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Pour conclure généralement et sans parti pris sur les Satires, tout cela sans doute est fait avec art et d'un esprit industrieux, mais d'une verve courte, peu jaillissante. Nombre de traits bien rangés, limés, aiguisés, souvent empruntés des anciens, refaçonnés à la moderne; beaucoup de talent, mais un peu pénible. Ce sont moins des saillies originales, comme sont la plupart de celles de Mathurin Regnier, que des plaisanteries exhumées, sentant le latin; même dans cette Satire contre les Femmes. L'auteur n'est pas assez du monde, la conversation des femmes lui a manqué. Quelle différence avec Racine! comme celui-ci est affiné, souple et poli! comme il pétille de malice, de grâce et d'éclairs! Le Roi, pendant vingt ans de suite, dès le jour où il le connut, ne put se passer de son entretien. Boileau a plus d'acquis que de jet naturel, à part l'humeur un peu quin

teuse. Il est de nature moins flexible

que son ami. Dans le caractère, tant mieux! dans le talent, tant pis! C'est seulement quand le sujet touche à la littérature que, le génie critique excitant le poète, son style devient vif et prompt, s'échauffe d'une passion personnelle, et, même en imitant, prend une physionomie; par exemple, dans cette neuvième Satire, à son esprit : c'est là qu'il a des vers jaillis de verve, un mouvement général animé. Ailleurs, le plus souvent, ses petits morceaux rapportés ne sont rattachés entre eux qu'avec peine. Il trouve que le plus difficile de l'ouvrage, c'est les transitions; et l'on s'en aperçoit la plupart des siennes sont lourdes et froides; au lieu que dans une œuvre vivement enlevée, comme celle que nous venons de rappeler, il y a un mouvement naturel qui dispense de ce lien ou de cet artifice; les idées conçues d'ensemble se tiennent, s'engendrent et sedéveloppent sans effort.

Quel est donc le mérite propre ou principal de l'auteur des Satires à sa date? C'est, dit Sainte-Beuve, « le mérite du courage et du jugement, à son moment, avec un parfait à-propos. Il remit en bon ordre les admirations du public; il replaça les auteurs à leur rang 1; il dit sur les Chapelain

1. « Ce qui est manifeste aujourd'hui et pleinement sorti à nos yeux, était alors assez embrouillé pour les contemporains, et à demi caché dans la mêlée, non encore dégagé et distinct.»> Le même, dans son Port-Royal, t. V.

et consorts, sur les graves ennuyeux, ce que plusieurs pensaient sans oser le dire à personne, ni se l'avouer à eux-mêmes. Il les chassa de l'estime des Colbert, et ne leur laissa pour refuge et pour appui que l'autorité surannée et chagrine des Montausier. Il fit de la place dans les esprits encombrés de sottes idoles littéraires et de sots noms, pour que bientôt s'y pussent loger en pleine lumière les grands et beaux noms légitimes qui allaient venir ou dont quelques-uns même étaient déjà produits, mais confondus encore au hasard et en compagnie trop mêlée. Voilà l'honneur du Boileau primitif, agressif, avant son installation à la Cour et quand il n'est encore que le poète le plus vif de la place Dauphine et du quartier du Palais. Il fit d'abord la police dans la Galerie et chez les libraires. L'utile et le piquant, aujourd'hui évaporés, de ses premières Satires doivent s'entendre et se recomposer ainsi. »

Cette période de son talent peut se marquer sommairement par ces deux vers où, parlant de la vérité dans la satire, il dit :

C'est elle qui, m'ouvrant le chemin qu'il faut suivre,
M'inspira dès quinze ans la haine d'un sot livre.

Oui, la haine des sots ouvrages, et l'amour des beaux, voilà la principale veine de son génie, qui est essentiellement critique. Ajoutez à cela

quelques lieux communs agréables et de jolis passages descriptifs. Mais le tout, il faut l'avouer, est petit et mince, et d'un souffle court. Ce sont, la plupart du temps, des morceaux de marqueterie, faits d'abord séparément, puis rajustés les uns aux autres; presque jamais de grandes pièces d'ensemble coulées d'un jet .

La Bruyère a dit, en pensant évidemment à Despréaux « Un homme né chrétien et français se trouve contraint dans la satire. Les grands sujets lui sont défendus: il les entame quelquefois, et se détourne ensuite sur de petites choses, qu'il relève par la beauté de son génie et de son style ». Ce peut être une explication de ce qui manque aux Satires de Boileau. La politique, s'il y eût songé, chose d'ailleurs peu probable, lui eût été interdite; les matières religieuses, il se les interdisait luimême, par piété. A Rome, Lucilius dans ses Satires, ainsi que Nævius, avant lui, dans ses Comédies à la manière d'Aristophane, n'avaient pas craint d'attaquer des hommes puissants. Celui-ci avait osé faire allusion à des aventures de jeunesse de Scipion l'Africain (dont l'autre, au contraire, fut l'ami). Ce même Nævius, à ses risques et périls, avait lancé contre la famille redoutable des Métellus le vers qui mit le peuple en joie :

Fato Metelli Romæ fiunt consules.

Car, malgré l'indétermination du premier mot sans épithète, on voulut l'entendre en ce sens : « C'est pour le malheur de Rome que les Métellus deviennent consuls. » A quoi les Métellus avaient répondu par cet autre vers:

Dabunt malum Metelli Navio poetæ,

« Les Métellus châtieront le poète Nævius. » Il fut, en effet, non pas bâtonné, mais traduit devant les tribunaux, et condamné à la prison. Lorsqu'il eut fait son temps et qu'il redevint libre, il n'en continua pas moins ses attaques politiques. Lucilius de même, dans ses Satires, se choquait hardiment aux hommes d'État; Perse, dans les siennes, osa viser Néron ; et l'on sait comment Juvénal traite Messaline. Dans le monde moderne, sous Louis XIV du moins, la satire politique était impossible: elle n'avait pu reparaître que pendant les guerres civiles et religieuses du seizième siècle : d'Aubigné, dans ses Tragiques, a des éclairs et des hyperboles à la Juvénal. Mais, après qu'Henri IV eut abattu la Ligue, et que Louis XIV fut venu à bout de l'une et de l'autre Fronde, il n'y eut plus de satire politique possible en France; encore bien moins de satire religieuse. Quant aux pamphlets en prose, c'était à l'étranger qu'ils s'imprimaient pour se glisser chez nous. En vers, la chanson seule

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