Page images
PDF
EPUB

n'y fait pas pis, puisque les ennemis de la vérité ont le pouvoir et la volonté de l'opprimer. Peut-être êtes-vous de celles qui méritent que Dieu ne l'abandonne pas', et ne la retire pas de la terre, qui s'en est rendue si indigne; et il est assuré que vous servez à l'Église par vos prières, si l'Église vous a servi par les siennes. Car c'est l'Église qui mérite, avec JÉSUS-CHRIST qui en est inséparable, la conversion de tous ceux qui ne sont pas dans la vérité 2; et ce sont ensuite ces personnes converties qui secourent la mère qui les a délivrées. Je loue de tout mon cœur le petit zèle que j'ai reconnu dans votre lettre pour l'union avec le pape3. Le corps n'est non plus vivant sans le chef, que le chef sans le corps. Quiconque se sépare de l'un ou de l'autre n'est plus du corps, et n'appartient plus à JÉSUS-CHRIST. Je ne sais s'il y a des personnes dans l'Église plus attachées à cette unité du corps que ceux que vous appelez nôtres. Nous savons que toutes les vertus, le martyre, les austérités et toutes les bonnes œuvres sont inutiles hors de l'Église, et de la communion du chef de l'Église, qui est le pape. Je ne me séparerai jamais de sa communion, au moins je prie Dieu de m'en faire la grâce; sans quoi je serais perdu pour jamais ".

Je vous fais une espèce de profession de foi, et je ne sais pourquoi; mais je ne l'effacerai pas ni ne recommencerai pas.

M. Du Gas' m'a parlé ce matin de votre lettre avec autant d'éton

1 « Ne l'abandonne pas. » La vérité.

2 « Dans la vérité. » C'est-à-dire ici dans la pure doctrine de la Grâce.

3

« Avec le pape. » Mlle de Roannez, toujours en proie aux scrupules et aux incertitudes, avait sans doute été troublée de la crainte que ses amis ne se séparassent du chef de l'Église. Pascal se montre tendre et même impatient sur ce point, où il sent bien qu'est le côté faible du parti. Il y a un peu d'humeur dans sa vive réponse. Le petit zèle, ce n'est pas le peu de zèle, c'est une expression qui avertit Mile de Roannez de ne pas prendre ce zèle trop au sérieux. Il lui parle comme à un enfant à qui on sait gré d'un bon mouvement, même peu raisonnable. 4 » Pour jamais. » Ainsi dans la xvie Provinciale: « Je n'ai d'attache sur la » terre qu'à la seule Eglise catholique, apostolique et romaine dans laquelle je veux » vivre et mourir, et dans la communion avec le pape, son souverain chef, hors de » laquelle je suis très-persuadé qu'il n'y a point de salut. » C'était donc sans prétendre se séparer de la communion du pape, qu'il écrivait les dures paroles qu'on a lues dans les Pensées, XXIV, 66. De Maistre a relevé fortement cette situation fausse du jansénisme (De l'Eglise gallicane, 1, 3 et 9). Cf. Sainte-Beuve, tome III, page 26 et page 157.

5 « M. Du Gas. » Je n'ai trouvé ce nom ni dans le Nécrologe de Cerveau, ni ailleurs. Je suis porté à croire que c'est un faux nom, qui désigne probablement quelqu'un des directeurs de Port Royal, M. Singlin, ou M. de Rebours. Car Pascal n'était point un directeur, et n'avait pas autorité pour cela. C'est un pénitent qui appelle d'autres âmes à la pénitence, et les pousse aux pieds du pasteur. Port Royal était réduit à s'envelopper de mystère en toutes choses. Voici ce qu'on lit dans une

nement et de joie qu'on en peut avoir : il ne sait où vous avez pris ce qu'il m'a rapporté de vos paroles; il m'en a dit des choses surprenantes et qui ne me surprennent plus tant. Je commence à m'accoutumer à vous et à la grâce que Dieu vous fait, et néanmoins je vous avoue qu'elle m'est toujours nouvelle, comme elle est toujours nouvelle en effet. Car c'est un flux continuel de grâces, que l'Ecriture compare à un fleuve 2, et à la lumière que le soleil envoie incessamment hors de soi, et qui est toujours nouvelle, en sorte que s'il cessait un instant d'en envoyer, toute celle qu'on aurait reçue disparaîtrait, et on resterait dans l'obscurité.

Il m'a dit qu'il avait commencé à vous répondre, et qu'il le transcrirait pour le rendre plus lisible, et qu'en même temps il l'étendrait. Mais il vient de me l'envoyer avec un petit billet, où il me mande qu'il n'a pu ni le transcrire ni l'étendre; cela me fait croire que cela sera mal écrit. Je suis témoin de son peu de loisir, et du désir qu'il avait d'en avoir pour vous.

Je prends part à la joie que vous donnera l'affaire des "... car je vois bien que vous vous intéressez pour l'Église; vous lui êtes bien obligée. Il y a seize cents ans qu'elle gémit pour vous. Il est temps de gémir pour elle, et pour nous tout ensemble, et de lui donner tout ce qui nous reste de vie, puisque JÉSUS-CHRIST n'a pris la sienne que pour la perdre pour elle et pour nous.

