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SCIENCE DES NOMBRES.

CHAPITRE PREMIER.

COMMENT LES NOMBRES SERVENT A L'EXPRESSION
DES GRANDEURS. LEUR NOMENCLATURE.

19. Les plus simples relations des hommes entre eux ont de tout temps nécessité l'emploi des nombres. A mesure que ces relations se sont compliquées, que les échanges sont devenus plus multipliés et plus variés par le progrès de l'industrie, que les communications entre les peuples se sont plus étendues, l'emploi des nombres est devenu de plus en plus indispensable, et l'on peut même dire que sans eux presque toutes les relations commerciales seraient impossibles.

Et, en effet, toutes les quantités ou grandeurs qui sont utiles à l'homme et peuvent devenir l'objet de ses transactions sont de celles où l'on peut concevoir l'égalité et l'addition. Or, si l'on choisit une quantité bien déterminée dans chaque espèce et connue de tous les hommes, il est facile de voir comment ils peuvent se donner connaissance les uns aux autres de toute quantité de cette espèce, qu'ils ne peuvent montrer, soit à cause d'impossibilités matérielles, soit parce que la vue n'en donnerait qu'une notion imparfaite et inutile. Pour y parvenir, on compa

rera la quantité à évaluer à celle qui est connue de tous et qu'on appelle l'unité de cette espèce; on cherchera, par des procédés dépendant de la nature de cette quantité, combien de fois elle contient l'unité, et ce nombre en donnera la mesure, la connaissance exacte, si elle a été ainsi entièrement épuisée.

Mais si, après avoir ôté de la quantité à évaluer autant d'unités entières qu'elle en renferme, il y avait en outre un reste moindre que l'unité, on le comparerait à une subdivision de l'unité en un nombre déterminé de parties égales, dont l'une serait employée comme l'avait été premièrement l'unité entière. Si, après cette seconde opération, il y avait encore un reste, on le mesurerait avec une subdivision de la première subdvision de l'unité, et l'on continuerait ainsi jusqu'à l'entier épuisement de la quantité qu'on veut évaluer. Dans la pratique, cette suite d'opérations a toujours une fin, parce qu'on arrivera toujours à un reste trop petit pour être appréciable avec les instruments les plus parfaits. Mais, dans les questions abstraites où les quantités ne sont pas données en nature, mais par les rapports qu'elles doivent avoir avec d'autres, soit numériques, soit géométriques, on ne sera exposé à aucune incertitude tenant à l'imperfection des sens. Il pourra se faire, dans ce cas, que l'opération se termine en employant une seule ou plusieurs subdivisions successives de l'unité. Il sera possible qu'elle se termine en choisissant une certaine loi pour ses subdivisions, tandis qu'elle se continuerait indéfiniment avec une autre. Il sera possible enfin qu'elle ne se termine jamais, quelque loi qu'on choisisse pour les subdivisions successives: c'est le cas où il n'y a aucune mesure commune entre la grandeur à évaluer et celle qui est prise pour unité, comme, par exemple, si l'on veut mesurer la diagonale d'un carré en prenant le côté pour unité.

On voit par là comment, au moyen des nombres et d'une unité choisie arbitrairement, on peut faire connaître toutes les grandeurs de même espèce, soit qu'elles renferment un nombre exact d'unités, soit qu'il y ait en outre une portion, une fraction d'unité. Dans le premier cas, un seul nombre suffit, c'est celui des unités entières; dans l'autre, il en faut en outre plusieurs, exprimant la loi des subdivisions de l'unité et ce que les restes successifs en renferment. Et enfin, dans le cas d'incommensurabilité, leur nombre serait indéfini, et, quelque loin qu'on pousse l'opération, on n'obtiendra qu'une approximation, bien suffisante au reste dans la pratique.

NOMENCLATURE ET REPRÉSENTATION DES NOMBRES.

