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pique donc pas de cette subtilité', ou qu'on se contente en soimême 2.

ARTICLE VI.

1.

Toutes les bonnes maximes' sont dans le monde : on ne manque qu'à les appliquer. Par exemple, on ne doute pas qu'il ne faille exposer sa vie pour défendre le bien public, et plusieurs le font; mais pour la religion, point".

Il est nécessaire qu'il y ait de l'inégalité parmi les hommes, cela est vrai; mais cela étant accordé, voilà la porte ouverte nonseulement à la plus haute domination, mais à la plus haute tyrannie. Il est nécessaire de relâcher un peu l'esprit; mais cela ouvre la porte aux plus grands débordements. Qu'on en marque les limites. Il n'y a point de bornes dans les choses : les lois y en veulent mettre, et l'esprit ne peut le souffrir.

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2.

La raison nous commande' bien plus impérieusement qu'un maître car en désobéissant à l'un on est malheureux, et en désobéissant à l'autre on est un sot'.

« De cette subtilité. » De cette subtilité qui fait les inventeurs, qui fait qu'on secoue l'opinion commune.

2

« Qu'on se contente en soi-même. » C'est-à-dire qu'on se satisfasse dans son for intérieur, dans la conscience qu'on a de son génie, sans essayer de le produire au dehors.

3 « Toutes les bonnes maximes. » 144. P. R., xxIX.

4 « Mais pour la religion, point. » Plainte d'un janséniste, d'un sectaire, qui accuse le monde de ne pas se sacrifier pour ce qu'il regarde comme la vraie et pure foi. 5 « Il est nécessaire qu'il y ait. » 444. Manque dans P. R.

« Il n'y a point de bornes. Horace a dit tout le contraire: Est modus in rebus. A la rigueur, le corps non plus ne peut souffrir de bornes (comment fixer absolument la mesure du marcher, du manger? etc.). Cependant nous lui en fixons tous les jours. Il est donc possible d'en fixer aussi dans les choses de l'esprit, et Horace a eu raison.

a

? « La raison nous commande. » 270. Manque dans P. R. A-t-on eu peur de l'esprit d'indépendance qui est dans cette pensée?

8 « On est un sot. » Combien ce tour est piquant! On attend ce qui peut être pire que d'être malheureux, et on trouve que c'est d'être un sot; et on s'en étonne d'abord, et à la réflexion on sent que cela est juste. Voir le petit conte de Voltaire, le bon Bramin.

3.

Pourquoi me tuez-vous? Eh quoi! ne demeurez-vous pas de l'autre côté de l'eau ? mon ami, si vous demeuriez de ce côté, je serais un assassin, cela serait injuste de vous tuer de la sorte; mais, puisque vous demeurez de l'autre côté, je suis un brave, et cela est juste.

4.

Ceux qui sont dans le déréglement2 disent à ceux qui sont dans l'ordre que ce sont eux qui s'éloignent de la nature, et ils la croient suivre comme ceux qui sont dans un vaisseau croient que ceux qui sont au bord fuient. Le langage est pareil de tous côtés. Il faut avoir un point fixe pour en juger. Le port juge ceux qui sont dans le vaisseau ; mais où prendrons-nous un point dans la morale ?

4

5.

3

Comme la mode fait l'agrément, aussi fait-elle la justice.

6.

La justice est ce qui est établi; et ainsi toutes nos lois établies seront nécessairement tenues pour justes sans être examinées, puisqu'elles sont établies.

7.

Les seules règles universelles sont les lois du pays aux choses'

« Pourquoi me tuez-vous? » 23. Manque dans P. R. Cf. 11, 8 : « Se peut-il » rien de plus plaisant qu'un homme ait droit de me tuer parce qu'il demeure au» delà de l'eau, et que son prince ait querelle avec le mien, quoique je n'en aie > aucune avec lui?» On voit que le plaisant de cette idée a saisi l'imagination de Pascal, et ce qui n'était qu'une proposition est devenu un dialogue plein de verve satirique. On sent que toute cette ironie tombe si, les peuples se gouvernant euxmêmes, l'intérêt d'un gouvernement dans la guerre se confond avec l'intérêt de tous. Remarquez d'ailleurs que même dans la guerre on a le droit de tuer, mais non pas d'assassiner.

? « Ceux qui sont dans le déréglement. » 431. P. R., xxix.

