Page images
PDF
EPUB

SCIENCE DE L'ÉTENDUE.

CHAPITRE PREMIER.

ÉTABLISSEMENT DES PREMIÈRES PROPOSITIONS DE LA GÉOMÉTRIE.

265. La Géométrie est la science de l'étendue, c'està-dire l'ensemble des rapports nécessaires qui dérivent de la nature de l'étendue.

Cette nature est déterminée pour nous par un petit nombre de notions premières que nous acquérons par l'observation et la réflexion. Nous avons indiqué les principales, nous réservant d'en introduire quelquefois de nouvelles, lorsqu'elles seront naturellement amenées par le développement de la science.

Nous avons distingué les différentes espèces de grandeurs qui se présentent dans la considération de l'étendue; ce sont les solides, les surfaces qui les terminent, les lignes ou limites de portions de ces surfaces, les angles.

:

Un des principaux objets de la science est la mesure de ces grandeurs, ou la détermination de leurs rapports numériques avec une grandeur de leur espèce, prise pour unité; en d'autres termes, c'est l'expression de ces différentes grandeurs en nombres.

Mais il ne faut pas croire que la Géométrie n'ait pas d'autre objet, et que toutes les propositions doivent converger vers ce but unique; et les auteurs qui en donnent cette définition la restreignent beaucoup trop. On peut bien composer des ouvrages où l'on ne se propose pas autre chose; mais la science en elle-même est indépendante des points de vue plus ou moins limités sous lesquels il convient à tel homme de l'envisager. Elle comprend tous les rapports résultant de la nature de l'étendue. La mesure des grandeurs comprend quelques-uns de ces rapports, mais il en est une infinité d'autres qui n'y ont pas trait directement. Et ces derniers peuvent y être indirectement utiles, en offrant des moyens nouveaux de comparaison, qu'on n'a peut-être pas encore aperçus, et qu'on reconnaîtra un jour. Ils peuvent aussi servir dans les applications de la Géométrie à d'autres sciences, comme on l'a souvent reconnu, longtemps après leur découverte.

Il ne faut donc négliger aucune vérité intéressante par elle-même, indépendamment de toute utilité pratique. Outre le plaisir que l'on éprouve toujours à apprendre quelque chose de nouveau, il y a l'avantage incontestable d'accroître ses facultés intellectuelles par l'usage bien dirigé qu'on en fait; et si l'on pouvait suivre l'effet de toutes les influences sur le développement de l'esprit, on reconnaîtrait souvent la part que les méditations de la science abstraite pourraient revendiquer dans le talent du penseur, de l'orateur ou de l'écrivain.

266. Le nombre des vérités géométriques distinctes ne peut être assigné, et l'on ne pourra jamais avoir la prétention de connaître la science entière. Chaque vérité nouvelle peut donner lieu à de nouvelles déductions, et accroître le nombre des combinaisons propres à constituer de nouvelles questions; de sorte que l'on ne conçoit pas

la possibilité d'épuiser jamais la matière. Mais les Traités élémentaires ne doivent pas même avoir pour objet de faire connaître tout ce que l'on sait; ils doivent faire connaître, en partant des notions premières, les propositions dont l'application est la plus fréquente, et les méthodes les plus générales pour la résolution des diverses questions que la science peut présenter. Le cadre dans lequel de pareils ouvrages doivent être renfermés n'est donc pas bien déterminé; ils sont le commencement de la science, et l'on peut les arrêter où l'on veut. Ce qui vient après se désigne quelquefois sous le nom de Géométrie transcendante, de Géométrie supérieure. Ces dénominations disparaîtront sans doute, parce qu'elles n'expriment réellement rien; elles s'appliquent seulement aux théories qui suivent celles auxquelles quelques auteurs ont limité les ouvrages qu'ils ont appelés Éléments.

DES PREMIÈRES PROPOSITIONS DE LA GÉOMÉTRIE.

267. Nous avons dit que souvent des vérités se présentent à nous sans être prévues ni cherchées; soit comme déductions d'autres vérités connues, soit comme pressenties par des analogies vagues, ou par le sentiment des situations ou des formes. C'est surtout dans les commencements de la science que ce sentiment conduit à des connaissances qui, pour la plupart des hommes, n'ont pas besoin de démonstration en règle.

Qui doutera, par exemple, que dans un plan on puisse, en un point d'une droite, en mener une autre qui ne soit pas plus inclinée sur elle d'un côté que de l'autre, et que cette seconde soit unique? Qui ne sentira que, d'un point extérieur à la première droite, on peut en abaisser une qui soit également inclinée des deux côtés sur elle; que cette

perpendiculaire est unique, et plus courte que toute oblique; que les obliques vont en croissant, à mesure qu'elles s'éloignent de la perpendiculaire, et sont de même longueur de part et d'autre, à égale distance de celle-ci; que dans un triangle qui a deux côtés égaux, les angles opposés le sont aussi, et réciproquement? A quel enfant ne s'est pas présentée l'idée de deux lignes droites, partout également distantes, et, par conséquent, ne pouvant se rencontrer, quelque loin qu'on les prolonge? et cette idée n'était-elle pas accompagnée invinciblement du sentiment que, par un même point, on n'en peut mener qu'une seule qui soit dans cette situation par rapport à une droite donnée? Qui n'est pas porté à admettre la possibilité qu'un quadrilatère ait ses quatre angles droits, et qui n'en conclurait la possibilité de comparer les surfaces de deux pareilles figures, en les décomposant en carrés égaux?...

Il serait trop long d'énumérer toutes les propositions qui se présentent d'elles-mêmes à l'esprit, et dont la vérité ne paraît douteuse à personne au premier abord, mais cependant qu'on sent qu'il faut établir plus solidement, quand on a reconnu par sa propre expérience qu'une manière aussi légère d'accepter des vérités conduisait quelquefois à des erreurs. Alors les propositions admises, ou seulement soupçonnées, ont été prises comme des théorèmes à démontrer, et placées au point de départ de la science, en s'assujettissant à la condition que chacune d'elles ne s'appuie que sur celles qui la précèdent.

Cette condition, relative à l'ordre dans lequel les propositions sont disposées, doit être observée jusqu'à la fin de l'ouvrage où une science quelconque est exposée, afin qu'on soit bien assuré que chacune de ces propositions est la conséquence des notions premières admises comme évidentes, et de vérités démontrées; et que c'est dans cet ordre qu'il faut les étudier, si l'on veut être sûr que, pour com

« PreviousContinue »