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Jésus-Christ est Dieu

peut-être ils l'entendent, non par nature,

mais comme il est dit, Dii estis1.

2

Si mes lettres sont condamnées à Rome, ce que j'y condamne est condamné dans le ciel : Ad tuum, Domine Jesu, tribunal appello *. Vous-même êtes corruptible 5.

...

... J'ai craint que je n'eusse mal écrit, me voyant condamné, mais l'exemple de tant de pieux écrits me fait croire au contraire. Il n'est plus permis de bien écrire, tant l'Inquisition est corrompue ou ignorante !

6

... Il est meilleur d'obéir à Dieu qu'aux hommes'.

...

Je ne crains rien, je n'espère rien. Les évêques ne sont pas ainsi. Le Port Royal craint, et c'est une mauvaise politique de les séparer 10, car ils ne craindront plus, et se feront plus craindre11.

1 « Dii estis. » Ps. LXXXI, 6, paroles de Dieu aux grands de la terre : « Vous » êtes des dieux, mais vous mourrez comme des hommes. » Pascal veut dire : Que n'accusez-vous aussi bien les jansénistes d'arianisme (que de ne pas croire à la présence réelle. Cf. xvi, 44, note 8)? Il est vrai qu'ils professent que Jésus-Christ est Dieu, mais peut-être qu'ils ne l'entendent que par figure. - C'est une ironie.

2 « Si mes Lettres. » 400. Il s'agit toujours des Provinciales. « A Rome. » Par la congrégation de l'Inquisition ou de l'Index, le 6 septembre 1657.

Appello. » On sait que plus tard, les jansénistes, condamnés par la fameuse bulle Unigenitus, interjetèrent appel au futur concile général. L'appel mystique de Pascal à Jésus-Christ même est plus touchant.

5 « Corruptible. » Ces mots hardis s'adresse sans doute à la papauté elle-même. • « L'Inquisition. » L'Inquisition romaine, la congrégation de l'Index. Les décisions de ce tribunal n'étaient pas reçues en France, et n'y avaient pas force de loi. 7 « Qu'aux hommes. » C'est la réponse de Pierre et des siens au sanhédrin de Jérusalem, qui leur défend de prêcher au nom de Jésus: Obedire oportet Deo magis quam hominibus. Act. des Ap., v, 29.

« Je n'espère rien. » C'est-à-dire, je n'ai rien à craindre ni à espérer. Il développe cela dans la dix-septième Provinciale : « Je n'espère rien du monde, je n'en ▸ appréhende rien, je n'en veux rien; je n'ai besoin, par la grâce de Dieu, ni du » bien, ni de l'autorité de personne. Ainsi, mon père, j'échappe à toutes vos >prises. Vous ne me sauriez prendre, de quelque côté que vous le tentiez. Vous >> pouvez bien toucher le Port Royal, mais non pas moi, » etc.

9 « Pas ainsi. Pascal explique par là comment les évêques, ou du moins la majorité des évêques, ont accepté le formulaire. Ils ont cédé à l'influence de la

cour.

10 « De les séparer. » On avait commencé par fermer les petites écoles de Port Royal des Champs, et par disperser les solitaires qui étaient réunis dans cette maison. On en vint ensuite à frapper le monastère même des religieuses de Port Royal. 11 a Se feront plus craindre. » Le manuscrit ajoute encore: « Je ne crains pas » même vos censures... [illisible], si elles ne sont fondées sur celles de la tradition. >> Censurez-vous tout? quoi? même mon respect? Non. Donc dites quoi, ou vous ne » ferez rien, si vous ne désignez le mal, et pourquoi il est mal. Et c'est ce qu'ils » auraient bien peine à faire. »

67.

1

La machine d'arithmétique fait des effets qui approchent plus de la pensée que tout ce que font les animaux; mais elle ne fait rien qui puisse faire dire qu'elle a de la volonté, comme les animaux 2.

68.

