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fort par les philosophes modernes, et n'oppose à leurs argumens que sa mauvaise conduite; sorte qu'il suffit d'enfermer le maraud de commis dans une bonne maison de correction, et les argumens restent dans toute leur force. Au lieu de prendre ce parti, si convenable et si simple, son père fait la sottise de mourir de chagrin de la conduite de son garnement de fils. Son bourgeois meurt aussi de désespoir d'avoir été fait c...; sa femme meurt en couches d'un petit bâtard: ce qui prouve évidemment que la Confession du vicaire saveyard, Examen important de Bolingbrocke, le Diner du comte de Boulainvilliers, et tant d'autres ragoûts, sont des œuvres de Satan. Quant au commis, il continue de rester esprit fort, et en est, quitte pour quelques coups de bâton de la main d'un vieux et honnête militaire, qui n'entend pas raillerie sur le fait de la religion. Je ne connais pas de livre plus impertinent ni de plus bête.

La mort de M. le comte de Clermont, prince du sang, laisse une place vacante à l'Académie française. La cabale dévote, voulant faire entrer à l'Académie feu M. de Bougainville, qui était lui-même cagot, et d'un caractère assez décrié, la cabale opposée engagea M. le comte de Clermont à se mettre sur les rangs; ce prince y consentit, et eut, comme de raison, la préférence; mais Bougainville n'entra pas moins dans l'Académie bientôt après, et devint le confrère de son altesse sérénissime. Il n'y eut point de séance

publique pour la réception de M. le comte de Clermont; ce prince alla un jour à une assemblée particulière, y prit séance sans façon, et ne prononça point de discours; il se contenta d'appeler quelques gens de lettres, ses confrères. Ainsi, le privilége de l'égalité fut enfreint dans le fait, et il n'était guère possible que cela n'arrivât point. Toute cette petite cabale manœuvra platement; elle n'empêcha pas Bougainville d'être de l'Académie ; et M. le comte de Clermont, ne voulant, ne pouvant pas décemment jouer le rôle d'académicien, eut tort de se prêter à ces petites manœuvres; ce prince ne vint plus à l'Académie, après cette première et courte visite. Il alla, quelques années après, relever le maréchal de Richelieu, dans le commandement de l'armée du Bas-Rhin ; il n'arriva à l'armée que pour voir ses quartiers repliés, depuis Zell et Hanower, jusqu'à Wesel, depuis l'Aller et le Weser jusques derrière le Rhin. L'armée alliée, aux ordres des deux princes de Brunswick, passa ce fleuve avec plus de gloire et moins de jactance que jadis Louis XIV. M. le comte de Clermont fut battu à Crevelt; il vint le soir de sa défaite à Nuys, si je ne me trompe; là, il s'informe auprès du commandant s'il a vu beaucoup de fuyards; celui-ci lui répond bonnement, et d'un air contrit: Non, Monseigneur, vous êtes le premier: après quoi, monseigneur fut rappelé, et le commandement de l'armée passa à M. de Contades. Cette campagne ternit un peu la gloire

de M. le comte de Clermont, qui, en sa double qualité d'abbé de Saint-Germain-des-Prés, et d'académicien, n'eut pas à se louer du dieu des armées; ce dieu s'était rangé du parti du prince Ferdinand de Brunswick, dignitaire de la cathédrale de Magdebourg. M. le comte de Clermont ne lui en garda pas rancune; au contraire, il tomba bientôt, après son retour, dans la plus haute dévotion; il réforma chevaux, chiens, courtisanes; il se défit même, par scrupule de conscience, de ses bénéfices; et le roi, en les reprenant, lui donna l'équivalent en rentes viagères. Depuis ce temps, il vécut dans une assez grande retraite, au faubourg Saint-Antoine, où il vient de mourir, universellement regretté, parce qu'il était naturelleinent bon, et qu'il avait employé les dernières années de sa vie à faire d'immenses charités, et à donner aux pauvres la plus grande partie de son revenu.

Le charmant et unique Caillot ayant besoin de quelques mois de repos, on donna sur ce dernier théâtre, le 17 juin dernier, un essai de la Buona Figliola, opéra-comique de Goldoni, à qui la musique divine de Piccini a procuré une gloire immortelle. Ce qu'on vient de faire pour assurer son succès en France est l'affront le plus sanglant qu'aux yeux d'un homme de goût, un ouvrage puisse recevoir; mais cet affront ayant déja été fait à la Serva Padrona, pourquoi des barbares traiteraient-ils mieux

Piccini que Pergolesi? Au lieu de chanter les paroles sur lesquelles la musique a été faite, M. Cailhava d'Estaudoux les a parodiées sur la musique en paroles françaises, à-peu-près approchantes, et partout où cela lui est devenu trop difficile, un certain Baccelli a coupé la musique, et l'a forcée de cadrer avec M. Cailhava. Rien ne prouve mieux que ces opérations, combien nous sommes éloignés de nous entendre en musique, et surtout de l'entendre; c'est aussi un excellent moyen d'empêcher les oreilles du public de se former, et de reculer ses progrès; car si vous croyez que :

So che il ciel non abbandona

L'innocenza e l'onesta

puisse être traduit sur la divine modulation de Piccini, par

Le ciel est le protecteur

De l'innocence et de l'honneur,

vous pouvez être sûr que la grâce et le goût se sont retirés de vous, et qué l'endurcissement de vos oreilles est déjà devenu un mal inévitable. Quant à moi, j'ai été au supplice pendant tout le temps de la représentation; et cependant je me suis rendu coupable du péché irrémissible contre le Saint-Esprit, en applaudissant contre ma conscience de toutes mes forces, afin qu'il ne fût pas dit, à notre honte éternelle, qu'un chef-d'œuvre admiré sur tous les théâtres de l'Europe ait été sifflé par les sourds de Paris.

Etienne Falconet, sculpteur de notre Académie royale, est depuis cinq ou six ans en Russie, pour faire la statue équestre de Pierrele-Grand. C'est avoir une assez grande besogne; et assurément, si Etienne s'appelait Michel-Ange, ce ne serait que mieux. Cependant Etienne, malgré cette entreprise trèscapable d'absorber un homme tout entier trouve encore le loisir d'écrire de mauvaises brochures d'un ton si hargneux et si arrogant, qu'on ne peut s'empêcher de prendre mauvaise opinion, non-seulement de son caractère, mais même de son talent: car le génie ne marche guère avec ces petits défauts d'une tête et d'une âme rétrécies. Il vient de faire imprimer encore des Observations sur la statue de Marc-Aurèle et sur d'autres objets relatifs aux beaux arts. Voulez-vous savoir les grandes découvertes d'Etienne Falconet? 1°. C'est que le cheval de Marc-Aurèle tant admiré est mauvais, parce que celui de Pierre-le-Grand ne lui ressemblera pas; 2°. qu'il n'est pas nécessaire qu'un artiste fasse le voyage d'Italie, parce que Falconet n'y a pas été; 3°. qu'il vaut mieux voir les antiques de Rome et de Florence d'après des plâtres, que les originaux mêmes, parce que · Falconet n'a pas vu ceux-ci; 4°. que les gens du monde et les gens de lettres n'entendent absolument rien aux ouvrages d'art; parce qu'après tout, c'est eux qui jugeront la statue de Pierre-le-Grand. Que voulez-vous que je vous

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