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grandeur variable une grandeur constante telle, que la différence entre elle et la variable puisse devenir et rester moindre que toute grandeur désignée.

Or Euclide a démontré que si l'on considère un polygone régulier inscrit dans un cercle, et que l'on double indéfiniment le nombre de ses côtés, l'aire du polygone, qui augmente continuellement, peut finir par différer de celle du cercle d'une quantité moindre que toute surface désignée; d'où il suit que cette aire est une variable dont la différence avec l'aire constante du cercle peut devenir et rester moindre que toute quantité désignée, et que, par conséquent, l'aire du cercle en est la limite.

Euclide part du carré inscrit et passe successivement aux polygones de huit côtés, de seize côtés, de trente-deux, et ainsi de suite. L'aire de chacun de ces polygones diffère moins de celle du cercle que n'en différait celle du précédent, et cette différence se réduit toujours de plus de moitié en passant d'un quelconque de ces polygones au suivant, parce que les triangles que l'on ajoute dans chaque segment sont plus de la moitié de ce segment, puisqu'ils sont exactement la moitié du rectangle qui aurait la base et la hauteur de ce segment, et lui serait évidemment supérieur. Or il a démontré antérieurement que si d'une grandeur quelconque on ôte plus de la moitié, que du reste on ôte plus que sa moitié, et ainsi de suite indéfiniment, les restes finiront par devenir moindres que toute grandeur désignée. Il en résulte donc qu'en partant de n'importe quel polygone régulier inscrit dans un cercle, sa différence avec le cercle est une grandeur fixe dont on ôte plus de la moitié en doublant une première fois le nombre des côtés. Il en sera de même du nouveau reste, en doublant le nombre des côtés du nouveau polygone, et ainsi de suite. Ces polygones successifs diffèrent donc du cercle de quantités qui peuvent devenir et rester moindres que toute quantité don

née. Le cercle en est donc la limite. On voit qu'il n'est nullement nécessaire de commencer comme Euclide par le carré inscrit. Il y voyait probablement l'avantage de l'uniformité de raisonnement depuis le premier polygone, qui était lui-même plus grand que la moitié du cercle entier. Il est bon de remarquer qu'on aurait pu également considérer les polygones circonscrits et partir d'un polygone régulier quelconque. L'excès de sa surface sur celle du cercle serait diminué de plus que sa moitié, en passant au polygone d'un nombre de côtés double; de sorte qu'en continuant indéfiniment cette opération, l'excès sur le cercle peut devenir moindre que toute quantité donnée, et, par conséquent, le cercle est la limite des polygones réguliers circonscrits.

Dans les Traités modernes, cette propriété du cercle se démontre ordinairement par la considération simultanée des polygones inscrits et circonscrits. En les prenant semblables, on démontre facilement que leur différence tend vers zéro, et qu'il en est de même, par conséquent, de la différence de chacun de ces polygones au cercle, qui est compris entre eux.

Si l'on ne veut pas faire servir les polygones inscrits et circonscrits à donner par leur différence une limite supérieure à leur différence au cercle, mais seulement à démontrer que la surface du cercle est la limite de celle de polygones réguliers, la démonstration d'Euclide serait peut-être préférable.

363. Les surfaces de deux cercles sont entre elles comme les carrés des rayons.

Euclide ayant démontré que deux polygones réguliers d'un même nombre de côtés sont comme les carrés des rayons des cercles circonscrits, et que les polygones inscrits dans un cercle peuvent en différer de moins que toute

grandeur désignée, apercevait sans aucun doute que les cercles eux-mêmes sont comme les carrés de leurs rayons; mais il était nécessaire d'en donner une démonstration rigoureuse, surtout dans un temps où l'on trouvait des sophistes qui niaient des choses bien plus évidentes, et appuyaient leurs opinions des raisonnements les plus subtils et les plus bizarres.