Certains auteurs, parlant de leurs ouvrages, disent: Mon livre, mon commentaire, mon histoire, etc. Ils sentent leurs bourgeois qui ont pignon sur rue ", et toujours un « chez moi » à la bouche. Ils feraient mieux de dire: Notre livre, notre commentaire, notre histoire, etc., vu que d'ordinaire il y a plus en cela du bien d'autrui que du leur.

69.

J'aime la pauvreté, parce que JÉSUS-CHRIST l'a aimée. J'aime les biens, parce qu'ils donnent le moyen d'en assister les misérables 7. Je garde fidélité à tout le monde. Je [ne] rends pas le mal à ceux qui m'en font; mais je leur souhaite une condition pareille à la mienne, où l'on ne reçoit pas de mal ni de bien de la part des hommes. J'essaie d'être juste, véritable, sincère et fidèle à tous les hommes, et j'ai une tendresse de cœur pour ceux que Dieu m'a unis plus étroitement; et soit que je sois seul, ou à la vue des hommes, j'ai en toutes mes actions la vue de Dieu qui doit les juger, et à qui je les ai toutes consacrées. Voilà quels sont mes sentiments; et je bénis tous les jours de ma vie mon Rédempteur qui les a mis en moi, et qui, d'un homme plein de faiblesse, de misère, de concupiscence, d'orgueil et d'ambition, a fait un homme

1 « La machine. » 201. Manque dans P. R. Sur la machine arithmétique, ou d'arithmétique, voir la Vie de Pascal, et la note 40.

2 << Comme les animaux. Il semble que ce fragment contient une objection de Pascal à la doctrine des animaux machines, que Descartes avait accréditée. Voir x, , p. 460, note 2.

3 « Certains auteurs. » M. Faugère n'a trouvé cette pensée dans aucun manuscrit. Elle a été publiée par Bossut. A qui Pascal en voulait-il dans ces phrases piquantes? Nous renonçons à le deviner.

« Pignon sur rue. » Une propriété qui est sur une rue a plus d'importance qu'une autre. D'où cette expression proverbiale.

5 a J'aime la pauvreté. » 104. Publié, mais avec des altérations, dans la Vie de Pascal par madame Périer. Voir la note 36 sur cette Vie. Manque dans l'édition de P. R. « L'a aimée. » « Bienheureux vous qui êtes pauvres, car le royaume de Dieu » est à vous. » Luc VI, 20.

« Les misérables. » Sur le zèle de Pascal à servir les misérables, voir sa Vie par madame Périer.

exempt de tous ces maux1 par la force de sa grâce, à laquelle toute la gloire en est due, n'ayant de moi que la misère et l'erreur 2.

70.

La nature' a des perfections pour montrer qu'elle est l'image de Dieu; et des défauts, pour montrer qu'elle n'en est que l'image.

4

71.

Les hommes sont si nécessairement fous, que ce serait être fou par un autre tour de folie, de ne pas être fou.

5

72.

Otez la probabilité; on ne peut plus plaire au monde : mettez la probabilité, on ne peut plus lui déplaire.

6

73.

L'ardeur des saints à rechercher et pratiquer le bien était inutile, si la probabilité est sûre.

7

74.

Pour faire d'un homme un saint, il faut bien que ce soit la grâce; et qui en doute, ne sait ce que c'est que saint et qu'homme.

8

75.

