a publié un écrit intitulé: Extrait du Droit public de la France, par L***. Il a payé quelque pauvre diable d'écolier en droit pour lui tirer de ses cahiers des passages des anciennes constitu

tions, des capitulaires et ordonnances de la monarchie, n'importe sous quelle race; il a ensuite cousu ces passages ensemble, et les a entrelardés de réflexions la plupart du temps inintelligibles, et qui n'ont d'autre but que de faire entendre qu'il est le premier et le seul qui ait une idée juste du droit public de la France, et qu'il se propose de publier sur cette matière un ouvrage lumineux et profond d'une grande étendue. Je crois qu'il fera bien de ne pas repasser sitôt en France; il est bien triste de s'être réduit au métier d'un méchant auteur quand on s'appelle B*** de L***. Il y a dans sa rapsodie une dissertation sur le mot latin mos, et le mot français coutume, digne d'un Mathanasius des PetitesMaisons; malheureusement tout cela est d'un ennui à périr. Il parle de Machiavel qui, dit-il, n'était cependant pas sans génie, comme un nain pourrait dire d'un géant; il n'est cependant pas sans hauteur. Un jour, Baculard d'Arnaud entra chez cet aimable comte de Frièse que nous avons vu mourir à la fleur de son âge, et qui n'était pas non plus sans génie ; il le trouva à sa toilette, et voulant lui faire un éloge peu commun, il lui dit : Vous avez des cheveux de génie. Ah! d'Arnaud, lui répondit le comte de Frièse, si je le croyais, je les ferais couper tout-à-l'heure pour vous en faire une perruque. Si M. le comte de L.*** se trouve jamais avec Nicolas Machiavel, et qu'il puisse lui attraper un bout

de son bonnet, je lui conseille de s'en faire faire une calotte au plus vite.

VERS aux Femmes, par M. Diderot,
Il n'est sottises, pour vous plaire,
Qu'on ne fit chez nos aïeux,

Et qu'aujourd'hui, pour vos beaux yeux,
On ne soit tout prêt à refaire.

Par vos rigueurs ou par vos trahisons,
J'ai vu l'un s'en aller la tête la première;
Finir sa peine au fond de la rivière ;
Un autre la traîner aux Petites-Maisons.

Vous disposez de la balance
Entre les mains du magistrat ;
Pour vous le héros de la France
Trahit un jour le secret de l'Etat.
Crésus regorgeait de richesse;
Il rencontre Thémire au bal:
Crésus, pressé par la détresse,
Va du boudoir à l'hôpital.
Oubliant le peu de génie

Que nature m'avait donné,

Moi, j'ai perdu les trois quarts de ma vie
A soupirer aux genoux de Phriné.

De vos talens, de votre sortilége,
Mesdames, félicitez-vous.

O l'admirable privilége
Que celui de nous rendre fous !

ARTICLE de M. Diderot.

Leçons de Clavecin et Principes d'Harmonie, par M. Bémetzrieder. Voici, si je ne me trompe, un

ouvrage essentiel dans son genre; j'ai étudié la composition sous le grand Rameau, sous Philidor, sous Blainville, et ces habiles maîtres ne m'ont rien appris. J'ai lu presque tous les ouvrages qui ont paru sur la théorie et la pratique de l'art musical, et ils ne m'ont rien appris. Pourquoi cela? C'est que personne jusqu'ici n'avait assujetti la science de l'harmonie à une méthode fixe, et c'est le principal mérite de l'ouvrage de M. Bémetzrieder. Ce jeune homme me fut adressé. comme beaucoup d'autres; je lui demandai ce qu'il savait. Je sais, me répondit-il, les mathématiques. Avec les mathématiques vous vous fatiguerez beaucoup, et vous gagnerez peu de chose. Je sais l'histoire et la géographie.

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Si les parens se proposaient de donner une éducation solide à leurs enfans, vous pourriez tirer parti de ces connaissances utiles; mais il n'y a pas de l'eau à boire. — J'ai fait mon droit et j'ai étudié les lois. Avec le mérite de Grotius, on pourrait ici mourir de faim au coin d'une borne. -Je sais encore une chose que personne n'ignore dans mon pays, la musique; je touche passablement du clavecin, et je crois entendre l'harmonie mieux que la plupart de ceux qui l'enseignent. -Eh! que ne disiez-vous donc ? Chez un peuple frivole comme celui-ci, les bonnes études ne mènent à rien; avec les arts d'agrément, on arrive à tout. Monsieur, vous viendrez tous les soirs à six heures et demie; vous montrerez à ma fille un peu de géographie et d'histoire : le reste du

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temps será employé au clavecin et à l'harmonie, Vous trouverez votre couvert mis tous les jours et à tous les répas; et comme il ne suffit pas d'être nourri, qu'il faut encore être logé et vêtu, je vous donnerai 500 livres par an; c'est tout ce que je puis faire voilà mon premier entretien avec M. Bémetzrieder.

Au bout de huit mois, dont les trois premiers s'étaient passés à essayer ses forces, ma fille s'est trouvée rompue dans las cience des accords et dans l'art du prélude. Comme il m'arrivait souvent d'assister aux leçons, j'y remarquai un enchaînement, une suite qui ne pouvaient manquer de conduire au but. Je conseillai à M. Bémetzrieder d'écrire ces leçons pour ma fille et pour moi. Quand elles furent écrites, je jugeai qu'elles pouvaient être d'une utilité générale; elles étaient en mauvais français tu→ desque, je les traduisis dans ma langue avec le plus de simplicité et d'élégance qu'il me fut possible. Je leur conservai la forme de dialogues que l'auteur leur avait donnée, et je voulus que dans ces dialogues les interlocuteurs gardassent leur caractère. Voici en abrégé la méthode de l'auteur, qui ne suppose pas la première idée de musique dans son élève.

Connaître les touches de l'instrument; discerner les treize sons de l'octave et les douze intervalles qui les séparent; ne considérer pour le moment, de ces treize sons, que ceux qui servent à former les huit sons de l'octave diatonique; s'instruire

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