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Il n'y a point de doctrine plus propre à l'homme que celle-là, qui l'instruit de sa double capacité de recevoir et de perdre la grâce, à cause du double péril où il est toujours exposé, de désespoir ou d'orgueil.

7.

Les philosophes 2 ne prescrivaient point des sentiments proportionnés aux deux états 3. Ils inspiraient des mouvements de grandeur pure, et ce n'est pas l'état de l'homme. Ils inspiraient des mouvements de bassesse pure', et ce n'est pas l'état de l'homme'. Il faut des mouvements de bassesse, non de nature, mais de pénitence; non pour y demeurer, mais pour aller à la grandeur. Il faut des mouvements de grandeur, non de mérite', mais de grâce, et après avoir passé par la bassesse.

8

8.

Nul n'est heureux comme un vrai chrétien, ni raisonnable, ni vertueux, ni aimable '.

Avec combien peu d'orgueil 10 un chrétien se croit-il uni à Dieu! avec combien peu d'abjection s'égale-t-il aux vers de la terre! La belle manière 11 de recevoir la vie et la mort, les biens et les maux!

11

9.

Incompréhensible 12.-Tout ce qui est incompréhensible ne laisse pas d'être. Le nombre infini 13. Un espace infini 14, égal au fini.

1 « Il n'y a point de doctrine. 405. P. R., III.

2 « Les philosophes. » 481. P. R., III.

3

« Aux deux états. » De grandeur et de bassesse.

4 De grandeur pure. » Dans l'école stoïcienne.

5 « De bassesse pure. » Dans l'école épicurienne.

6 « Et ce n'est pas l'état de l'homme. » C'est la même condamnation, il la prononce dans les mêmes termes. P. R. a tort de les changer.

7. Non de mérite. » C'est-à-dire qui partent, non du sentiment de notre mérite; mais de la confiance en la grâce.

8 « Nul n'est heureux. » 414. P. R., III.

9 « Ni aimable.» Pascal a-t-il été ce vrai chrétien, le plus heureux des hommes,

e plus raisonnable, le plus aimable? Qu'on lise sa vie écrite par sa sœur.

10 « Avec combien peu d'orgueil. » 202. P. R., III.

11 « La belle manière. » Cette phrase manque dans les éditions.

12

« Incompréhensible. » 323. P. R., IV. P. R. supprime le premier alinéa. Le mot incompréhensible indique une première objection contre le dogme, qui est qu'il est incompréhensible. Pascal répond: Tout ce qui est incompréhensible, etc.

13 « Le nombre infini. Mais il n'y a pas de nombre infini. Voir x, 1.

14

D

« Un espace infini. » Supposez un espace qui s'étende à l'infini, mais en se

Incroyable que Dieu s'unisse à nous. - - Cette considération n'est tirée que de la vue de notre bassesse. Mais si vous l'avez bien sincère, suivez-la aussi loin que moi, et reconnaissez que nous sommes en effet si bas, que nous sommes par nous-mêmes incapables de connaître si sa miséricorde ne peut pas nous rendre capables de lui. Car je voudrais bien savoir d'où cet animal, qui se reconnaît si faible, a le droit de mesurer la miséricorde de Dieu, et d'y mettre les bornes que sa fantaisie lui suggère. L'homme sait si peu ce que c'est que Dieu, qu'il ne sait pas ce qu'il est lui-même : et, tout troublé de la vue de son propre état, il ose dire que Dieu ne peut pas le rendre capable de sa communication! Mais je voudrais lui demander si Dieu demande autre chose de lui, sinon qu'il l'aime en le connaissant ; et pourquoi il croit que Dieu ne peut se rendre connaissable et aimable à lui, puisqu'il est naturellement capable d'amour et de connaissance. Il est sans doute qu'il connaît au moins qu'il est', et qu'il aime quelque chose. Donc s'il voit quelque chose dans les ténèbres où il est, et s'il trouve quelque sujet d'amour parmi les choses de la terre, pourquoi, si Dieu lui donne quelques

rétrécissant toujours, comme certains espaces asymptotiques, de manière qu'en additionnant les portions successives de cet espace, la mesure en puisse être représentée par la série indéfinie 1 +++, etc. La limite de cette série sera 2; en d'autres termes, la mesure de cet espace sera toujours moindre que 2; ou, suivant les expressions dont se servent les mathématiciens, elle ne deviendra égale à 2 qu'à l'infini. Il y aura donc là un espace infini égal à un espace fini qui serait mesuré par 2. Mais l'espace asymptotique, s'étendant à l'infini, n'est qu'une conception abstraite de l'entendement, sans réalité dans la nature.

« Incroyable que Dieu. Seconde objection. P. R. met en titre, Il n'est pas incroyable, etc., puis commence ainsi : « Ce qui détourne les hommes de croire qu'ils » soient capables d'être unis à Dieu n'est autre chose que la vue de leur bassesse. » 2 << Mais si vous l'avez bien sincère. » P. R., Mais s'ils l'ont, etc.

