Page images
PDF
EPUB

et qu'il consiste en preuves, et quel est l'objet de la médecine, et qu'il consiste en la guérison; mais on ne sait pas en quoi consiste l'agrément, qui est l'objet de la poésie. On ne sait ce que c'est que ce modèle naturel qu'il faut imiter; et, à faute de cette connaissance, on a inventé de certains termes bizarres : « siècle d'or, merveille de nos jours, fatal, etc.1; » et on appelle ce jargon beauté poétique. Mais qui s'imaginera une femme sur ce modèle-là, qui consiste à dire de petites choses avec de grands mots2, verra une jolie demoiselle toute pleine de miroirs et de chaînes', dont il rira, parce qu'on sait mieux en quoi consiste l'agrément d'une femme que l'agrément des vers. Mais ceux qui ne s'y connaîtraient pas l'admireraient en cet équipage; et il y a bien des villages où on la prendrait pour la reine et c'est pourquoi nous appelons les sonnets faits sur ce modèle-là les reines de villages.

d'imagination ou de passion qui sont des accidents, et qui ont chacun à part leur effet et leur charme. Ce sont là les vraies beautés poétiques. Les idées de Pascal semblent ici bizarres et fausses. Puisqu'il cite ailleurs Corneille, il aurait pu y trouver des beautés poétiques qui ne sont pas un jargon.

<< Fatal, etc. » P. R. a mis, fatal laurier, bel astre. Pascal raille seulement l'emploi de l'adjectif fatal, mis à la mode par Malherbe, qui avait une grande prédilection pour ce mot, ainsi que l'a remarqué Ménage. Il l'emploie le plus souvent dans une acception favorable, au sens du latin fatalis.

Puissance, quiconque tu sois

Dont la fatale diligence

Préside à l'empire françois! (Ode 4.)

Tu menois le blond Hyménée,

Qui devoit solonnellement

De ce falal accouplement *

Célébrer l'heureuse journée. (Ode 6, au duc de Bellegarde.)

Plus haut, dans cette même ode :

Qui ne sait de quelles tempêtes.

Leur fatale main autrefois, etc. etc.

Quant au siècle d'or, voir surtout les Stances récitées au ballet de Madame princesse d'Espagne. (II, 28). Enfin, l'expression de merveille revient à chaque instant, enchâssée de diverses manières. Voilà les agréments que répétaient à satiété tous ces petits poëtes, que Boileau trouvait si aisé d'imiter, s'il eût voulu

2

Dans ses vers recousus mettre en pièces Malherbe.

« De petites choses avec de grands mots. » Excellente définition de la fausse éloquence, et qui est de tous les temps.

3 « De miroirs et de chaînes. » M. Sainte-Beuve (Port-Royal, t. III, p. 49) a justement rapproché du fragment de Pascal ce passage des Lettres persanes : « Ce » sont ici les poètes, c'est-à-dire ces auteurs dont le métier est de mettre des en>> traves au bon sens, et d'accabler la raison sous les agréments, comme on ense» velissait autrefois les femmes sous leurs ornements et leurs parures. » (Lettre 137.) 4 « Nous appelons. » Qui, nous? Apparemment la petite société d'hommes de goût, de raffinés, dont Méré était l'oracle.

* Le mariage d'Henri IV avec Marie de Médicis.

26.

Quand un discours1 naturel peint une passion, ou un effet, on trouve dans soi-même la vérité de ce qu'on entend, laquelle on ne savait pas qu'elle y fût 2, en sorte qu'on est porté à aimer3 celui qui nous le fait sentir; car il ne nous a pas fait montre de son bien", mais du nôtre; et ainsi ce bienfait nous le rend aimable : outre que cette communauté d'intelligence que nous avons avec lui incline nécessairement le cœur à l'aimer.

27.

Il faut de l'agréable et du réel; mais il faut que cet agréable soit lui-même pris du vrai®.`

28.

Quand on voit le style naturel', on est tout étonné et ravi; car on s'attendait de voir un auteur, et on trouve un homme 3. Au lieu que ceux qui ont le goût bon, et qui en voyant un livre croient trouver un homme, sont tout surpris de trouver un auteur: Plus poetice' quam humane locutus es. Ceux-là honorent bien la nature, qui lui apprennent qu'elle peut parler de tout, et même de théologie 1o.

1 << Quand un discours. » 420. P. R., XXXI.

2

« Qu'elle y fût, » Il faudrait, pour que la phrase fût correcte, laquelle on ne savait pas qui y fút. Mais on répétait alors volontiers il ou elle.

« Qu'on est porté à aimer. » Pascal dit ailleurs (xxv, 24): « Ce n'est pas dans » Montaigne, mais dans moi, que je trouve tout ce que j'y vois. » C'est donc à Montaigne aussi sans doute qu'il pensait ici.