3. Le port juge... mais où prendrons-nous. » C'est absolument la même idée et le même tour qu'on a vus déjà, 111, 2 : « La perspective l'assigne dans l'art de » la peinture ; mais dans la vérité et dans la morale, qui l'assignera? »

♦ ■ Comme la mode. » 73. En titre, Justice. Manque dans P. R.

« La justice. » Conservé dans la Copie. Manque dans P. R. Cf. 111, 8. • « Les seules règles universelles. » 165. Manque dans P. R. Cf. 111, 8. « Aux choses. » Nous dirions aujourd'hui, dans les choses.

ordinaires; et la pluralité aux autres1. D'où vient cela? de la force qui y est2.

Et de là vient que les rois, qui ont la force d'ailleurs', ne suivent pas la pluralité de leurs ministres.

4

Sans doute l'égalité des biens est juste; mais, ne pouvant faire qu'il soit force d'obéir à la justice, on a fait qu'il soit juste d'obéir à la force; ne pouvant fortifier la justice, on a justifié la force, afin que le juste et le fort fussent ensemble, et que la paix fût, qui est le souverain bien.

Summum jus, summa injuria.

La pluralité est la meilleure voie, parce qu'elle est visible, et qu'elle a la force pour se faire obéir; cependant c'est l'avis des moins habiles".

:

Si l'on avait pu, l'on aurait mis la force entre les mains de la justice mais comme la force ne se laisse pas manier comme on veut, parce que c'est une qualité palpable, au lieu que la justice est une qualité spirituelle dont on dispose comme on veut, on a mis la justice entre les mains de la force; et ainsi on appelle juste ce qu'il est force d'observer".

1 « Aux autres. » Dans les autres cas, non prévus par les lois.

« De la force qui y est. » Non, mais de la probabilité que c'est là qu'est la justice. Cf. v, 4.

3

« Qui ont la force d'ailleurs. Mais ils n'ont cette force que parce que les hommes ont cru, à tort ou à raison, qu'il était bon de se soumettre à cette autorité d'un seul. Le jour où on ne le croit plus, ils ne l'ont plus.

4 « Sans doute l'égalité des biens. » Affirmation aussi téméraire que tranchante. Il serait juste que tout le monde eût le même bien, comme il serait juste aussi, à ce qu'il semble, que tout le monde eût la même santé, le même talent, la même bonté de caractère, fût également puissant, également honoré, entouré des mêmes affections. Si pourtant ces diverses égalités ne sont ni possibles, ni raisonnables à supposer, peut-on penser que l'égalité des biens soit plus praticable, ou même plus naturelle et plus juste? Cf. 50.

5 « Summum jus. » Pascal veut dire que ce qu'on appelle justice n'est donc pas vraiment juste, puisque la rigueur du droit n'est qu'iniquité.

« Des moins habiles. » Il y a là confusion. Les habiles sans doute sont en petit nombre, mais rien n'empêche qu'ils ne soient compris dans la pluralité; et au contraire il y a présomption que c'est eux que la pluralité a suivis. Cf. v, 4.

« Ce qu'il est force d'observer. » Le manuscrit ajoute : De là vient le droit » de l'épée, car l'épée donne un véritable droit. (Autrement on verrait la violence » d'un côté et la justice de l'autre. Fin de la xie Provinciale.) De là vient l'injustice » de la Fronde, qui élève sa prétendue justice contre la force. Il n'en est pas de » même dans l'Eglise, car il y a une justice véritable, et nulle violence. » Pascal, qui nie le droit d'insurrection en politique, le réserve, comme on voit, en religion;

8.

Il est juste1 que ce qui est juste soit suivi : il est nécessaire que ce qui est le plus fort soit suivi. La justice sans la force est impuissante la force sans la justice est tyrannique. La justice sans force est contredite, parce qu'il y a toujours des méchants: la force sans la justice est accusée. Il faut donc mettre ensemble la justice et la force; et pour cela faire que ce qui est juste soit fort, et que ce qui est fort soit juste.

La justice est sujette à disputes: la force est très-reconnaissable et sans dispute. Ainsi on n'a pu donner la force à la justice, parce que la force a contredit la justice et a dit qu'elle était injuste, et a dit que c'était elle qui était juste: et ainsi ne pouvant faire que ce qui est juste fût fort, on a fait que ce qui est fort fût juste.

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9.

4

Quand il est question de juger si on doit faire la guerre et tuer tant d'hommes, condamner tant d'Espagnols à la mort, c'est un homme seul qui en juge, et encore intéressé : ce devrait être un tiers indifférent.