On aime la sûreté. On aime que le pape soit infaillible en la

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1 << De tous ces maux. » Est-ce un chrétien qui parle, ou le Sage du stoïcisme? 2 « Et l'erreur. >> Malgré cette réserve, et malgré le respect que commande le nom de Pascal, comment ne pas s'étonner qu'il ait osé se rendre un tel témoignage, et le consigner par écrit! On croit entendre la prière du pharisien. Le pharisien » priait ainsi en lui-même : Seigneur, je vous rends grâce de ce que je ne suis pas » comme les autres hommes, qui sont voleurs, iniques, adultères, ou comme ce »publicain. Je jeûne deux fois la semaine, je donne la dîme de tout ce que je pos» sède. Le publicain au contraire, se tenant éloigné, n'osait pas même lever les yeux » au ciel, mais il se frappait la poitrine, disant: Seigneur, ayez pitié d'un pécheur » comme moi. Et Jésus reprit: « Je vous dis que celui-ci s'en retourna chez lui jus»tifié plutôt que l'autre, car tout homme qui s'élève sera rabaissé, et tout homme » qui s'abaisse sera relevé. » Luc, xvIII, 44.- Jésus aurait-il été moins sévère, quand le pharisien aurait parlé en janséniste, quand il aurait rapporté son mérite à la grâce, et qu'il aurait dit: Je vous remercie de ce que la grâce m'a été donnée plutôt qu'à d'autres, de ce que je suis un favori au milieu des réprouvés? « Les » élus ignoreront leurs vertus, » dit ailleurs Pascal (23).

3 << La nature. >> 90. Manque dans P. R.

4

Les hommes. » 483. Manque dans P. R.

Otez. » 429. Manque dans P. R. Voir 24, et les Provinciales.

« L'ardeur.» ibid. Manque dans P. R.

2 << Pour faire. » 433. Manque dans P. R. Voir 69.

8

« On aime. » 109. Manque dans P. R. Cette pensée frappe les Jésuites par deux

foi, et que les docteurs graves le soient dans les mœurs, afin d'avoir son assurance.

76.

Il ne faut pas juger de ce qu'est le pape par quelques paroles des Pères, comme disaient les Grecs dans un concile 2, règle importante, mais par les actions de l'Église et des Pères, et par les

canons.

3

77.

Le pape est premier. Quel autre est connu de tous? Quel autre est reconnu de tous? ayant pouvoir d'insinuer dans tout le corps, parce qu'il tient la maîtresse branche, qui s'insinue partout? Qu'il était aisé de faire dégénérer cela en tyrannie! C'est pourquoi Jésus-Christ leur a posé ce précepte: Vos autem non sic*.

L'unité et la multitude: Duo aut tres in unum. Erreur à exclure l'une des deux, comme font les papistes qui excluent la multitude, ou les huguenots qui excluent l'unité.

tranchants, en raillant à la fois l'infaillibilité du pape, et les docteurs graves. On sait assez par les Provinciales (voir particulièrement la cinquième) ce que c'était qu'un docteur grave, suffisant pour donner à ses opinions en morale le caractère de la probabilité.

1 « Il ne faut pas. » 123. Manque dans P. R.

2 << Dans un concile. » On lit dans Bossuet (Remarques sur l'Histoire des conciles d'Ephèse et de Chalcédoine, de M. Dupin, chap. 1er, cinquième remarque) : « C'est >> entrer dans l'esprit des Grecs schismatiques, qui, dans le concile de Florence, » voulaient prendre pour honnêteté et pour compliment tout ce que les Pères écri>> vaient aux papes pour se soumettre à leur autorité. » Bossuet blâme ici ce principe des Grecs, que Pascal prend pour règle; mais Bossuet parle comme Pascal dans son fameux ouvrage posthume, Defensio declarationis cleri Gallicani, livre vi, chapitre XI, où il montre que le pape Eugène, ayant voulu faire admettre par le concile cette clause Ut papa habeat sua privilegia juxta canones et dicta sanctorum, fut obligé de renoncer à ces derniers mots; et le concile ne reconnut la puissance pontificale que suivant qu'elle avait été déterminée par les actes des conciles et par les canons. Le concile général de Florence, où les Latins et les Grecs s'unirent dans un symbole commun, est de 1439.

3 « Le pape. » Même page. Manque dans P. R.

