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goût particulier, et l'exemple de ses ouvrages. Il avoue que les Anciens, quelque inégaux et peu corrects qu'ils soient, ont de beaux traits; il les cite, et ils sont si beaux, qu'ils font lire ses cri tiques. » Cela s'adresse à Perrault. Voici à présent pour Boileau et pour Racine : « Quelques habiles prononcent en faveur des Anciens contre les Modernes; mais ils sont suspects, et semblent juger en leur propre cause, tant leurs ouvrages sont faits sur le goût de l'Antiquité! On les récuse 1. »

M. et īnadame Dacier, traducteurs d'Homère, et n'entendant pas raillerie à l'égard du divin poète que Perrault, faute de le bien comprendre, critiquait follement, se mirent aussi à tancer le téméraire. Celui-ci, toujours de bonne humeur, répliqua gaiement : « A la moindre raillerie ils se fâchent, comme s'ils descendaient d'Homère en ligne directe; car des collatéraux ne prendraient pas la chose si fort à cœur. »

Fénelon, invité à donner son avis, laissa bien voir qu'il était pour les Anciens, lui l'imitateur d'Homère, et le fit en ces termes d'une finesse socratique «<< Ma conclusion est qu'on ne peut trop louer les Modernes qui font de grands efforts pour surpasser les Anciens. Une si noble émula

1. Des Ouvrages de l'Esprit.

tion promet beaucoup; elle me paraîtrait dange-
reuse si elle allait jusqu'à mépriser et cesser d'étu-
dier ces grands originaux. »>

D'un côté donc Boileau, Racine, La Bruyère.
Fénelon, et La Fontaine aussi en maint passage,
lui l'admirateur de Platon, défendaient les Anciens;
Perrault, défendant les Modernes, avait pour lui les
gens du monde et un fort parti dans l'Académie.
Fontenelle, sur ces entrefaites, avant même d'y être
admis, vint à la rescousse. Reprenant l'idée de Per-
rault sur la continuité des forces de la Nature, il se
met à célébrer l'excellence des Modernes, à attaquer
les Anciens; il dit « qu'on ne sait ce que c'est que le
Prométhée d'Eschyle; qu'Eschyle est une manière
de fou ». Il raille Virgile et Théocrite. Neveu des
deux Corneille, il n'hésite pas à les mettre,
l'un comme l'autre, Thomas aussi bien que Pierre,
au-dessus des Anciens; il y met aussi Molière, cela
va de soi; et, par une heureuse tactique, Racine et
Boileau eux-mêmes. « Les meilleurs ouvrages de
Sophocle, d'Euripide, d'Aristophane ne tiendront
guère, dit-il, devant Cinna, Ariane, Andromaque,
le Misanthrope, et un grand nombre de tragédies et
de comédies du bon temps... Je ne crois pas que
Théagène et Chariclée, Clitophon et Leucippe, soient
jamais comparées à l'Astrée, à Cyrus, à Zaïde, à la
Princesse de Clèves.... Nous voyons par l'Art poéti-
que, et par d'autres ouvrages de la même main,

que la versification peut avoir aujourd'hui autant de noblesse, mais en même temps plus de justesse et d'exactitude, qu'elle en eut jamais. »>

Cela ne manquait pas d'adresse; seulement la conclusion manquait de bon sens : « A mesure que la raison se perfectionnera, on se désabusera généralement du préjugé grossier de l'Antiquité. »

:

Perrault de même, en attaquant Horace, prenait de là occasion de louer outre mesure Boileau, l'imitateur : « Le meilleur satirique que nous ayons aujourd'hui, dit-il, a imité Horace en plusieurs endroits; mais il n'est point vrai qu'il n'ait fait que cela il y a dans ses Satires une infinité de choses de son invention très excellentes et beaucoup meilleures que celles qu'il a tirées d'Horace. C'est même dommage que la vénération trop grande qu'il a eue pour cet auteur, lui ait fait croire que par là il enrichît ses ouvrages; je trouve que cette imitation trop grande diminue quelque chose de leur beauté; mais il n'en est pas moins vrai que les ouvrages du satirique moderne ne le cèdent point à ceux des Anciens. » A la faveur de ces compliments, il prenait en main la défense de ceux qu'avait attaqués le satirique, Chapelain, mademoiselle de Scudéry, Quinault, Cotin, Cassaigne; relevait leurs mérites; par conséquent donnait tort à Boileau, sans le nommer; lui reprochant de nommer tout le monde;

enfin critiquait, comme nous l'avons vu, le burlesque du Lutrin, ce burlesque retourné qui, suivant lui, ne vaut pas l'autre. Voilà qui gâtait fort les complia ments. Boileau redevint furieux et lança de nouvelles épigrammes.

Cependant, à la fin, dans l'intervalle du IVe Dialogue au dernier, des amis communs de Perrault et de Boileau les réconcilièrent 1, et celui-ci entra, plus qu'on ne s'y serait attendu, dans quelques-unes des idées de son adversaire. « Je ne sais, lui écrit-il, si j'ai bien compris votre pensée; mais la voici, ce me semble. Votre dessein est de montrer que, pour la connaissance surtout des beaux-arts et pour le mérite des belles-lettres, notre siècle, ou, pour mieux parler, le siècle de Louis le Grand, est non seulement comparable, mais supérieur à tous les plus fameux siècles de l'antiquité, et même au siècle d'Auguste. Vous allez donc être bien étonné, quand je vous dirai que je suis sur cela entièrement de votre avis, et que même, si mes infirmités et mes emplois m'en laissaient le loisir, je m'offrirais volontiers de prouver, comme vous, cette proposition la plume à la main. A la vérité, j'emploierais beaucoup

1. Ce fut principalement Arnauld qui s'entremit pour ménager cette paix plâtrée. On a vu que Boileau était quelque peu janséniste; Perrault l'était aussi. Cette considération était sans doute pour beaucoup dans la médiation bénévole du grand Arnaud.

d'autres raisons que les vôtres, car chacun a sa manière de raisonner; et je prendrais des précautions et des mesures que vous n'avez point prises. Je n'opposerais donc pas, comme vous avez fait, notre nation et notre siècle seuls à toutes les autres nations et à tous les autres siècles joints ensemble : l'entreprise, à mon sens, n'est pas soutenable. J'examinerais chaque nation et chaque siècle l'un après l'autre ; et, après avoir mûrement pesé en quoi ils sont au-dessus de nous, et en quoi nous les surpassons, je suis fort trompé si je ne prouvais invinciblement que l'avantage est de notre côté. »

Puis, dans le plan qu'il vient d'indiquer, il esquisse rapidement, comme exemple, le parallèle du siècle d'Auguste avec celui de Louis XIV, reconnaît la supériorité de l'un dans le poème héroïque, l'éloquence, la satire et l'élégie, mais déclare celle. de l'autre dans la tragédie, le roman, la philosophie, et même la poésie lyrique; à plus forte raison dans les sciences; et conclut enfin en ces termes : « Par tout ce que je viens de dire, vous voyez, Monsieur, qu'à proprement parler, nous ne sommes point d'avis différent sur l'estime qu'on doit faire de notre nation et de notre siècle; mais que nous sommes différemment du même avis. Aussi n'est-ce point votre sentiment que j'attaque dans vos Parallèles, mais la manière hautaine et méprisante dont votre Abbé et votre Chevalier y traitent des écrivains pour qui, même en les blâmant, on ne saurait, à

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