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7.

On a beau dire1, il faut avouer que la religion chrétienne a quelque chose d'étonnant. C'est parce que vous y êtes né2, dirat-on. Tant s'en faut; je me roidis contre, par cette raison-là même, de peur que cette prévention ne me suborne. Mais, quoique j'y sois né, je ne laisse pas de le trouver ainsi.

8.

Il y a deux manières de persuader les vérités de notre religion : l'une par la force de la raison, l'autre par l'autorité de celui qui parle. On ne se sert pas de la dernière, mais de la première. On ne dit pas Il faut croire cela; car l'Écriture, qui le dit, est divine; mais on dit qu'il le faut croire par telle et telle raison, qui sont de faibles arguments, la raison étant flexible à tout “.

5

... Mais ceux là mêmes qui semblent les plus opposés à la gloire

tels qu'ils sont sortis des mains de Dieu, alors il dépendrait d'eux de bien ou de mal faire s'ils faisaient bien, ils auraient droit à faveur et à récompense; s'ils faisaient mal, ils mériteraient jugement et condamnation. Mais par le péché originel, tous les hommes sont devenus ennemis de Dieu, et dès lors tous coupables et punissables. Mais Dieu leur donne encore, par grâce, a-sez de lumière pour revenir s'ils le cherchent. Il fallait ajouter, afin d'avoir toute la doctrine janséniste de la grâce, qu'ils ne peuvent le chercher qu'autant qu'il les y excite, et qu'il tourne leur volonté vers lui; que Dieu, comme il lui plait, donne sa grâce aux uns et la refuse aux autres; et qu'en punissant ces derniers, il ne fait cependant que justice. Car il les punit, non pour n'avoir pas eu la grâce, qu'il n'a pas voulu leur donner; mais pour le péché originel, par lequel ils se sont ôté eux-mêmes tout droit à la grâce. Tous étant condamnés, il lui pleit de relever les uns de cette condamnation, il exerce alors miséricorde; il lui plaît d'y laisser les autre, il exerce alors jugement. Il semble que Pascal n'ait pas osé ici pousser jusqu'au but cette doctrine troublante. Il y avait pourtant une théologie plus rigide encore, qui refusait même à l'homme sortant des mains de Dieu, le pouvoir de mériter par lui-même. Voir SainteBeuve, t. 11, p. 134.

1 « On a beau dire. » 40. Manque dans P. R.

« Parce que vous y êtes né. » Cf. x, 4.

3 « Il y a deux manières. » 19. Manque dans P. R.

4

« Flexible à tout. » Ce reproche est parfaitement juste, s'il s'adresse à ceux qui ont prétendu, comme Raimond Sebonde dans sa Théologie naturelle, établir par la raison les dogmes de la foi chrétienne. Il veut qu'on croie la Trinité, l'Incarnation, la Rédemption, par tel et tel raisonnement philosophique: Pascal fait bien de lui répondre qu'il n'y a qu'une raison à en donner, qui est qu'il faut croire cela, parce que l'Ecriture qui le dit est divine. Mais on ne peut douter que Pascal ne veuille condamner aussi les philosophes, tels que Descartes, qui tâchent d'établir, sans le secours de la révélation, les premiers fondements de la foi religieuse, comme Dieu, l'âme, la loi morale. Tout ce que croit Pascal, il le croit parce que l'Ecriture qui le dit est divine, mais comment reconnaît-il que l'Ecriture est divine? II répondrait que c'est par le cœur. Voir 5, et l'article x.

«Mais ceux-là mêmes. » 205. Manque dans P. R.

de la religion n'y seront pas inutiles pour les autres. Nous en ferons le premier argument, qu'il y a quelque chose de surnaturel1; car un aveuglement de cette sorte n'est pas une chose naturelle 2; et si leur folie les rend si contraires à leur propre bien, elle servira à en garantir les autres par l'horreur d'un exemple si déplorable et d'une folie si digne de compassion.

g.

