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92.

[Le hasard' donne les pensées, le hasard les ôte; point d'art pour conserver ni pour acquérir.]

93.

Est fait prêtre qui veut l'être, comme sous Jeroboam3. C'est une chose horrible qu'on nous propose la discipline de l'Église d'aujourd'hui pour tellement bonne, qu'on fait un crime de la vouloir changer. Autrefois elle était bonne infailliblement, et on trouve qu'on a pu la changer sans péché; et maintenant, telle qu'elle est, on ne la pourra souhaiter changée! Il a bien été permis de changer la coutume de ne faire des prètres qu'avec tant de circonspection, qu'il n'y en avait presque point qui en fussent dignes'; et il ne sera pas permis de se plaindre de la coutume, qui en fait tant d'indignes'!

corde sera seul. Il dit là, tout Pascal qu'il est, une chose puérile. Car pourquoi sera-t-il seul? C'est là qu'il faut remonter, et ce ne sera pas chose bien difficile.

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« Le hasard. » 142. Manque dans P. R. Pascal avait barré ce fragment. Il y a réellement un art pour conserver les pensées, c'est-à-dire un art de la mémoire; et un autre pour les acquérir, c'est ce qu'on appelle la méthode. Seulement l'un et l'autre sont peu de chose en comparaison de la nature.

2 « Est fait prêtre. » 249. Manque dans P. R.

3 « Jeroboam. » III, Rois, XII, 31: a Et il prit des prêtres dans les derniers » du peuple, qui n'étaient pas des enfants de Lévi. »

D

4 « Qui en fussent dignes. » Qu'il n'y avait presque point de fidèles qui fussent dignes d'être prêtres.

5 «< Tant d'indignes. » Ce fragment appartient encore à la polémique contre la religion relâchée. Les jansénistes reprochaient à la discipline ecclésiastique de leur temps d'avoir abaissé et comme dégradé, avec la gràce même de Jésus-Christ, les instruments de cette grâce, la direction des consciences, les sacrements de la Pénitence et de l'Eucharistie, et le caractère auguste du prêtre, dispensateur de la parole, des sacrements, de la grâce même. Il faut voir dans le Port Royal de M. SainteBeuve, t. I, page 454 et suivantes, l'idée que le maître du jansénisme français, Saint-Cyran, se faisait du sacerdoce. Il croit que c'est à peine si on peut trouver un bon prêtre sur dix mille. Le prêtre est plus qu'un ange; combien donc doit-il être pur! Les hommes de Port Royal ne redoutaient rien tant que ce fardeau de la prétrise; ils ne le recevaient que forcés. Voici enfin ce qu'on lit dans l'interrogatiore de Saint-Cyran à Vincennes (Recueil d'Utrecht, p. 438, no 207): « Interrogé s'il » n'a pas dit qu'un homme qui a une fois péché contre la chasteté ne doit point se >> porter au sacerdoce, a dit... qu'il sait assez qu'il y a des canons qui veulent » qu'on reçoive des pénitents lorsqu'on ne trouve pas des innocents. Avoue avoir >> dit à quelques-uns, afin de tempérer l'ardeur qu'ils avaient de se faire prêtres, » que l'Eglise n'a reçu, jusqu'au septième siècle, que ceux qui avaient conservé » leur innocence (a)... et c'est peut-être un des sujets pour lesquels il a tant relevé

(a) Saint-Cyran a-t-il pu oublier tant de pénitents devenus prêtres et Saints, et saint Augustin avant tous!

94.

On ne consulte1 que l'oreille, parce qu'on manque de cœur.

95.

Il faut 2, en tout dialogue et discours, qu'on puisse dire à ceux qui s'en offensent : De quoi vous plaignez-vous?