C'est par la méthode de réduction à l'absurde qu'il obtenait cette rigueur; et voici comment il procédait :

Si le rapport des carrés des rayons R, R'n'est pas égal à celui des surfaces S, S' des deux cercles, il sera plus grand ou plus petit. Dans le premier cas, il serait égal au rapport de S à une surface plus petite que S'; dans le second, il serait égal au rapport d'une surface plus petite que S à la surface S'. On est donc ramené à démontrer que le rapport des carrés des rayons ne peut être égal à celui de l'un des deux cercles à une surface moindre que l'autre. Pour cela, supposons que l'on ait

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Σ étant moindre que S, nous allons voir que cela conduit à une absurdité.

En effet, concevons dans les deux cercles deux polygones réguliers inscrits, d'un même nombre de côtés. Soient P, P' leurs surfaces; on aura

R2: R'2:: P: P'.

Or on pourra supposer le nombre des côtés de ces polygones assez grand pour que leurs surfaces diffèrent aussi peu qu'on voudra de celles des cercles, et que, par conséquent, P' surpasse Σ, qui est une quantité fixe moindre que S'; et alors les deux proportions sont incompatibles, puisqu'elles conduisent à la suivante :

S::: P: P',

qui est fausse, puisqu'on a

S>P et Σ<P'.

L'hypothèse d'où l'on est parti est donc fausse, et, par conséquent, le rapport de R2 à R'2 ne peut être plus grand que celui de S à S'.

On prouverait de la même manière qu'il ne saurait être plus petit: il lui est donc égal; ce qu'il fallait démontrer.

N. B. Il suit de là que le rapport de la surface d'un cercle quelconque au carré de son rayon est le même, quel que soit ce rayon. Nous trouverons bientôt une seconde signification géométrique à ce rapport constant. La surface d'un cercle quelconque est donc égale au produit du carré de son rayon par ce nombre constant.

La méthode

364. Résumé de cette méthode. que cet exemple suffit pour faire bien comprendre, et que les anciens géomètres ont appliquée à toutes les questions où la comparaison des quantités ne pouvait être ramenée aux premières notions, considérée au point de vue le plus général, peut se résumer comme il suit :

Considérer les quantités entre lesquelles on cherche une relation comme limites de quantités plus simples; chercher la relation entre ces dernières, qui fait prévoir celle que les proposées ont entre elles; poser ensuite cette dernière. comme un théorème à démontrer, et employer à cet effet le procédé de réduction à l'absurde, en s'appuyant tant sur la relation qu'on a démontrée entre les quantités auxiliaires que par la condition que ces dernières puissent être supposées aussi voisines des proposées que l'exigeront les besoins de la démonstration.

Exposons maintenant la méthode plus simple que les modernes lui ont substituée.

MÉTHODE DES LIMITES.

PRINCIPE FONDAMENTAL.

365. Une variable ne peut tendre vers deux limites différentes.

Cette proposition ne serait pas vraie si par limite on entendait seulement une constante telle, que sa différence avec la variable pût devenir moindre que toute grandeur donnée, et qu'on n'ajoutât pas que cette différence restera moindre que cette grandeur, dans la suite indéfinie de valeurs qu'elle prendra ensuite. En effet, sans cette condition, que nous avons expressément exigée dans la définition de limite, une variable pourrait, après s'être approchée d'une certaine constante, s'en éloigner pour s'approcher d'une autre constante, et revenir ainsi de l'une à l'autre, de telle manière que sa différence avec ces deux constantes devint alternativement au-dessous de toute grandeur donnée; mais, avec la condition nécessaire que nous venons de rappeler, il est facile de voir que cela n'est plus possible.

Supposons, en effet, qu'une variable ait deux limites A et B qui aient entre elles une différence D, et soit ▲ une quantité moindre que la moitié de D; il est évident que les intervalles compris d'une part entre A+A et A-A, et d'une autre part entre B+▲ et B—▲, n'ont rien de commun, c'est-à-dire qu'aucune grandeur ne peut être dans l'un et dans l'autre à la fois. Or, une variable qui aurait pour limite A devrait finir par rester dans le premier intervalle, et, si elle avait aussi B pour limite, elle devrait aussi finir par rester dans le second. Elle serait donc à la fois dans les deux, ce qui est absurde.

Donc une variable ne peut avoir deux limites inégales.

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