Le seul qui connaît la nature ne la connaîtra-t-il que pour être misérable? le seul qui la connaît sera-t-il le seul malheureux ?

7

5

... Il ne faut pas qu'il ne voie rien du tout ; il ne faut pas aussi qu'il en voie assez pour croire qu'il le possède ; mais qu'il en voie assez pour connaître qu'il l'a perdu : car, pour connaître qu'on a perdu, il faut voir et ne voir pas; et c'est précisément l'état où est la nature '.

Il faudrait que la vraie religion enseignât la grandeur, la misère, portat à l'estime et au mépris de soi, à l'amour et à la haine.

10.

La religion 10 est une chose si grande, qu'il est juste que ceux qui ne voudraient pas prendre la peine de la chercher si elle est obscure, en soient privés. De quoi se plaint-on donc, si elle est telle qu'on la puisse trouver en la cherchant?

1 << De surnaturel. » Le premier argument pour réfuter les impies, c'est de leur prouver qu'il y a quelque chose de surnaturel. Ensuite on leur prouvera que ce quelque chose, c'est Jésus-Christ et sa religion.

2 « N'est pas une chose naturelle. » Voir l'article ix.

3

« Le seul qui connaît. » Dans la Copie. Manque dans P. R. Cet être qui seul connaît la nature, c'est l'homme.

« Le seul malheureux. » Car les animaux ne le sont pas, selon Pascal. Cf. 1, 4. 5 « Qu'il ne voie rien du tout. » Voici le raisonnement complet : Puisque l'homme a l'idée et l'instinct du bonheur, du bien absolu, il ne faut pas qu'en regardant il ne voie rien qui réponde à cette idée qu'il a en lui. Il ne faut pas qu'il soit réduit à ne croire qu'au mal et à entrer en désespoir.

• « Qu'il le possède. » Le bien. C'est ce qui arriverait s'il voyait clairement Dieu, si la religion était évidente. Car Dieu, c'est le bien, et qui tient Dieu est en possession du bien. Or cette possession ne peut être donnée à l'homme dans le péché.

7 «

« Qu'il l'a perdu. » Par le péché originel, et par ceux qui en sont la suite.

8 « Où est la nature. » Cf. tout l'article xx.

9

« Il faudrait. » Dans la Copie. Manque dans P. R.

10 « La religion. Tiré du Recueil du P. Guerrier. Manque dans P. R.

L'orgueil contre-pèse et emporte toutes les misères. Voilà un étrange monstre, et un égarement bien visible. Le voilà tombé 2 de sa place, il la cherche avec inquiétude. C'est ce que tous les hommes font. Voyons qui l'aura trouvée.

Après la corruption', dire: Il est juste que ceux qui sont en cet état le connaissent; et ceux qui s'y plaisent, et ceux qui s'y déplaisent. Mais il n'est pas juste que tous voient la rédemption “.

Quand on dit que Jésus-Christ n'est pas mort pour tous, vous abusez d'un vice des hommes qui s'appliquent incontinent cette exception, ce qui est favoriser le désespoir; au lieu de les en détourner pour favoriser l'espérance. Car on s'accoutume ainsi aux vertus intérieures par ces habitudes extérieures *.

11.

à user

La dignité de l'homme' consistait, dans son innocence, et dominer sur les créatures, mais aujourd'hui à s'en séparer et s'y assujettir.

1 « L'orgueil contre-pèse. » Dans la copie. Manque dans P. R. Cf. 11, 2.

2

« Le voilà tombé. » Ce monstre étrange, lequel n'est autre chose que l'homme.

3

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Après la corruption. » 442. En titre, Ordre. Manque dans P. R. Pascal se trace ici un ordre pour développer ses idées. Après avoir montré la corruption de l'homme, il dira, etc.

«Que tous voient la rédemption. » Voir le premier fragment de ce paragraphe. Ceux-là seuls méritent de connaître la rédemption, qui se déplaisent dans la corruption.

5 << Quand on dit. » Dans la Copie. Manque dans P. R.

