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contre les Femmes, fut ravi de l'Épitre sur l'Amour de Dieu. Dans un billet à l'abbé Renaudot, à qui cette Épître est dédiée, il dit (1695): « Si je me fusse trouvé ici, monsieur, quand vous m'avez honoré de votre visite, je vous aurais proposé le pèlerinage d'Auteuil avec M. l'abbé Boileau, pour aller entendre de la bouche inspirée de M. Despréaux l'hymne céleste de l'Amour divin. »

Il y a encore d'autres anecdotes qui marquent le bruit que fit cette Épître. On allait à Auteuil exprès pour en féliciter l'auteur, Le Père Bouhours y vint, ne le rencontra pas, et, ne trouvant que le jardinier Antoine, le félicita de l'Épître en vers que son maître lui avait adressée : « N'est-il pas vrai, Antoine, lui dit le Père, que cette pièce-là vous paraît la plus belle de toutes les œuvres de votre maître? Nenni-dà, mon Père, répondit le jardinier; m'est d'avis que c'est l'Amour de Dieu qui est la meilleure. » Le jésuite ne répliqua point, et mit, comme on dit, cela dans sa poche.

A la vérité, c'est Boileau qui conte cette anecdote au bon Brossette. Or, sans vouloir révoquer en doute sa véracité, on ne peut s'empêcher de dire qu'il paraît se servir de lui à peu près comme Napoléon à Sainte-Hélène se servira du brave Las Cases, pour couler en douceur tout ce qu'il veut qu'on mette dans sa légende en vue de la postérité.

Si Arnauld eût vécu encore, il n'eût pas été moins ravi que Bossuet; mais il était mort l'année précédente, 6 août 1694, en exil à Bruxelles. Boileau qu'il avait soutenu en plusieurs occasions et qui lui en gardait une vive reconnaissance, lui fit cette belle épitaphe :

Au pied de cet autel de structure grossière,
Git sans pompe, enfermé dans une vile bière,
Le plus savant mortel qui jamais ait écrit ;
Arnauld, qui sur la Grâce instruit par Jésus-Christ,
Combattant pour l'Église, a, dans l'Église même,
Souffert plus d'un outrage et plus d'un anathème.
Plein du feu qu'en son cœur souffla l'esprit divin,
Il terrassa Pélage, il foudroya Calvin,

De tous les faux docteurs confondit la morale;
Mais, pour fruit de son zèle, on l'a vu rebuté,
En cent lieux opprimé par leur noire cabale,
Errant, pauvre, banni, proscrit, persécuté;
Et même par sa mort leur fureur mal éteinte
N'aurait jamais laissé ses cendres en repos,
Si Dieu lui-même, ici, de son ouaille sainte
A ces loups dévorants n'avait caché les os.

Le poète cependant, historiographe du Roi, ne publia point cette épitaphe. Elle ne laisse pas d'être une marque de sa fidèle amitié, et de son jansénisme. Il le fait voir encore d'une manière assez claire dans la Satire Ix, lorsqu'il dit :

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La vertu n'était point sujette à l'ostracisme,
Ni ne s'appelait point alors un

Il laissait le nom en blanc, mais tout le monde lisait aisément jansénisme 1. »

1. E. Havet, les Provinciales, t. Ier, p. xv.

Louis XIV avait moins d'horreur pour un athée que pour un janséniste; cependant il ferma les yeux sur le jansénisme de Boileau, et celui-ci, gardant son franc-parler même à la Cour, ne désavoua jamais Arnauld pour son ami. « Il en faisait profession ouvertement, sous les yeux du monarque qui avait exilé et proscrit ce docteur célèbre. Un courtisan lui disait, un jour, dans l'antichambre du Roi, que ce prince faisait chercher Arnauld partout pour le mettre à la Bastille. « Oh! répondit tout haut Despréaux, le Roi est trop heureux, il ne le trouvera pas. »

L'amitié de Boileau pour Arnauld 1 le rendit im

1. Rapprochons de cette amitié sa vive sympathie pour Domat, qu'il appelait << un homme admirable, et le Restaurateur de la raison dans la jurisprudence », comme Arnauld dans la théologie, comme Descartes dans la philosophie, comme Pascal dans la morale, comme Malherbe et lui-même dans la versification et le style.

pitoyable envers Desmarets de Saint-Sorlin 1, qui avait écrit contre cet ami persécuté. Il lui lança cette épigramme :

Dans le Palais, hier, Bilain
Voulait gager contre Ménage
Qu'il était faux que Saint-Sorlin
Contre Arnauld eût fait un ouvrage.
Il en a fait, j'en sais le temps,
Dit un des plus fameux libraires;
Attendez... c'est depuis vingt ans :
On en tira cent exemplaires.

C'est beaucoup, dis-je en m'approchant;
La pièce n'est pas si publique.

Il faut compter, dit le marchand :
Tout est encor dans ma boutique.

Desmarets n'était pas, cependant, sans mérite. Dès 1637, sa comédie des Visionnaires l'avait rendu célèbre : vingt-deux ans avant Molière, il s'y moquait des têtes romanesques et des précieuses, et, vingtsept ans avant les Femmes savantes, il y esquissait l'original de Bélise. Son poème de Clovis ou la France chrétienne eut moins de succès, quoique Dieu même, à ce qu'il prétendait, l'eût « sensiblement assisté pour le lui faire achever ». L'auteur s'était proposé de faire voir, après le Tasse, que « tout le merveilleux et le surnaturel (d'un poème héroïque) doivent être fondés sur la religion du héros que

1 Né en 1595, mort en 1676.

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