2.

Il me semble que vous prenez assez de part au miracle pour lettre de M. de Rebours à M. de Pontchateau, de 4651, conservée dans le Recueil d'Utrecht, page 413 « Vous me permettrez encore, monsieur, de vous dire qu'il » est à propos que dans les lettres que vous nous écrirez vous ne nommiez per» sonne, comme vous pouvez voir que j'ai fait en celle-ci; afin que si, par quelque >> mauvaise rencontre, les lettres venaient à se perdre, ou à tomber en des mains >> ennemies, on ne pût pas avoir pleine lumière de ce qui s'y pourra traiter. » Retenons soigneusement ces paroles.

1 « Surprenantes. » Voir un passage d'une lettre d'Arnauld, cité dans la première note sur ces Extraits.

2 « A un fleuve. » Pascal fait peut-être allusion à ce passage du psaume LXIV : « Tu as visité la terre, et tu l'as soûlée de tes caux... Le fleuve de Dieu a coulé à » pleins bords. »

3

« Et à la lumière. » Jean, 1, 4, 9. Mais la paraphrase qui suit est de Pascal. « L'affaire des... » Des religieuses, dans un manuscrit. Je pense qu'il s'agit de religieuses du Poitou auxquelles s'intéressait Mlle de Roannez. Quant aux religieuses de Port Royal, elles n'avaient à cette époque aucun sujet de joie.

5 << Il me semble. » Il y a, comme on va le voir, entre la lettre précédente et

vous mander en particulier que la vérification en est achevée par l'Église, comme vous le verrez par cette sentence de M. le grand vicaire1.

Il y a si peu de personnes à qui Dieu se fasse paraître par ces coups extraordinaires, qu'on doit bien profiter de ces occassions, puisqu'il ne sort du secret de la nature qui le couvre que pour exciter notre foi à le servir avec d'autant plus d'ardeur que nous le connaissons avec plus de certitude.

Si Dieu se découvrait continuellement aux hommes, il n'y aurait point de mérite à le croire; et, s'il ne se découvrait jamais, il y aurait peu de foi. Mais il se cache ordinairement, et se découvre rarement à ceux qu'il veut engager dans son service. Cet étrange secret, dans lequel Dieu s'est retiré, impénétrable à la vue des hommes, est une grande leçon pour nous porter à la solitude loin de la vue des hommes. Il est demeuré caché, sous le voile de la nature qui nous le couvre, jusques à l'Incarnation; et quand il a fallu qu'il ait paru, il s'est encore plus caché en se couvrant de l'humanité. Il était bien plus reconnaissable quand il était invisible, que non pas quand il s'est rendu visible. Et enfin, quand il a voulu accomplir la promesse qu'il fit à ses apôtres de demeurer avec les hommes jusqu'à son dernier avénement, il a choisi d'y demeurer dans le plus étrange et le plus obscur secret de tous, qui sont les espèces de l'Eucharistie. C'est ce sacrement que saint Jean appelle celle-ci un intervalle de plus de huit mois. Dans cet intervalle, Mlle de Roannez était revenue à Paris, soit avant, soit après le grand événement de cette année 1656, je veux dire le miracle de la Sainte Epine. Ce miracle, qui avait éclaté si près de la personne de Pascal, dut toucher d'autant plus le duc de Roannez et sa sœur. Marguerite Perier raconte que Mile de Roannez pensait encore à se marier quand elle vint faire une neuvaine à la Sainte Epine pour un mal d'yeux, et que le dernier jour de la neuvaine elle fut touchée de Dieu si vivement que durant toute la messe elle fondit en larmes : au retour elle témoigna à sa mère qu'elle voulait se donner à Dieu. On a vu par l'Extrait précédent que depuis longtemps déjà cette conversion était désirée et préparée.

« De M. le grand vicaire. » M. Hodencq, grand vicaire de l'archevêque de Paris, qui était le cardinal de Retz, éloigné de son diocèse. Cette sentence, qui approuva solennellement le miracle, est du 22 octobre 4656, ce qui donne à peu près la date de cette lettre.

2

«

Il y a si peu.» Tout ce qui suit, jusqu'à la fin, a été détaché pour l'édition de P. R., et mis à la fin des Pensées sur les miracles, au titre XXVII (Bossut, II, XVI, 8). Mais le Recueil d'Utrecht a reproduit ce morceau en le donnant pour ce qu'il est réellement.

3 a De la vue des hommes. » Cela prend un sens tout particulier adressé à Mile de Roannez. Le Dieu caché l'appelle au cloître.