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a Incapables de connaître. » On voit très-bien là comment Pascal prétend faire servir le scepticisme à la foi. Nous avons si peu de raison, que nous ne pouvons pas même savoir ce qui est suivant la raison.

4 « D'où cet animal. » P. R., cette créature.

« A le droit de mesurer. » Quand nous découvrons dans la nature quelque force nouvelle et inconnue, nous ne prétendons pas mesurer à priori ce qu'elle peut faire. Pourquoi donc le prétendons-nous à l'égard de Dieu? N'est-ce pas que la mesure des forces de la nature paraît tout à fait indépendante de l'idée que nous avons d'elles, car elles se manifestent tout à fait en dehors de nous. Au contraire, nous trouvons Dieu en nous, dans notre raison, dans les conceptions métaphysiques de cause, de substance, d'infini. Dès lors, nous sommes tentés naturellement de mesurer son essence à la mesure de nos idées, puisque c'est par nos idées qu'il y a un Dieu pour nous.

6 « Et tout troublé. » Que cela est vif et dédaigneux !

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(1 Qu'il connait au moins qu'il est. » C'est le principe de Descartes.

rayons de son essence 1, ne sera-t-il pas capable de le connaitre et de l'aimer en la manière qu'il lui plaira se communiquer à nous? Il y a donc sans doute 2 une présomption insupportable dans ces sortes de raisonnements, quoiqu'ils paraissent fondés sur une humilité apparente, qui n'est ni sincère, ni raisonnable, si elle ne nous fait confesser que, ne sachant de nous-mêmes qui nous sommes, nous ne pouvons l'apprendre que de Dieu.

ARTICLE XIII.

3

1.

La dernière démarche 3 de la raison, c'est de connaître qu'il y a une infinité de choses qui la surpassent. Elle n'est que faible*, si elle ne va jusqu'à connaître cela. Que si les choses naturelles la surpassent, que dira-t-on des surnaturelles?

Il faut savoir douter où il faut, assurer où il faut et se soumettre où il faut'. Qui ne fait ainsi n'entend pas la force de la raison. Il y en a qui faillent contre ces trois principes, ou en assurant tout' comme démonstratif, manque de se connaitre en démonstration; ou en doutant de tout', manque de savoir où il faut se soumet

1 « Quelques rayons de son essence. » Donner à l'homme quelques rayons n'est pas une expression juste pour dire faire arriver jusqu'à lui ces rayons.

2 << Sans doute.» Dans le sens primitif et naturel de l'expression, sans aucun doute, certainement.

3 « La dernière démarche. » 247. P. R., v.

4 « Elle n'est que faible. » C'est-à-dire Ce n'est qu'une raison faible, si, etc. 5 « Que si les choses naturelles. » Les choses naturelles surpassent quelquefois notre raison en ce sens qu'elle ne peut pas les expliquer; mais elles sont toujours à sa portée en ce sens qu'il lui appartient de les reconnaître, et de s'assurer de ce qu'elles sont.

« Il faut savoir. » 461. En titre, Soumission. P. R., v.

7 << Douter où il faut, » etc. Pascal avait écrit d'abord : « Il faut avoir ces trois qua>>lités, pyrrhonien, géomètre, chrétien soumis; et elles s'accordent et se tempè>> rent, en doutant où il faut, en assurant où il faut, en se soumettant où il faut. Il semble avoir trouvé cette expression de pyrrhonien trop forte, et s'être corrigé lui-même comme P. R. aurait pu le corriger.

8 « Ou en assurant tout. » Les dogmatiques, les philosophes.

9 « Ou en doutant de tout. » Les incrédules ou les hérétiques.

tre; ou en se soumettant en tout1, manque de savoir où il faut juger.

2.

Si on soumet tout 2 à la raison, notre religion n'aura rien de mystérieux ni de surnaturel. Si on choque les principes de la raison, notre religion sera absurde et ridicule.

Saint Augustin'. La raison ne se soumettrait jamais si elle ne jugeait qu'il y a des occasions où elle se doit soumettre. Il est donc juste qu'elle se soumette quand elle juge qu'elle se doit soumettre".

3.

La piété est différente de la superstition. Soutenir la piété jusqu'à la superstition, c'est la détruire. Les hérétiques nous reprochent cette soumission superstitieuse. C'est faire ce qu'ils nous reprochent'...

1 & Ou en se soumettant en tout. » Les superstitieux. Cf. 2 et 3. Le rapprochement de ces passages montre que c'est ici une pensée qui se rapporte à la querelle du jansénisme. Pascal ne veut pas qu'on se soumette à croire, sur l'autorité du pape, des évêques, et de la Sorbonne, que les cinq propositions sont dans Jansénius. C'est là, suivant lui, le cas de douter, ce n'est pas celui de se soumettre. Le titre Soumission, qu'on trouve dans le manuscrit, indique bien quelle est la question qui préoccupe Pascal; c'est de marquer à la soumission ses limites. Il se sert ici du pyrrhonisme contre l'autorité, comme ailleurs contre la philosophie.