» la pureté de l'Eglise en ses premiers siècles, mais..., » etc. Pascal n'est que l'écho de ces oracles. Maintenant, où en était-on dans la pratique? Des hommes comme Retz figuraient aux plus hauts rangs de l'Eglise; et que trouvait-on, quand on descendait dans la foule ? Je demande ici qu'on me permette de citer un simple manuscrit de famille que j'ai entre les mains, un journal écrit par un bourgeois d'une petite ville de Normandie, qui était doyen des avocats de son bailliage à la fin du règne de Louis XIV. Plusieurs pages de ce journal (années 4708-1722) sont remplies par l'histoire des tribulations que lui cause l'aîné de ses nombreux enfants, qui a pris le petit collet, et s'est destiné pour l'ordre de prêtrise. L'abbé, comme il l'appelle, est sous-diacre, et par conséquent engagé, en 1706, avant d'avoir atteint 22 ans. Il est ordonné diacre en 1708, après avoir été refusé deux fois, puis il demande la prêtrise. Il est d'abord refusé cinq fois de suite par l'archevêque de Rouen; il pense alors à se faire bénédictin, mais il est renvoyé après une épreuve d'un mois : Il a 29 ans, et son père écrit: Il est temps qu'il change de conduite. Il revient pour tenter encore une fois fortune, et je lis dans le journal: L'abbé ne s'est point présenté, ni à l'ordination de saint Michel, ni à celle de Pâques 1714; il a eu raison, car s'il ne change de conduite, il ne sera jamais prêtre. Puis en 4745 : L'abbé continue toujours sa vie irrégulière; c'est le fléau que Dieu m'a donné pour faire pénitence. Et la même année: L'abbé, après bien des déréglements, est enfin parti du pays: Dieu veuille le convertir! L'abbé entre à la Trappe, pour en sortir tout de suite; puis dans un autre couvent, d'où il est aussitôt mis dehors pour sa mauvaise constitution de corps et d'esprit. Il revient chez son père, et au bout d'un an, étant encore plus passionné pour la boisson, et point disposé pour l'ordre de prétrise, il quitte la maison sans dire adieu, étant en état de vivre de son bien. Il y rentre au bout de trois ans, à 36 ans (1720), ne sachant où prendre du pain, sans habits, sans linge, sans argent, sans bien, et sans esprit. Il est encore refusé en 1724 par l'archevêque, puis tout à coup on lit ce qui suit: A la fin, après bien des peines, des voyages et de la dépense, l'abbé est prêtre du 20 septembre 1722. Le père n'ajoute pas un mot à cette mention, si ce n'est qu'il enregistre soigneusement, ici comme partout, le compte des sommes qu'il lui a fallu débourser pour son fils. Il me semble que ce récit d'un journal obscur vaut bien ce qu'on pourrait chercher dans l'histoire, ou dans des mémoires de personnages célèbres, pour commenter le texte de Pascal. On y voit sans doute qu'on n'était pas prêtre absolument dès qu'on voulait l'être, et que l'Eglise tâchait d'écarter ceux qui se montraient trop indignes; mais aussi on voit que la mesure de ses scrupules et de ses sévérités ne pouvait pas satisfaire certaines àmes difficiles et impatientes du mal. Cet éclat de l'Église de France, au siècle de Bossuet et de Rancé, nous cache bien des misères.

1

« On ne consulte. » 12. Manque dans P. R. Cette phrase se trouve parmi des notes qui se rapportent aux critiques que les Jésuites avaient faites des Provinciales, en essayant d'en détruire l'effet. Il paraît qu'entre autres remarques, on avait relevé dans le style de Pascal quelques phrases dures et désagréables à l'oreille, et Pascal répond dédaigneusement que ceux qui s'attachent à ces minuties et qui mesurent par là l'éloquence sont des gens qui ne sentent rien. Le P. Daniel, qui dans ses Entretiens de Cléandre et d'Eudoxe, en 1694, a sans doute fondu ces anciennes réponses aux Provinciales, signale, dans son quatrième Entretien, une phrase de la première Lettre où il y a trois qu'il tout de suite qui sont bien rudes. Cf. vii, 21. « Il faut. » 427. Manque dans P. R. Ce fragment se rapporte sans doute encore, dans la pensée de Pascal, à la justification des Provinciales.

2

96.

Les enfants qui s'effrayent du visage qu'ils ont barbouillé, ce sont des enfants; mais le moyen que ce qui est si faible, étant enfant, soit bien fort étant plus âgé! On ne fait que changer de fantaisie 2.

97.

Incompréhensible' que Dieu soit, et incompréhensible qu'il ne soit pas; que l'âme soit avec le corps, que nous n'ayons pas d'âme; que le monde soit créé, qu'il ne le soit pas“, etc.; que le péché originel soit, et qu'il ne soit pas.