4 « De son bien. » Ce qui blesserait notre vanité et exciterait notre jalousie.

5 « Il faut de l'agréable. » 402. En titre, Éloquence. P. R., XXXI.

6 « Soit lui-même pris du vrai. » Cela est si juste qu'on ne voit pas même d'abord comment Pascal peut distinguer l'agréable du réel. Pensait-il aux figures, aux images, qui expriment la vérité, mais par une espèce de fiction?

7 « Quand on voit le style naturel, » 427. P. R., XXXI. — voit que le style est naturel,

C'est-à-dire, quand on

« Et on trouve un homme. » Méré, Discours de la Conversation, p. 76 : « Je > disais à quelqu'un fort savant qu'il parlait en auteur. Eh quoi! me répondit cet » homme, ne le suis-je pas? Vous ne l'êtes que trop, repris-je en riant, et vous >> feriez beaucoup mieux de parler en galant homme. » C'est plutôt encore Montaigne que Méré qui a dû inspirer à Pascal cette pensée : et à qui s'applique-t-elle mieux?

« Plus poetice. >> Cette phrase est de Pétrone, au chapitre 90, où elle n'a pas le même sens que dans Pascal. Pascal emprunte sans doute à quelqu'un cette citation. 10 « Et même de théologie.» Est-ce là un retour sur les Provinciales?

29.

1

La dernière chose qu'on trouve en faisant un ouvrage est de savoir celle qu'il faut mettre la première.

30.

Il ne faut point détourner 2 l'esprit ailleurs, sinon pour le délasser, mais dans le temps où cela est à propos; le délasser quand il faut, et non autrement; car qui délasse hors de propos, il lasse; et qui lasse hors de propos délasse 3, car on quitte tout là; tant la malice de la concupiscence se plaît à faire tout le contraire de ce qu'on veut obtenir de nous sans nous donner du plaisir, qui est la monnaie pour laquelle nous donnons tout ce qu'on veut.

[ocr errors]

31.

Quelle vanité que la peinture, qui attire l'admiration par la ressemblance des choses dont on n'admire pas les originaux '!

32.

Un même sens' change selon les paroles qui l'expriment. Les sens reçoivent des paroles leur dignité, au lieu de la leur donner. Il en faut chercher des exemples...

33.

Ceux qui sont accoutumés à juger par le sentiment ne comprennent rien aux choses de raisonnement; car ils veulent d'abord pénétrer d'une vue, et ne sont point accoutumés à chercher les

1 « La dernière chose qu'on trouve. » 225. Manque dans P. R,

2

« Il ne faut point détourner. » 129. En titre, Langage. P. R., XXXI.

3 « Et qui lasse hors de propos délasse. » Pascal s'explique tout de suite: car on quitte tout là, et ainsi l'esprit, qu'on croyait tenir bien tendu, échappe tout à fait, et se délasse à son aise. C'est comme dans l'épigramme de Rousseau : Faisons-les courts en ne les lisant point.

4 « Qui est la monnaie. » Voltaire voudrait que Pascal eût dit, la denrée.

5 « Quelle vanité. » 21. Manque dans P. R.

6 « Les originaux. » Cependant s'il n'y avait aucune espèce de beauté dans l'original, il ne pourrait pas y en avoir dans la peinture.

7 « Un même sens. » 225. Manque dans P. R. Il n'est pas vrai que la pensée reçoive sa dignité des paroles, car c'est la pensée qui fait les paroles à son image. La parole toute seule n'est rien.

8

« Il en faut chercher des exemples. » Pascal n'a pas achevé, il n'aurait pu trouver des exemples à l'appui d'une remarque qui n'est pas vraie.

Sur la différence

« Ceux qui sont accoutumés. » 229. Manque dans P. R. des choses de raisonnement et des choses de sentiment, voir le paragraphe 2.

principes. Et les autres, au contraire, qui sont accoutumés à raisonner par principes, ne comprennent rien aux choses de sentiment, y cherchant des principes, et ne pouvant voir d'une vue.

34.

La vraie éloquence1 se moque de l'éloquence, la vraie morale se moque de la morale; c'est-à-dire que la morale du jugement se moque de la morale de l'esprit, qui est sans règles 2. Car le jugement est celui à qui appartient le sentiment, comme les sciences appartiennent à l'esprit. La finesse est la part du jugement, la géométrie est celle de l'esprit.

Se moquer de la philosophie, c'est vraiment philosopher.

5

35.

Toutes les fausses beautés que nous blàmons en Cicéron ont des admirateurs, et en grand nombre.

1 « La vraie éloquence. » 169. En titre, Géométrie, Finesse. Manque dans P. R. Le titre, Géométrie, Finesse, indique qu'il faut rapprocher ce fragment du paragraphe 2. Sur la vraie éloquence opposée à ce qu'on appelle l'éloquence, cf. le paragraphe suivant.