« Si on soumet tout. » 213. P. R., v.

3a Saint Augustin. » 406. P. R., v. On lit dans une lettre de saint Augustin à Consentius (Ep. cxx, 3): « Que la foi doive précéder la raison, cela même est un » principe raisonnable [ rationnel]. Car si ce précepte n'est pas raisonnable, il est >> donc déraisonnable; ce qu'à Dieu ne plaise! Si donc il est raisonnable que, pour » arriver à des hauteurs que nous ne pouvons encore atteindre, la foi précède la » raison, il est évident que cette raison telle quelle qui nous persuade cela pré» cède elle-même la foi. »>

« Qu'elle se doit soumettre. » P. R. complète la pensée de Pascal : « et qu'elle »ne se soumette pas, quand elle juge avec fondement qu'elle ne doit pas le faire. » P. R. ajoute naïvement : « Mais il faut prendre garde à ne pas se tromper. » Là est en elfet la difficulté pour des sectaires, qui prétendent être à la fois orthodoxes et indépendants. Pascal, attaqué dans la liberté de sa conscience, passe du côté de la raison, qu'il maltraitait si fort. Il disait ailleurs (VIII, 1): « Humiliez-vous, raison >> impuissante! taisez-vous, nature imbécile!» Et maintenant il veut que la raison juge quand elle doit se soumettre, c'est-à-dire qu'il lui remet tout dans la main.) 3 « La piété. 398. P. R., v.

6 « Nous reprochent. » C'est-à-dire reprochent aux catholiques.

« C'est faire ce qu'ils nous reprochent. » P. R. complete la pensée, qui est la sienne « C'est faire ce qu'ils nous reprochent que d'exiger cette soumission dans » les choses qui ne sont pas matière de soumission. » Par exemple dans la question de savoir si les propositions condamnées comme extraites du livre de Jansénius sont dans ce livre.

Il n'y a rien 1 de si conforme à la raison que ce désaveu de la raison 2.

Deux excès: exclure la raison, n'admettre que la raison.

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4.

La foi dit bien ce que les sens ne disent pas, mais non pas le contraire de ce qu'ils voient. Elle est au-dessus, et non pas contre.

5.

Si j'avais vu un miracle", disent-ils, je me convertirais. Comment assurent-ils qu'ils feraient ce qu'ils ignorent ? Ils s'imaginent que cette conversion consiste en une adoration qui se fait de Dieu comme un commerce et une conversation telle qu'ils se la figurent. La conversion véritable consiste à s'anéantir devant cet être universel qu'on a irrité tant de fois, et qui peut vous perdre' légitimement à toute heure; à reconnaître qu'on ne peut rien sans lui, et qu'on n'a rien mérité de lui que sa disgrâce. Elle consiste à connaître qu'il y a une opposition invincible 10 entre Dieu et nous; et que, sans un médiateur, il ne peut y avoir de commerce.

6.

Ne vous étonnez pas 11 de voir des personnes simples croire sans

1 « Il n'y a rien. » 244. P. R., v.

2

« Ce désaveu de la raison. » P. R. ajoute : « dans les choses qui sont de foi, >> et rien de si contraire à la raison que le désaveu de la raison dans les choses qui » ne sont pas de foi. »

3 « Deux excès. » 469. P. R. fait rentrer cette pensée dans la précédente. — On lit encore, page 463 du manuscrit : « Ce n'est pas une chose rare qu'il faille re>> prendre le monde de trop de docilité. C'est un vice naturel comme l'incrédulité, > et aussi pernicieux. Superstition. » C'est de ce vice que Port Royal prétendait se garantir en refusant d'obéir à l'autorité à laquelle obéissait tout ce qui était catholique. Mais les protestants parleront comme Pascal, et les incrédules comme les protestants.

4 « La foi dit bien. » 409. P. R., v.

5 « Si j'avais vu un miracle. » 483. P. R., vi.

6 << Ce qu'ils ignorent. » Ils ignorent ce que c'est que de se convertir.

7 « Que cette conversion consiste. » Cette phrase, très-négligée et très-mal faite, a été corrigée par P. R. en ces termes : « Ils s'imaginent qu'il ne faut pour cela » que reconnaître qu'il y a un Dieu; et que l'adoration consiste à lui tenir de cer»tains discours, tels à peu près que les païens en faisaient à leurs idoles. »

8 « La conversion véritable consiste. » Pour se convertir ainsi, il faut être touché jusqu'au fond du cœur; et comment peut-on s'engager à être ainsi touché? Voilà le sens de Pascal.

« Et qui peut vous perdre. » Toujours cette idée de damnation.

10 « Qu'il y a une opposition invincible. » Que cette religion du jansénisme est triste et farouche !

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