4 « Les espèces. » Mot consacré dans la langue de la théologie. Il signifie les apparences sensibles, species.

dans l'Apocalypse [II, 17] une manne cachée; et je crois qu'Isaïe le voyait en cet état, lorsqu'il dit en esprit de prophétie [XLV, 15]: « Véritablement tu es un Dieu caché1. » C'est là le dernier secret où il peut être. Le voile de la nature qui couvre Dieu a été pénétré par plusieurs infidèles, qui, comme dit saint Paul [Rom., 1, 20], ont reconnu un Dieu invisible par la nature visible. Les chrétiens hérétiques l'ont connu à travers son humanité, et adorent JésusCHRIST Dieu et homme. Mais de le reconnaître sous des espèces de pain, c'est le propre des seuls catholiques : il n'y a que nous que Dieu éclaire jusque-là. On peut ajouter à ces considérations le secret de l'Esprit de Dieu caché encore dans l'Écriture. Car il y a deux sens parfaits, le littéral et le mystique; et les Juifs s'arrêtant à l'un ne pensent pas seulement qu'il y en ait un autre, et ne songent pas à le chercher; de même que les impies, voyant les effets naturels, les attribuent à la nature, sans penser qu'il y en ait un autre auteur; et comme les Juifs, voyant un homme parfait en JésusCHRIST, n'ont pas pensé à y chercher une autre nature : « Nous n'avons pas pensé que ce fût lui, » dit encore Isaïe [LI, 3]; et de même enfin que les hérétiques, voyant les apparences parfaites du pain dans l'Eucharistie, ne pensent pas à y chercher une autre substance. Toutes choses couvrent quelque mystère; toutes choses sont des voiles qui couvrent Dieu. Les chrétiens doivent le reconnaître en tout. Les afflictions temporelles couvrent les biens éternels où elles conduisent. Les joies temporelles couvrent les maux éternels qu'elles causent. Prions Dieu de nous le faire reconnaître et servir en tout; et rendons-lui des grâces infinies de ce que s'étant caché en toutes choses pour les autres, il s'est découvert en toutes choses et en tant de manières pour nous 2.

3.

Je ne sais comment vous aurez reçu la perte de vos lettres. Je voudrais bien que vous l'eussiez prise comme il faut. Il est temps

↑ « Un Dieu caché. » Voir Pensées, 1x, page 132, note 3, et la dernière note sur l'article xx.

2 « Pour nous. » Nulle part ne se montre plus à nu cette doctrine orgueilleuse qui fait du vrai et du bien un privilége éternellement réservé à quelques-uns, éternellement interdit à tous les autres.

3 « Comme il faut. Mile de Roannez avait à craindre que ses lettres ne fussent surprises et ne compromissent Port Royal. Voir la note 5 de la page 487.

de commencer à juger de ce qui est bon ou mauvais par la volonté de Dieu, qui ne peut être ni injuste ni aveugle, et non pas par la nôtre propre, qui est toujours pleine de malice et d'erreur. Si vous avez eu ces sentiments, j'en serai bien content, afin que vous vous en soyez consolée sur une raison plus solide que celle que j'ai à vous dire, qui est que j'espère qu'elles se retrouveront. On m'a déjà apporté celle du 51; et quoique ce ne soit pas la plus importante, car celle de M. Du Gas 2 l'est davantage, néanmoins cela me fait espérer de ravoir l'autre.

Je ne sais pourquoi vous vous plaignez de ce que je n'avais rien écrit pour vous', je ne vous sépare point vous deux, et je songe sans cesse à l'un et à l'autre. Vous voyez bien que mes autres lettres, et encore celle-ci, vous regardent assez. En vérité, je ne puis m'empêcher de vous dire que je voudrais être infaillible dans mes jugements, vous ne seriez pas mal si cela était, car je suis bien content de vous, mais mon jugement n'est rien. Je dis cela sur la manière dont je vois que vous parlez de ce bon cordelier persécuté, et de ce que fait le ... Je ne suis pas surpris de voir M. N. ' s'y intéresser, je suis accoutumé à son zèle, mais le vôtre m'est tout à fait nouveau; c'est ce langage nouveau que produit ordinairement le cœur nouveau. JÉSUS-CHRIST a donné dans l'Évangile cette marque pour reconnaître ceux qui ont la foi, qui est qu'ils parleront un langage nouveau ; et en effet le renouvellement des pensées et des désirs cause celui des discours. Ce que vous dites des jours où vous vous êtes trouvée seule, et la consolation que vous donne la lecture sont des choses que M. N. sera bien aise de savoir quand je les lui ferai voir, et ma sœur aussi. Ce sont assurément des choses nouvelles, mais qu'il faut sans cesse renouveler; car cette nouveauté, qui ne peut déplaire à Dieu, comme le vieil homme ne

1 « Celle du 5. » Voir plus loin nos conjectures sur la date de cette lettre.

2

« M. Du Gas. » Voir page 487, note 5. Celle de M. Du Gas paralt signifier, celle que vous écriviez à M. Du Gas.

3

« Pour vous. » En écrivant au duc de Roannez.

4 «De ce que fait le... » Je n'ai aucune lumière sur ce dont parle ici Pascal.

« De voir M. N. » N. est-il ici un nom quelconque, ou serait-ce l'initiale de Nicole ?

« Un langage nouveau. » Marc, XVI, 17: « Voici les signes qui accompagneront >> ceux qui auront cru: Ils chasseront les démons en mon nom, ils parleront dans » des langues nouvelles.» Pascal substitue le sens mystique au sens littéral. 7 Et ma sœur aussi. » Jacqueline.

« PreviousContinue »