2

<< Qui est sans règles. » Cependant la morale de l'esprit étant, d'après ce qui suit, la morale du raisonnement, la morale géométrique, comment peut-elle être sans règles? C'est qu'il n'y a pas de principes absolus sur lesquels on puisse établir une géométrie en morale.

3 « Car le jugement est celui à qui. » C'est-à-dire est ce à quoi. Celui est au masculin parce que le jugement est au masculin; c'est une attraction à la manière des langues anciennes.

4 « Se moquer de la philosophie. » C'est comme s'il avait dit, en continuant le même tour La vraie philosophie se moque de la philosophie. Mont., Apol., p. 146 « Un ancien à qui on reprochoit qu'il faisoit profession de la philosophie, » de laquelle pourtant en son jugement il ne tenoit pas grand compte, respondit que >> cela c'estoit vrayement philosopher. >>

:

5 « Toutes les fausses beautés. » 439. Manque dans P. R. En blåmant dans Cicéron les fausses beautés, on doit croire que Pascal ne méconnaissait pas les véritables. Montaigne, son maître, qui parle d'ailleurs assez durement de Cicéron, ajoute pourtant (II, 40, p. 451): « Quant à son eloquence, elle est du tout hors >> de comparaison: ie crois que iamais homme ne l'egualera. » Il mêle à cet éloge quelques critiques sans y appuyer beaucoup; et nulle part, je crois, il ne lui reproche des beautés fausses. Mais il est remarquable que trois de nos plus grands esprits, Pascal, La Fontaine, Fénelon, se soient montrés sévères à l'égard de cette éloquence tant admirée. C'est justement, je crois, parce qu'elle était trop indiscrètement admirée de leur temps, et que le nom de Cicéron était compromis par les déclamateurs cicéroniens. Rollin encore, qui a tant de sens, avait peine à consentir qu'on préférât à Cicéron Démosthène (voir son Traité des Études); qu'on juge où devait aller l'enthousiasme des esprits vulgaires, puisé dès l'enfance dans les écoles, et fortifié par la pratique d'un art oratoire tel que celui que Racine a parodié dans les Plaideurs. Méré ne parait pas goûter beaucoup Cicéron; et en effet, Cicéron est trop constamment oraleur pour plaire à ces délicats qui voulaient qu'on ne fût qu'honnéte homme. Cf. VI, 45.

36.

Il y a beaucoup de gens qui entendent le sermon de la même manière qu'ils entendent vêpres.

37.

Les rivières sont des chemins qui marchent, et qui portent où l'on veut aller3.

38.

Deux visages semblables, dont aucun ne fait rire en particulier, font rire ensemble par leur ressemblance.

39.

... Ils ont quelques principes; mais ils en abusent. Or, l'abus des vérités doit être autant puni que l'introduction du mensonge.

[ocr errors]

ARTICLE VIII.

1.

Les principales forces des pyrrhoniens, je laisse les moindres, sont que nous n'avons aucune certitude de la vérité de ces principes, hors la foi et la révélation, sinon en ce que nous les sentons naturellement en nous or, ce sentiment naturel n'est pas une preuve convaincante de leur vérité, puisque n'y ayant point de certitude, hors la foi, si l'homme est créé par un Dieu bon, par un démon méchant, ou à l'aventure, il est en doute si ces principes nous sont

« Il y a beaucoup de gens. » 275. Manque dans P. R. P. R. n'aurait pas voulu dire ce que semble dire Pascal, qu'on entend vêpres machinalement, comme quelque chose d'étranger, à quoi on n'a point de part.

2 « Les rivières sont des chemins. » 439. Manque dans P. R.

3 « Où l'on veut aller. » Pourvu qu'on veuille aller où elles portent.

4 « Deux visages semblables. » 83. Manque dans P. R.

5 « Ils ont quelques principes. » 344. En titre : Probabilité. Supprimé dans P. R., comme se rattachant aux querelles du jansénisme. On lit dans les éditions: Les astrologues, les alchimistes ont quelques principes, etc. On voit que Pascal ne pensait pas du tout aux alchimistes et aux astrologues, mais à la morale des jésuites et à leur doctrine de la probabilité. Voir les Provinciales.

« Les principales forces. » 257. P. R., xxI. P. R. a mis en tête de ce morceau un alinéa qui en forme comme l'exorde.

? « De ces principes. » P. R.: Des principes. C'est ce qu'il appelle plus loin les principes naturels. Cf. 111, 15, pour voir ce que c'est que ces principes.

« Par un démon méchant. » C'est l'objection que se fait Descartes.

[ocr errors]
« PreviousContinue »