<< Extérieures. » Ce fragment est obscur. On accusait les jansénistes de croire que Jésus-Christ n'était pas mort pour tous, mais seulement pour ceux qu'il avait prédestinés à être sauvés par sa mort. C'était une des cinq propositions condamnées par le pape comme étant dans Jansenius, et que les partisans de Jansenius désavouaient en son nom. Il est clair cependant que la doctrine janséniste allait là, et les plus ardents, les moins politiques ne devaient pas reculer. Il semble que c'est à ces esprits extrêmes que s'adresse ici Pascal, et qu'avec les ménagements qu'on doit à des amis, il ne leur reproche pas tant de croire une chose fausse que de dire une chose dangereuse. Quand vous parlez ainsi, dit-il, vous favorisez le désespoir des hommes, tandis qu'en parlant autrement vous favoriseriez l'espérance. Or l'espérance est une des trois vertus théologales, et on s'accoutume peu à peu à cette vertu intérieure par l'habitude extérieure de professer de bouche que Jésus-Christ est mort pour tous.

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« La dignité de l'homme. 225. P. R., XXVIII.

« Et s'y assujettir. » Ces mots sont opposés deux à deux. L'homme avant la chute usait noblement des créatures en tirant d'elles toutes les jouissances; aujour

12.

1

L'Église a toujours été combattue par des erreurs contraires, mais peut-être jamais en même temps, conime à présent 2. Et si elle en souffre plus, à cause de la multiplicité d'erreurs, elle en reçoit cet avantage qu'elles se détruisent.

Elle se plaint des deux, mais bien plus des calvinistes, à cause du schisme.

Il est certain que plusieurs des deux contraires sont trompés3, il faut les désabuser.

La foi embrasse plusieurs vérités qui semblent se contredire‘. Temps de rire, de pleurer, etc. Responde. Ne respondeas, etc. La source en est l'union des deux natures en JÉSUS-CHRIST'. Et aussi les deux mondes. La création d'un nouveau ciel et d'hui sa noblesse est de s'en séparer, c'est-à-dire de s'abstenir des plaisirs des sens. L'homme avant la chute dominait les créatures en ce qu'elles ne pouvaient lui causer aucun mal, aujourd'hui sa dignité est de s'assujettir à la douleur et de savoir souffrir. Pascal parle en stoïcien aussi bien qu'en chrétien: Abstine et sustine. Cf. x1, 4, p. 474, à la fin.

I « L'Eglise a toujours. » 275. La première partie de ce fragment est restée inédite jusqu'à notre temps.

2

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« Comme à présent. Ces erreurs contraires qui affligent l'Église en même temps sont d'une part le calvinisme, et de l'autre le pélagianisme, que Pascal impute aux jésuites. Les calvinistes exagèrent la grâce jusqu'à nier tout libre arbitre et tout mérite des œuvres de l'homme; les jésuites, suivant Pascal, pour relever le libre arbitre, sacrifient la grâce, dont les jansénistes sont les défenseurs. Il est généreux encore au champion de Port Royal de reconnaître que ce qu'il appelle l'Eglise se plaint plus des calvinistes que des jésuites.

G

3. Sont trompés. » C'est-à-dire, il y a des calvinistes sincères qui nient de bonne foi le libre arbitre et le mérite, parce qu'ils voient la toute-puissance de la grâce clairement établie dans l'Ecriture; et de même il y a des pélagiens de bonne foi.

« Se contredire. » Les jésuites pouvaient se défendre par le même principe, car ils ne niaient pas la grâce, ils avaient seulement leur manière de la comprendre et de l'accorder avec la liberté.