98.

Les athées doivent dire des choses parfaitement claires'; or il n'est point parfaitement clair que l'âme soit matérielle'.

99.

Incrédules, les plus crédules. Ils croient les miracles de Vespasien', pour ne pas croire ceux de Moïse.

1 « Les enfants. » 169. Manque dans P. R. On a vu déjà cette image (1v, ↓, page 56), que Pascal a empruntée à Montaigne, et Montaigne à Sénèque. Sénèque ajoute, comme Pascal, que les hommes sont encore des enfants : hoc nobis quoque majusculis pueris evenit.

2 « De fantaisie. » C'est-à-dire d'imagination, d'illusion. On lit encore à la même page du manuscrit : « Tout ce qui se perfectionne par progrès périt aussi par » progrès. Tout ce qui a été faible ne peut jamais être absolument fort. On a beau » dire: Il est cru, il est changé. Il est aussi le même. »

3 • Incompréhensible. » 17. Manque dans P. R.

4 « Qu'il ne le soit pas. » Ce sont précisément les antinomies de Kant (ou lois contraires de la raison). Voir la Critique de la raison pure.

« Les athées. » 63. Manque dans P. R.

6 « Parfaitement claires. Puisque le reproche qu'ils font aux croyants est celui de croire ce qui n'est pas clair.

7. Matérielle. » On voit bien que cette phrase de Pascal est ad hominem; c'est comme s'il disait qu'ils sont bien obligés d'avouer eux-mêmes que cela n'est pas parfaitement clair.

« Incrédules. » 47. Manque dans P. R. La phrase complète serait : Les incrédules sont précisément les gens les plus crédules.

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9 De Vespasien. » Rapportés par Tacite, Suétone et Josèphe. Tacite raconte (Hist., IV, 81) comment Vespasien guérit à la fois dans Alexandrie, sur leur demande, un paralytique, et un aveugle, en mouillant de sa salive les yeux de l'aveugle, et foulant sous son pied la main du paralytique. Il ajoute « Ces deux prodiges, des témoins oculaires les attestent encore aujourd'hui, qu'il n'y a plus » rien à gagner à mentir.» Grotius dit (IV, 8) que si ce miracle est vrai, il peut être l'effet d'une permission divine, qui avait pour objet de rendre Vespasien vénérable aux peuples, et de le faire arriver plus facilement à l'empire, pour remplir les desseins de Dieu sur les Juifs. La critique de Pascal est, comme on voit, moins timide.

100.

Écrire contre ceux qui approfondissent trop les sciences. Des

cartes.

[Il faut dire en gros: Cela se fait par figure et mouvement, car cela est vrai. Mais de dire quels, et composer la machine, cela est ridicule; car cela est inutile, et incertain et pénible. Et quand cela serait vrai, nous n'estimons pas que toute la philosophie vaille une heure de peine.]

101.

Athéisme marque de force d'esprit, mais jusqu'à un certain degré seulement.

1 << Ecrire. » Dans la Copie. Manque dans P. R.

2 Il faut dire. » 452. En titre, Descartes. Manque dans P. R. Cette pensée est barrée dans le manuscrit.

3 « Et incertain. » On lit encore, p. 445 du manuscrit : « Descartes inutile et » incertain. >>

4 « Une heure de peine. >> Il est clair que cela s'applique à la philosophie physique de Descartes, et surtout au livre De principiis philosophiæ, auquel s'attaque déjà un des fragments les plus célèbres et les plus considérables de Pascal (1,4, p. 9, etc.). Mais il n'estimait guère plus sa métaphysique, comme on l'a vu par les fragments dont se compose l'article XXII.

