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sur la Seine. On a pareillement défendu à Torré d'ouvrir son Vauxhall, on a voulu forcer Comus et tous les spectacles du boulevard de se trans porter au Colisée; on a été jusqu'à former le projet de couper et d'abattre les arbres du boulevard pour obliger le public de se promener aux Champs-Elysées; tant cette entreprise absurde et irréfléchie est protégée; et malgré tout cela les entrepreneurs et les intéressés seront ruinés, ainsi que tout le monde l'a prévu; et comme ils sont solidaires, plusieurs actionnaires ont déjà offert de céder leur intérêt pour rien, et de payer encore une somme de six mille francs à celui qui serait tenté de se mettre en leur lieu et place. Il est impossible que cette entreprise se soutienne; la situation du Colisée hors de la ville, à portée de personne, sur un chemin qui ne mène à rien, et à une distance si éloignée des abris, dans un pays où les mauvais temps sont si fréquens, suffirait seule pour faire échouer le spectacle le plus attrayant. La curiosité y fera aller tout le monde une fois, mais personne n'y retournera, d'autant que le lieu est si vaste et si éparpillé qu'on ne peut même s'y donner rendez-vous, ni se promettre de s'y rencontrer.

Les fêtes qu'on a données à Versailles à l'occasion du mariage de M. le comte de Provence, se sont bornées à un fort petit mais fort joli feu d'artifice dirigé par Torré, suivi d'une petite illumination dans le parc. Le festin royal et le bat

paré ont eu lieu suivant l'usage, excepté que les princes du sang protestans ne se sont pas trouvés au premier, et que mademoiselle de Lorraine n'a pas paru au bal, ce qui a prévenu la dispute du menuet; en revanche la marquise de Marigny, femme du frère de feu madame de Pompadour, a été une des premières qui ait dansé lé menuet parmi les femmes de qualité. En fait de spectacles on a donné deux représentations de la Reine de Golconde, opéra de MM. Sedaine et Monsigni; M. Mondonville a fait les paroles et la musique d'un opéra intitulé: Les Projets de l'Amour, qu'on a représenté sur le théâtre de la cour le 29 mai, et qui doit être joué une seconde fois sous peu de jours. On doit aussi donner la tragédie de Gaston et Bayard, et à cette occasion M. de Belloi a obtenu une pension de douze cents livres qui serait très-bien reçue si c'était l'usage de les payer. Dans tout cela il n'y a eu que l'opéra de Mondonville de nouveau, mais il est tombé si à plat, qu'il est fort douteux qu'on ose jamais le risquer sur le théâtre de Paris. On est généralement d'accord qu'en fait de dose d'ennui on n'en a jamais servi à aucun roi très-chrétien, de glorieuse mémoire, une aussi forte que celle qui a été administrée à sa majesté mercredi dernier par Scaramouche-Mondonville, sous l'étiquette de Projets de l'Amour. L'abbé de Voisenon, ancien ami dų musicien, est véhémentement soupçonné d'avoir trempé dans le projet des paroles; mais il ne m'est pas possible de le croire; Mondonville a

bien tout ce qu'il faut pour être l'auteur unique de ce recueil de pauvretés et de platitudes; il est d'ailleurs en usage de faire les paroles de ses opéras, et ce qu'il a fait en ce genre ne dément pas ses nouveaux essais.

