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fameux qui, du produit de ses rapines, s'était fait bâtir un hôtel près de la porte Richelieu :

Le chemin aujourd'hui par où chacun s'élève
Fut jadis le chemin qui menait à la Grève 2,
Et Mouleron ne doit qu'à ses crimes divers
Ses superbes lambris, ses jardins toujours verts.

Dans les éditions suivantes, l'auteur, devenu plus prudent, fit disparaître ce passage.- Un autre partisan, qui se nommait Gorge, était attaqué aussi, sous le nom à peine déguisé de George,

Qu'un million comptant, par ses fourbes acquis,
De clerc, jadis laquais, a fait comte et marquis.

C'est, dit-on, le même que La Bruyère désigne sous le nom de Sylvain. « Sylvain, de ses deniers, a acquis de la naissance, et un autre nom: il est seigneur de la paroisse où ses aïeux payaient la taille. Il n'aurait pu autrefois entrer page chez Cléobule, et il est son gendre. »

1. Qui devint plus tard l'hôtel de Grammont.

2. A l'échafaud. La Grève, devant l'Hôtel-de-Ville, à Paris, était en ce temps-là, et jusque de nos jours sous le règne de Louis-Philippe, le lieu des exécutions capitales. Il fut transporté ensuite à la barrière Saint-Jacques, puis à la place de la Roquette.

3. C'était à propos de ces espèces qu'un autre disait plaisamment, au siècle suivant : << Ils ont passé de derrière la voiture dedans, en évitant la roue. »

Le satirique de vingt-quatre ans, non content d'attaquer ces grands et puissants voleurs, poussait encore plus loin l'audace. Dans le diocèse et archevêché de Paris, en l'an de grâce 1666, il osait imprimer ceci :

Là le vice orgueilleux s'érige en souverain
Et va la mitre en tête et la crosse à la main.

Quel était l'archevêque désigné dans ces deux vers? Si l'on s'en tient à la date 1666, à laquelle cette première Satire fut publiée, l'archevêque de Paris était alors Hardouin de Péréfixe, ancien précepteur de Louis XIV. Si l'on prend la date de 1658, année dans laquelle cette pièce avait été composée, l'archevêque était le cardinal de Retz, exilé pour ses déportements politiques et galants. C'est donc lui probablement qui était visé dans ces vers. Cependant, à la date de la publication, on pouvait croire que c'était l'autre. Dans le premier cas, l'attaque était juste, mais moins hardie qu'il ne semble, puisque Retz, banni de son siège épiscopal, était alors en guerre ouverte avec le gouvernement. Dans le second cas, elle était injuste et téméraire ; cependant le jeune homme ne laissa pas de la publier, au risque de donner lieu à une telle méprise. Ainsi sa hardiesse ne se renfermait pas dans les critiques littéraires. Pour celles-ci, à plus forte raison, s'en donnait-il à cœur-joie. Dès ce début.

il préludait à la guerre contre Chapelain, par les vers suivants, qu'il retrancha en 1674 seulement, lorsqu'il se fut réconcilié avec son frère aîné Gilles, auquel ces vers avaient trait :

Enfin je ne saurais, pour faire un juste gain,
Aller bas et rampant fléchir sous Chapelain1.
Cependant, pour flatter ce rimeur tutélaire,
Le frère en un besoin va renier son frère;
Et Phébus en personne, y faisant la leçon,
Gagnerait moins ici qu'au métier de maçon,
Ou, pour être couché sur la liste nouvelle,
S'en irait chez Billaine admirer la Pucelle.

Gilles Boileau, qui avait su se faire bienvenir de Chapelain, était en effet couché sur sa liste. Il fut admis, vingt-cinq ans avant son cadet 2, à l'Aca

1. Qui était chargé de tenir la feuille des pensions accordées aux gens de lettres. Ces gratifications du roi commencèrent en 1663.

2. Les trois frères aînés de Nicolas étaient : 1° Jacques, qui fut docteur de Sorbonne et chanoine de la Sainte-Chapelle; 2o Pierre, sieur de Puymorin, intendant et contrôleur général de l'argenterie, des menus plaisirs et affaires du roi ; 3o Gilles, connu déjà par des œuvres littéraires avant que Nicolas fût sorti du collège; avocat, et plus tard payeur de rentes, d'où vint qu'en plaisantant on l'appelait le rentier. Tous les Boileau avaient lesprit satirique, à divers degrés, avec plus ou moins de finesse, comme si, selon la remarque de Sainte-Beuve, la Nature eût tâtonné et essayé plusieurs ébauches avant de tirer sa bonne épreuve, Nicolas Boileau. Celui-ci, pour se distinguer de ses frères, prit le nom de Despréaux, de quelques petits prés qui lui étaient échus dans l'héritage paternel. La plupart des contemporains ne le dési · gnaient guère que par ce dernier nom.

démie française, où il succéda à Colletet le père, en 1659. Nous retrouverons tout à l'heure la suite de cette guerre de Boileau à Chapelain. Je n'ai voulu qu'en noter ici le commencement dès la première Satire telle qu'elle était d'abord.

La deuxième est le premier hommage de Boileau à Molière, dont il admire la rare facilité, d'abord en fait de rimes, puis en bien d'autres choses, ainsi qu'il le dira plus tard. Et voilà un cadre trouvé, moderne cette fois, pour y faire entrer par opposition les mauvais poètes et méchants rimeurs; ou bien encore ceux qui ne riment qu'avec peine; tels que lui-même; il le confesse modestement:

Enseigne-moi, Molière, où tu trouves la rime...
Quand je veux dire blanc, la quinteuse dit noir...

Il est bien loin toutefois d'envier, quoiqu'il en fasse semblant par ironie, la stérile fécondité de ceux qui riment ou écrivent intarissablement, à tort et à travers:

Bienheureux Scudéry, dont la fertile plume

Peut tous les mois sans peine enfanter un volume !
Tes écrits, il est vrai, sans art et languissants
Semblent être formés en dépit du bon sens ;

Mais ils trouvent pourtant, quoi qu'on en puisse dire,
Un marchand pour les vendre et des sots pour les lire
Et, quand la rime enfin se trouve au bout des vers,
Qu'importe que le reste y soit mis de travers?

En même temps donc qu'il salue Molière, et qu'il se lie d'amitié avec lui, et avec Racine, La Fontaine, Chapelle, Furetière, tous jeunes et hardis, d'un goût nouveau, d'un tour d'esprit moderne, il va frappant sur les poètes du vieux jeu, qui ne savent qu'enfiler les rimes au hasard et, avec une déplorable facilité,

Dans leurs vers recousus mettre en pièce Maiherbe;

les Scudéry, les Desmarets, les Théophile, les Dassoucy, les Cassaigne, les Chapelain.

La seconde attaque contre celui-ci est dans la troisième Satire, celle du Repas ridicule, dont le cadre est imité d'Horace. On y voit figurer, entre autres personnages, deux hobereaux qui se piquent de littérature.

Un des deux campagnards, relevant sa moustache
Et son feutre à grands poils ombragé d'un panache,
Impose à tous silence, et, d'un ton de docteur :
Morbleu dit-il, La Serre est un charmant auteur!
Ses vers sont d'un beau style et sa prose est coulante.
La Pucelle est encore une œuvre bien galante!

Et je ne sais pourquoi je bâille en la lisant.

La hardiesse était grande, de se prendre si vivement à Chapelain, très honnête, très estimé, très admiré même ; très érudit, sachant le grec, le latin, l'italien, l'espagnol; de plus, attaché comme

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