10.

... Ainsi ces discours sont faux et tyranniques : Je suis beau, donc on doit me craindre. Je suis fort, donc on doit m'aimer. Je suis.... La tyrannie est de vouloir avoir par une voie ce qu'on ne peut

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là il y a selon lui une justice véritable, et elle est du côté du jansénisme. Quand il ajoute qu'il n'y a dans l'Eglise nulle violence, il veut dire sans doute que la violence n'y vient que du pouvoir temporel, et non de l'Eglise. Et en effet l'Eglise, suivant les jansénistes, n'étant point représentée par le pape ni par aucune autorité, sauf un concile universel, on pouvait toujours soutenir qu'on était avec l'Eglise et qu'on l'avait pour soi.

a Il est juste. » 169. En titre : Justice, Force. Manque dans P. R.

2 « Et ainsi ne pouvant faire. » De telles paroles ont dû être inspirées à Pascal par les persécutions dont Port Royal était l'objet de la part des pouvoirs établis. La Sorbonne, le Conseil du Roi n'avaient pas raison, mais ils étaient les plus forts, et ils avaient fait que ce qui était fort fût juste. - Voir dans les Pensées de Nicole la 73: La religion chrétienne attache sans erreur la justice à la force.

3 « Quand il est question. » 67. Manque dans P. R.

4 « Tant d Espagnols. » Il semble que cela a pu être écrit vers le temps des négociations qui aboutirent au traité des Pyrénées, et que Pascal reproche au roi d'Espagne de s'être si longtemps refusé à la paix, et d'avoir fait verser pour son ambition le sang de ses sujets (à la bataille des Dunes, 4658). Pascal n'a pas voulu dire, tant de Français, et mettre en cause le roi de France.

5 « Ainsi ces discours. » 67. En titre, Tyrannie. Manque dans P. R. La tyrannie est de vouloir avoir.

Cf. 37.

:

avoir que par une autre. On rend différents devoirs aux différents mérites devoir d'amour à l'agrément; devoir de crainte à la force; devoir de créance1 à la science. On doit rendre ces devoirs-là; on est injuste de les refuser, et injuste d'en demander d'autres. Et c'est de même être faux et tyran de dire il n'est pas fort, donc je ne l'estimerai pas; il n'est pas habile, donc je ne le craindrai pas.

11.

Il y a des vices 2 qui ne tiennent à nous que par d'autres, et qui, en ôtant le tronc, s'emportent comme des branches.

12.

Quand la malignité' a la raison de son côté, elle devient fière, et étale la raison en tout son lustre : quand l'austérité ou le choix sévère n'a pas réussi au vrai bien, et qu'il faut revenir à suivre la nature, elle devient fière par le retour.

13.

Si l'homme était heureux, il le serait d'autant plus qu'il serait moins diverti, comme les saints et Dieu.

Oui, mais n'est-ce pas être heureux que de pouvoir être réjoui par le divertissement? Non, car il vient d'ailleurs et de dehors: et ainsi il est dépendant, et partant', sujet a été troublé par mille accidents, qui font les afflictions inévitables".

1 « Devoir de créance. » Pascal pensait-il à ceux qui avaient voulu contraindre par la force la créance de Port Royal et la sienne? Mais on ne doit rien à la force, pas même la crainte; la lui refuser est quelquefois un devoir, et toujours un droit.

« Il y a des vices. » 137. P. R., xxix.

3 "Quand la malignité. » P. R., XXIX. Je pense que Pascal veut parler de cette malignité des mondains qui critique les hommes qui ont rompu avec le monde. Le monde se moque toujours un peu des saints. Les saints en effet vont quelquefois contre la raison, à force d'enthousiasme. D'autres fois, au contraire, pour vouloir être trop raisonnables, ils résistent à la nature; et si la nature est la plus forte, et qu'ils y reviennent, ce retour donne encore beau jeu à la malignité.

«

<< Si l'homme était heureux. » 142. En titre, Divertissement : voir tout l'article IV. P. R., XXIX.

« Et de dehors. » Mais la douleur vient de dehors aussi, comme le remarque fort bien Voltaire, et n'en est pas moins la douleur.

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7

« Et partant. » C'est-à-dire et par conséquent. Dans La Fontaine :

Plus d'amour, partant plus de joie.

« Qui font les afflictions inévitables. » Qui font qu'elles sont inévitables.

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