On vient de publier un prétendu Tableau philosophique de l'Esprit de M. de Voltaire, pour servir de suite à ses ouvrages et de Mémoires à thistoire de sa Vie. On dit que cette détestable rapsodie est d'un nommé Sabatier qui, pour gagner quelque argent, a voulu ramasser les pièces de toutes les querelles, les factums de tous les procès que M. de Voltaire a eus dans le cours de sa vie avec plusieurs écrivains connus, et surtout avec une foule de gredins littéraires. Il a continuellement entrelardé son récit d'injures et de platitudes contre le patriarche de Ferney; et quoique la malignité ne soit pas difficile quand il s'agit de déchirer, surtout ceux qui brillent au premier rang, Sabatier s'est si mal acquitté de son méchant métier qu'il est impossible de lire sa rapsodie. S'il avait eu un peu de gaieté, il aurait pu faire un ouvrage à nous faire mourir de rire: car il y a dans toutes les attaques et défenses de M. de Voltaire contre ses ennemis tant de traits plaisans, tant de saillies, tant de verve, tant de gaieté maligne, tant de folies, tant d'importance et d'enfance, qu'un rédacteur plaisant vous aurait dilaté la rate outre mesure. Au lieu de nous faire rire, Sabatier a fait le libelle le plus plat et le plus

triste de l'année. On dit que la Beaumelle a fourni son article et celui de Maupertuis. Ce la Beau- › melle se trouve à Paris depuis l'année dernière, et il doit à la protection de madame la comtesse du Barry d'être placé au nombre des gens de lettres attachés à la bibliothèque du roi, et de jouir de la pension vacante par la mort de M. l'abbé Alary. Je crois que cette faveur obtenue fera plus de peine à M. de Voltaire que toutes les injures du Tableau philosophique. Au reste, comme il n'y a pas de si méchant livre où l'on ne puisse apprendre quelque chose, j'ai appris dans celui-ci pourquoi le patriarche a toujours nié si obstinément que Saint-Hyacinthe soit l'auteur du Chef-d'œuvre d'un Inconnu, quoique cette plaisanterie soit certainement de lui; c'est que Saint-Hyacinthe y avait ajouté une anecdote satirique contre M. de Voltaire; mais comme il n'y avait pas mis de nom, il eût été plus sage de ne s'y pas reconnaître, et cette histoire, vraie ou fausse, serait tombée d'elle-même. Il est vrai que la passion ne s'allie guères plus avec la sagesse que le jour avec la nuit; elle ne s'allie pas davantage avec la justice et l'équité. On ne saurait nier que M. de Voltaire ne se soit permis de tout temps les assertions les plus hasardées et, tranchons le mot, les plus fausses contre ses adversaires. Tout ce qu'on peut dire à cet égard pour sa justification, c'est qu'il n'a presque jamais été agresseur; mais le premier acte d'hostilité commis envers lui, il n'a plus mis de bornes à sa vengeance.

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P...... n'ayant pu obtenir l'année dernière la permission de la police pour faire jouer son Homme dangereux, comédie en vers et en trois actes, est allé le faire imprimer à Genève avec un petit Commentaire à l'usage de ceux qui les aiment. Dans ce petit commentaire il rend compte des obstacles qu'il a éprouvés de la part de la police, et qui l'ont forcé de renoncer aux honneurs du théâtre ; il expose ensuite le but de sa pièce, son projet de se mettre, lui-même sur la scène, et de s'y traduire comme un franc maraud, qui joue un rôle méprisable, afin de donner à ses ennemis les philosophes le change sur l'auteur; ils auraient sans doute fait réussir la pièce, parce que l'antagoniste de la philosophie y joue un vilain rôle; et quand la pièce aurait été aux nues, ........ s'en serait déclaré l'auteur, et ses ennemis seraient morts de confusion et de désespoir d'avoir contribué à son succès. Voilà son plan politique tel qu'il l'expose lui-même dans une lettre à M. de Sartine, imprimée à la suite de la pièce. On ne peut guère voir plus de méchanceté, plus d'envie de nuire, plus d'extravagance et plus de folie que dans ce projet et dans la manière dont l'auteur le développe; il ne manque qu'un grand talent à P....... pour être un homme véritablement dangereux. Mais quoiqu'il écrive avec facilité, il n'a point d'idées, il est ignorant, il n'a point de coloris, il n'a point de traits; et doué du plus haut degré de malignité, il trouve le secret d'être écrivain ennuyeux. Il répète toujours la même

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