20. Dès qu'on a senti le besoin d'employer les nombres, on a dû s'occuper des moyens de les distinguer et de les communiquer aux autres. Quelquefois on l'a fait en montrant des objets quelconques en nombre égal à celui qu'on voulait désigner; les doigts de la main ont certainement servi et servent encore souvent à cet usage. Mais nous ne nous livrerons à aucune recherche archéologique à cet égard; nous supposerons une société organisée, ayant un langage et une écriture suffisamment perfectionnés, et nous dirons en quelques mots comment la question résolue. La première condition à remplir pour la représentation des nombres par le langage est que chacun d'eux ait un nom différent; la seconde est qu'il n'y ait pas autant de mots particuliers que de nombres, car la meilleure mémoire en pourrait difficilement retenir suffisamment pour les besoins du commerce le plus restreint. Voici comment ce double objet a été rempli.

a pu être

On a commencé par donner des noms aux dix premiers nombres, dont l'emploi si naturel des doigts avait rendu la communication facile. De cette collection de dix unités on a fait un terme de comparaison dont le langage des signes avait certainement donné l'idée par un procédé que nous voyons journellement employé par les enfants qui, voulant se communiquer des nombres dans des circonstances où la parole leur est interdite, ouvrent et referment les deux mains autant de fois que le nombre contient dix, et, quand le nombre des dizaines est épuisé, lèvent autant de doigts qu'il reste encore d'unités.

Cet artifice si naturel, qui consiste à compter les dizaines au lieu de compter les unités qui sont en nombre beaucoup plus grand, constitue tout le secret du procédé de la numération, qui, au moyen d'une douzaine de mots à peine, permettrait de désigner tous les nombres jusqu'à une limite bien au delà des besoins des sociétés les plus civilisées, et qui dépasse tout ce que l'imagination peut se représenter.

En effet, si le nombre des dizaines dépasse dix, en leur appliquant ce qu'on a fait aux unités et prenant un nouveau terme de comparaison consistant dans la collection de dix dizaines, que l'on a nommée centaine, la question sera ramenée à compter les centaines au lieu des dizaines, ce qui est plus simple, puisqu'il y en a beaucoup moins. Après avoir épuisé toutes les centaines renfermées dans les dizaines qu'il fallait compter, il pourra encore rester quelques dizaines e dizaines en nombre moindre que dix et que l'on pourra par conséquent désigner par un des mots convenus.

Si le nombre des centaines trouvées n'excède pas dix, on pourra le nommer, et le nombre total sera exprimé sans avoir besoin d'employer plus de dix mots plus un.

Mais, si ce nombre dépasse dix, on fera encore un nouveau terme de comparaison de la collection de dix centaines, que l'on nommera un mille, et l'on continuera ainsi

jusqu'à ce que le nombre des collections se trouve inférieur à dix et n'oblige pas à former une collection d'un ordre supérieur.

21. Cet ingénieux procédé ne demande, comme on voit,

que la conception nette et familière des pluralités depuis un jusqu'à dix; car toutes les collections d'unités qui servent de termes de comparaison successifs se forment les unes des autres par la réunion de dix en une seule; de sorte que, dès qu'on est parvenu à se faire une idée nette d'une d'entre elles, on parvient facilement à se rendre familière la suivante, et il n'est pas nécessaire d'en avoir à son service un bien grand nombre pour suffire aux besoins des nations les plus considérables et les plus civilisées.

Et, en effet, ayant créé les mots qui désignent les neuf premiers nombres et les termes de comparaison ou unités supérieures que l'on nomme dizaine, centaine, mille, million, on aurait réellement tout ce qui serait nécessaire aux prodigieuses transactions dont notre temps a donné les premiers exemples. On a évité de créer de nouveaux mots pour la collection de dix mille, qu'on a nommée dizaine de mille, et pour celle de dix dizaines de mille, que l'on a nommée centaine de mille. Le million est la collection de dix centaines de mille; on a eu ensuite les dizaines et les centaines de millions. Au delà on aurait le billion, puis les dizaines et les centaines de billions, et ainsi de suite.

On voit donc qu'avec quatorze mots on aurait pu suffire à la nomenclature de tous les nombres dont les hommes peuvent avoir à faire usage. Pour satisfaire l'imagination, on a créé des noms pour aller au delà; mais on serait effrayé de l'immensité où l'on se trouverait porté par l'emploi d'une ou deux dénominations de plus.

Il est inutile de dire que l'usage n'est pas complétement conforme à la théorie simple que nous venons d'exposer,

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