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On lit dans les mémoires de Marguerite Périer (Lettres, opuscules, etc., p. 458): « M. Pascal parlait peu de sciences; cependant, quand l'occasion s'en présentait, il » disait son sentiment sur les choses dont on lui parlait. Par exemple, sur la philosophie de M. Descartes, disait assez ce qu'il pensait. Il était de son sentiment » sur l'automate, et n'en était point sur la matière subtile, dont il se moquait fort. » Mais il ne pouvait souffrir sa manière d'expliquer la formation de toutes choses; » et il disait très-souvent: Je ne puis pardonner à Descartes; il aurait bien voulu, » dans toute sa philosophie, pouvoir se passer de Dieu, mais il n'a pu s'empêcher » de lui faire donner une chiquenaude, pour mettre le monde en mouvement: après cela, il n'a plus que faire de Dieu. »

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Mais est-ce donc peu de chose, que ce que Pascal accorde à Descartes, qu'il est vrai que tout se fait par figure et par mouvement? Une pareille conclusion ne vautelle pas qu'on prenne la peine de faire une philosophie? Et si Descartes, au risque de se tromper souvent, n'avait pas essayé de composer, avec telles figures et tels mouvements particuliers, une machine que lui-même ne donne que pour une hypothèse, aurait-il aussi bien convaincu de son principe et le monde et Pascal? Il n'y a que les détails qui rendent les généralités sensibles, et qui les font pénétrer dans l'esprit.

«

<< Athéisme. » 61. Cette pensée manque dans P. R., et dans la plupart des éditions. Elle avait été publiée par le P. Desmolets, mais gravement altérée; l avait écrit: Athéisme, manque de force d'esprit. M. Cousin a rétabli la véritable leçon.

Montaigne avait dit (I, 54, p. 273): « Des esprits simples, moins curieux et » moins instruicts, il s'en faict de bons chrestiens, qui par reverence et obeïssance, » croyent simplement, et se maintiennent soubs les loix. En la moyenne vigueur » des esprits, et moyenne capacité, s'engendre l'erreur des opinions... Les grands >> esprits, plus rassis et clairvoyants, font un aultre genre de biencroyants, » etc. Voilà bien les degrés de Pascal: d'abord la simplicité qui se laisse bonnement aller à croire; puis l'incrédulité, qui est déjà de la force; puis une force supérieure qui

ARTICLE XXV1.

PENSÉES PUBLIÉES DEPUIS 1843.

1.

Quand notre passion 2 nous porte à faire quelque chose, nous oublions notre devoir. Comme on aime un livre, on le lit, lorsqu'on devrait faire autre chose. Mais, pour s'en souvenir, il faut se proposer de faire quelque chose qu'on hait; et lors on s'excuse sur ce qu'on a autre chose à faire, et on se souvient de son devoir par ce moyen.

2.

Quel déréglement de jugement, par lequel il n'y a personne qui ne se mette au-dessus de tout le reste du monde, et qui n'aime mieux son propre bien, et la durée de son bonheur, et de sa vie, que celle de tout le reste du monde!

4

3.

Il y a des herbes sur la terre; nous les voyons; de la lune on ne les verrait pas. Et sur ces herbes, des poils; et dans ces poils de petits animaux mais après cela, plus rien.- O présomptueux !

donne une croyance savante et réfléchie. On peut douter que Montaigne, qui se range lui-même, un peu plus loin, parmi les gens d'entre deux, soit aussi sincère que Pascal dans l'hommage qu'il rend aux esprits arrivés au dernier estage. Du moins, son disciple Charron, dans un passage du chapitre 3 du premier de ses Trois livres pour la religion catholique (cité ici par M. Faugère), dit que l'athéisme absolu ne peut loger qu'en une âme extrêmement forte et hardie, et qu'il faut autant et peut-être plus de force pour se jeter dans une incrédulité entière que pour se tenir toujours bien ferme dans la foi que ce sont là les deux extrémités opposées, toutes deux très-rares et très-difficiles, mais la première encore plus. Pascal ne pouvait accepter l'orgueil de ce langage; celui de Montaigne lui convenait mieux Cf. 1, 48, et les notes.

1 « Article XXV. » Tous les fragments compris dans cet article étaient inconnus avant M. Cousin et M. Faugère.

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« Il y a des herbes. » 225. Ce fragment est une réponse aux objections que soulèvent les idées de Pascal sur l'infini en petit dans la nature. Voir 1, 4, page 5, et les notes.

« Plus rien. » Ce n'est pas Pascal qui parle, c'est quelqu'un de ceux qui résistent à ses hypothèses, qui ne veulent pas voir tout ce qu'il prétend faire voir dans un ciron; c'est le chevalier de Méré par exemple (cf. p. 5, note 5). Et Pascal repond: O présomptueuxi

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