5 << De pleurer. » Ecclés., 111, 4-8 : « Toutes choses ont leur temps, et tout passe >> sous le ciel à son heure. Il y a temps de naître, et temps de mourir; temps de >> planter, et temps d'arracher ce qui est planté ; temps de tuer, et temps de guérir; >> temps d'abattre, et temps de bâtir; temps de pleurer, el temps de rire; temps de >> faire des lamentations, et temps de danser; temps de jeter les pierres, et temps » de les ramasser; temps d'embrasser, et temps de s'éloigner des embrassements; »>> temps d'acquérir, et temps de perdre; temps de conserver, et temps de rejeter; >> temps de dechirer, et temps de recoudre; temps de se taire, et temps de parler; > temps pour l'affection, et temps pour la haine; temps pour la guerre, et temps >> pour la paix.

6 << Ne respondeas. » Prov., XXVI, 4-5: « Ne réponds pas au fou comme le mé>> rite sa folié, de peur de devenir semblable à lui. Réponds au fou comme le mérite »sa folie, de peur qu'il ne s'imagine être sage. »

7 << En Jésus-Christ. » C'est ce qui va être expliqué plus loin.

8 << Les deux mondes. » Le monde de la nature, et le monde de la grâce.

nouvelle terre; nouvelle vie, nouvelle mort1; toutes choses doublement, et les mêmes noms demeurant.

Et enfin les deux hommes qui sont dans les justes 2, car ils sont les deux mondes, et un membre et image de JÉSUS-CHRIST. Et ainsi tous les noms leur conviennent, de justes, pécheurs; mort, vivant; vivant, mort; élu, réprouvé, etc.

Il y a donc un grand nombre de vérités, et de foi, et de morale, qui semblent répugnantes, et qui subsistent toutes dans un ordre admirable.

La source de toutes les hérésies est l'exclusion de quelquesunes de ces vérités; et la source de toutes les objections que nous font les hérétiques est l'ignorance de quelques-unes' de ces vérités.

Et d'ordinaire il arrive que, ne pouvant concevoir le rapport de deux vérités opposées, et croyant que l'aveu de l'une enferme l'exclusion de l'autre, ils s'attachent à l'une, ils excluent l'autre, et pensent que nous, au contraire. Or l'exclusion est la cause de leur hérésie; et l'ignorance que nous tenons l'autre cause leurs objections.

1er exemple: JÉSUS-CHRIST est Dieu et homme. Les ariens', ne

1 « Nouvelle mort. » Dans le monde de la nature, la vie et la mort sont ce qu'on appelle ainsi d'ordinaire. Dans le monde de la grâce, la vie est l'état de grâce, la mort est l'état de péché.

2 « Dans les justes. » Tout le monde sait les vers de Racine :

Je trouve deux hommes en moi, etc.

D'après saint Paul, Rom., VII, 45-25.

3 « Et image de Jésus-Christ » Il y a donc en chaque juste une espèce d'incarnation, un Dieu dans un homme.

Mort, vivant; vivant, mort. » Il ne faut pas croire que ce soit deux fois la même chose. D'une part le juste est mort au monde, détaché des choses de la vie, mais vivant de la grace. De l'autre il est vivant de la vie extérieure, mais il est mort spirituellement par le péché originel qu'il porte en lui.

5 Elu, réprouvé.

a

» Elu comme juste, réprouvé comme homme; réprouvé en vertu du péché originel, mais élu en verta de la grâce.

« Il y a donc. » P. R., XXVIII. P. R. commence seulement ici, parce que ce qui précède aurait réveillé les débats sur la grâce.

7

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L'ignorance de quelques-unes. » Il faut entendre, d'après ce qui va suivre, l'ignorance où ils sont que certaines vérités (celles qu'ils reconnaissent) sont recon

nues par nous.

8

« Et pensent que nous, au contraire. » P. R. supprime ces mots et la phrase suivante; il semble que c'est faute d'avoir compris les expressions expliquées dans la note précédente.

9 « Les ariens. » P. R. substitue à l'exemple des ariens l'exemple de deux hérésies opposées l'une à l'autre, celle des nestoriens et des eutychéens (cf. XVII, 4, troisième fragment). C'est sans doute parce que les ariens ne disaient pas précisément que Jésus-Christ ne fût qu'un homme, quoiqu'on pût pousser leur doctrine à cette conséquence.

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