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Eh bien, dans ces attaques renouvelées sans cesse, n'y a-t-il pas un peu d'excès? Mais la jeunesse est sans pitié, et la verve critique ne songe qu'à percer, aux dépens de qui il appartiendra.

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Une autre victime sur laquelle s'acharne l'auteur des Satires, c'est l'abbé Cotin, - ridicule, il est vrai, et que Molière aussi bafoue dans les Femmes savantes, le nommant d'abord Tricotin, et puis Trissotin (triple sot); - cependant, quel que fût le personnage et comme poète et comme prédicateur, on ne saurait excuser ni de la part de Boileau, ni de celle de Molière, ces attaques injurieuses. Il y a toutefois à distinguer: Molière a eu le tort d'attaquer l'homme même; Boileau ne l'a pas fait.

Cotin, quoique sot d'ordinaire, parfois ne manquait pas d'esprit, et le fit voir au satirique, en répliquant par la Satire des Satires, où il disait, faisant

lui. Ayant fait vou de consacrer sa chevelure à Vénus, elle la suspendit dans le temple de la déesse. Au bout de quelque temps, la chevelure fut volée et disparut. Alors, l'astronome Conon publia par f'atterie qu'elle avait été changée en astre, et donna le nom de Chevelure de Bérénice à une constellation, qui a depuis lors conservé ce nom. Cette princesse fut mise à mort par son propre fils, Ptolémée Philopator. Dans la poésie de Catulle, imitée peut-être de quelque poète alexandrin, Zéphyr pose la chevelure de Bérénice sur les genoux de Vénus, pour lui assurer une beauté éternelle.

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allusion à ses nombreuses réminiscences et à son

manque d'invention :

Il applique à Paris ce qu'il a lu dans Rome;

Ce qu'il dit en français, il le doit au latin,
Et ne fait pas un vers qu'il ne fasse un larcin.
Si le bon Juvénal était mort sans écrire,

Le malin Despréaux n'eût point fait de satire.

Ce n'était vraiment pas mal touché; mais Boi'eau riposta bien joliment aussi, faisant parler ses adversaires :

Gardez-vous, dira l'un, de cet esprit critique;

On ne sait, bien souvent, quelle mouche le pique;
Mais c'est un jeune fou qui se croit tout permis,
Et qui pour un bon mot va perdre vingt amis.
Il ne pardonne pas aux vers de la Pucelle,
Et croit régler le monde au gré de sa cervelle.
Jamais dans le barreau trouva-t-il rien de bon?
Peut-on si bien prêcher qu'il ne dorme au sermon ?
Mais lui, qui fait ici le régent du Parnasse,
N'est qu'un gueux revêtu des dépouilles d'Horace;
Avant lui Juvénal avait dit en latin :

« Qu'on est assis à l'aise aux sermons de Cotin 1.

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1. Satire Ix, vers 119 à 130. Ici même, il imite Horace et Regnier :

Horace, Satires, I, IV, vers 33 à 35 :

Omnes hi metuunt versus, odere poetas :

a Fænum habet in cornu, longe fuge! Dummodo risum Excutiat sibi, non hic cuiquam parcet amico. »

Et Regnier :

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Fuyez... cet homme à la satire,

Qui perdrait son ami plutôt qu'un mot pour rire.

Outre Chapelain, Cotin, Scudéry, c'est Colletet qu'il attrape çà et là, avec plus de violence que de finesse :

Tandis que Colletet, crotté jusqu'à l'échine,

S'en va chercher son pain, de cuisine en cuisine 1.

De telles attaques sont brutales: ce n'est plus de la critique, cela ressemble à des voies de fait. Boileau a beau alléguer, dans son Discours sur la Satire (1668), l'exemple de Lucilius qui, à Rome, n'épargnait ni petits ni grands, et en les nommant par leur nom; puis l'exemple d'Horace, celui de Perse, celui de Juvénal. Ces libertés romaines, renouvelées des Grecs, choquent les mœurs modernes. Regnier a eu tort de les imiter; Voiture également; et Boileau encore plus, lui si honnête et si sensé en tout le reste. Sa jeunesse l'entraînait; plus tard, il se calma.

1. Satire e, vers 77 et 78. On prétend que ce Colleter (François), épousa successivement trois cuisinières. C'était une vocation. Il était le fils de Colletet (Guillaume), l'académicien, qui, mort en 1659, avait été, avons-nous dit, remplacé à l'Académie française par Gilles Boileau, frère de notre auteur.

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Si encore ces attaques se limitaient aux choses de la littérature, on plaiderait les circonstances atténuantes. Mais elles se prennent à toutes choses et à toutes gens avec le même excès. Tout à l'heure c'était à un archevêque; maintenant c'est à un pauvre diable de poète meurt-de-faim; ailleurs, c'est à une autre sorte de personnage, le sieur Jacques Mignot, pâtissier traiteur, maîtrequeux de la maison du Roi, écuyer de la bouche de la Reine. Vous savez comment il le qualifie :

<< Ma foi! vive Mignot et tout ce qu'il apprête, »

(Dit l'hôte). Les cheveux me dressaient à la tête : Car Mignot, c'est tout dire, et dans le monde entier Jamais empoisonneur ne sut mieux son métier.

Mignot porta plainte en diffamation contre l'auteur de la Satire, mais ne put obtenir justice. Alors il se la fit lui-même, assez spirituellement, enveloppant ses gâteaux et ses tourtes dans une feuille par laquelle Cotin venait de répondre à Boileau et qui avait pour titre la Critique désintéressée. Ce coup fourré amusa le public. La vogue de Mignot s'en accrut, et sa fortune également.

Ces vers sont dans la Satire I, le Repas ridicule. En tout cas, on ne peut pas dire que ce Repas fût chiche. Si les mets sont mauvais, et les vins frelatés, la quantité remplace la qualité. Lorsqu'après s'être diverti des descriptions très élégamment tournées, on s'amuse à noter les plats, statistique réaliste à la mode d'aujourd'hui, voici ce qu'on trouve :

Le potage, avec un coq au milieu 1;

1. Anciennement « la poule au pot » était ce qu'on nommait polage; et on la servait sur la table dans le pot ou dans le plat creux, où l'on mettait tremper en son jus mainte tranche de pain, en espagnol supa, d'où vint chez nous le mot soupe, surtout lorsque le jus, allongé et étendu d'eau,

devint bouillon, et on servit la poule à part, que l'on mangea après la soupe. Voilà l'histoire du potage. Ici on en est encore à la vieille mode; si ce n'est qu'en guise de poule dans le potage on a un coq, ce qui ouvre plaisamment le festin ridicule. Regnier, en sa dixième Satire intitulée le Souper ridicule, avait déjà traité ce sujet, imité d'Horace, et trouvé plus d'un joli détail; notamment sur le potage:

Devant moi justement on plante un grand potage,
D'où les mouches à jeun se sauvaient à la nage.

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