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sage est celui qu'il consacre à Molière et à Tartuffe non représenté encore là il s'engage résolument, s'associant au hardi combat du grand poète, et fait son possible indirectement pour y entraîner le Roi lui-même :

Tous ces gens, éperdus au seul nom de satire,
Font d'abord le procès à quiconque ose rire.

Ce sont eux que l'on voit, d'un discours insensé,
Publier dans Paris que tout est renversé,

Au moindre bruit qui court qu'un auteur les menace

De jouer des bigots la trompeuse grimace.

Pour eux un tel ouvrage est un monstre odieux :
C'est offenser les lois, c'est s'attaquer aux Cieux.

Mais, bien que d'un faux zèle ils masquent leur faiblesse,
Chacun voit qu'en effet la vérité les blesse:
En vain d'un lâche orgueil leur esprit revêtu
Se couvre du manteau d'une austère vertu ;
Leur cœur, qui se connaît et qui fuit la lumière,
S'il se moque de Dieu, craint Tartuffe et Molière.

Il y avait quelque courage à s'élever avec une telle énergie contre « les originaux qui, comme dit Molière, voulaient faire supprimer la copie »; et cela trois ans avant que le Roi lui-même, auquel Boileau adressait ce Discours, ne fût venu à bout de vaincre les résistances opposées par leur puissante cabale à la représentation de cette comédie qui les démasquait.

La huitième et la neuvième Satires, écrites une année après cette première édition, complètent en

quelque sorte la période initiale de la carrière de notre auteur: la huitième, sur la sottise humaine, reprend avec plus de verve le sujet de la quatrième, que tous les hommes sont fous; la neuvième, adressé à son esprit, nous en avons parlé tout à l'heure à propos de Chapelain, et cité le passage le plus piquant ; c'est le chef-d'œuvre qui couronne cette première période, la période militante, agressive.

1. Voir page 35

IV

Je dirai tout de suite quelques mots des autres Satires, qui vinrent plus tard 1. La dixième fit grand bruit; c'est la Satire des Femmes, imitée de Juvénal, avec quelques touches à la Mathurin Regnier. Nous avons eu occasion de citer les très jolis vers admirés par Victor Hugo, sur la coquette qui fait et défait son visage,

2

1. Sur les dates de chacun des ouvrages de Boileau, on trouve dans les anciennes éditions une liste dressée par luimême. En outre, la chronologie de tous ses écrits, si importante pour l'intelligence du développement de l'œuvre du poète et de son action littéraire, a été refaite avec beaucoup de soin par M. Gustave Vapereau, dans son Dictionnaire des Littératures, livre qui, sous un titre modeste, fait honneur à l'homme de lettres, au philosophe et à l'artiste, et présente un véritable Thesaurus, comme on disait autrefois, de recherches originales et de fine critique.

2. Voir le Romuntisme des Classiques, 1re série, p. 393.

Et, dans quatre mouchoirs de sa beauté salıs
Envoie au blanchisseur ses roses et ses lys.

« On ne doit pas battre les femmes, même avec une fleur », dit le proverbe indien. Notre satirique, un peu brutal, les flagelle à coups de lanière. La coquette, l'infidèle, la joueuse, l'avare, la revêche, la jalouse, la capricieuse, la pédante, l'orgueilleuse, la dévote, la fantasque, la femme athée, la prude, la gourmande, la bavarde, la plaideuse, la maràtre, d'autres encore, défilent pendant sept cent trente-huit vers satire un peu longue et lourde, excepté en quelques parties. Quand on parle des femmes, et pour en dire du mal, il faut du moins que la touche soit légère, afin qu'elles-mêmes s'en amusent et pardonnent, comme quand elles lisent La Rochefoucauld.

Perrault, en réponse à ce castoiement, se mit à versifier l'Apologie des Femmes ; ce fut sa première escarmouche contre Boileau, avant la grande querelle des Anciens et des Modernes. Arnauld crut devoir prendre la défense de Boileau. Bossuet, au contraire, blåma le satirique, comme ayant porté atteinte à l'institution du mariage. C'est dans son traité de la Concupiscence; il ne nomme pas Boileau, mais il le désigne visiblement : « Celui-là, dit-il, s'est mis dans l'esprit de blâmer les fem

1. Chapitre XVIII.

mes. Il ne se met point en peine s'il peine s'il condamne le mariage, et s'il en éloigne ceux à qui il a été donné comme un remède. Pourvu qu'à vec de beaux vers il sacrifie la pudeur des femmes à son humeur satirique, et qu'il fasse de belles peintures d'actions bien souvent très laides, il est content. >>

On ne voit pas cependant que ce soit condamner le mariage que de blâmer celles qui en violent les devoirs. Si, à la vérité, l'auteur de la Satire ne pousse guère au mariage, et même feint d'en détourner son interlocuteur Alcippe, il fait pourtant répondre par celui-ci :

Que sous ce joug moqué tout, à la fin, s'engage;
Qu'à ce commun filet les railleurs mêmes pris

Ont été très souvent de commodes maris;

Et que, pour être heureux sous ce joug salutaire,

Tout dépend, en un mot, du bon choix qu'on sait faire;

qu'il ne sera pas fâché, lui Alcippe, de tromper l'espérance des neveux avides qui convoitent et déjà dévorent en pensée son héritage; qu'il est las enfin de vivre seul, volé par ses valets, exposé à être assassiné par eux; que l'homme, après tout, est né pour la société, non pour la solitude:

Et, si durant un jour notre premier aïeul,
Plus riche d'une côte, avait vécu tout seul,
Je doute, en sa demeure alors si fortunée,
S'il n'eût point prié Dieu d'abréger la journée.

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