4 << Non sic. » Luc, XXII, 26: « Les disciples contestant entre eux sur la pri» mauté, Jésus leur dit : Les rois des nations commandent en maitres. Qu'il n'en soit » pas ainsi purmi vous: mais que celui qui est le plus grand devienne comme le plus » petit, et celui qui commande comme celui qui sert. »

« Et la multitude. » Cela sera expliqué au paragraphe 84.

«Duo aut tres in unum. » Ces paroles ne se trouvent nulle part textuellement dans l'Écriture. Ce qui s'en rapproche le plus, et que Pascal paraît avoir en vue, est un passage de la première épître aux Corinthiens, XIV, 27. Saint Paul se plaint que, dans les assemblées des fidèles, il y en a trop qui veulent montrer qu'ils ont reçu de Dieu l'esprit de prophétie, ou le don des langues, de façon qu'on y entend à la fois toutes sortes de langues et toutes sortes de révélations, et il ajoute : « Si

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Il y a hérésie1 à expliquer toujours omnes de tous, et hérésie à ne le pas expliquer quelquefois de tous. Bibite ex hoc omnes 2: les huguenots, hérétiques, en l'expliquant de tous 3. In quo omnes peccaverunt : les huguenots, hérétiques, en exceptant les enfants des fidèles. Il faut donc suivre les Pères et la tradition pour savoir quand, puisqu'il y a hérésie à craindre de part et d'autre ".

4

79.

Tout nous peut être mortel, même les choses faites pour nous servir; comme, dans la nature, les murailles peuvent nous tuer, et les degrés nous tuer, si nous n'allons avec justesse.

Le moindre mouvement importe à toute la nature; la mer entière change pour une pierre. Ainsi, dans la grâce, la moindre action importe pour ses suites à tout. Donc tout est important.

En chaque action, il faut regarder, outre l'action, notre état présent, passé, futur, et des autres à qui elle importe, et voir les liaisons de toutes ces choses. Et lors on sera bien retenu 1o.

>> donc il y en a qui aient le don des langues, qu'on n'en entende que deux ou trois » au plus, et chacun à son tour, et qu'il y ait un interprète pour traduire leurs pa» roles (et unus interpretetur). » Et un peu plus loin : « Que deux ou trois prophéti>> sent (duo aut tres dicant), et que les autres écoutent et jugent.» Pascal, qui use et abuse des textes, paraît avoir détourné celui-ci, dans sa pensée, à signifier qu'il peut y avoir dans l'Église, non pas une seule opinion (celle du pape) mais deux ou trois, c'est-à-dire plusieurs, à la condition que cette pluralité se reduira à l'unité par une décision collective (celle des conciles).

1 « Il y a hérésie. » Même page. Manque dans P. R.

2 « Ex hoc omnes. » « Buvez-en tous, car ceci est mon sang. » Paroles de JésusChrist à la Cène. Matth., XXVI, 27.

3

« De tous.» Car, suivant la doctrine de l'Église, il n'y a que ceux qui sont en état de grâce qui doivent boire le sang de Jésus-Christ dans la communion.

4 « Peccaverunt. » Rom. v, 42 : « De même que le péché est entré dans le monde » par un homme, en qui tous ont péché. »

5 « Des fidèles. » Voir une longue discussion sur ce passage de saint Paul dans Bossuet, Défense de la tradition et des saints Pères, livre vi, chapitre XII et suivants.

« De part et d'autre. » Il semble que l'intention de ce fragment est d'insinuer qu'il peut être permis de dire que Jésus-Christ n'est pas mort pour tous.

7 << Tout nous peut être. » 407. Manque dans P. R.

<< Pour une pierre. » Assertion très-contestable, fondée sur l'hypothèse cartésienne du plein absolu et continu dans la nature. Si tout est plein, aucune force, aucune action ne se perd dans le vide; il y a communication infinie du moindre mouvement imprimé en un point quelconque de la matière.

9 « Et des autres. » Et l'état présent, passé, futur, des autres personnes à qui elle importe.

10 «< Bien retenu. » Ce fragment est dirigé contre la morale relâchée des casuistes.

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