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CHAPITRE XIX.

DE QUELQUES TENTATIVES DE DÉMONSTRATION, RELATIVES AU CALCUL DES QUANTITÉS NÉGATIVES ISOLÉES.

149. Dans ce qui précède, nous n'avons introduit la considération des quantités négatives isolées que pour généraliser des formules, et renfermer en un seul les résultats différents de plusieurs calculs analogues. Ces quantités négatives ont été tantôt des données, tantôt des inconnues; et, dans tous les cas, la généralisation étant obtenue à la condition de les traiter de la même manière que si elles n'étaient pas isolées, il n'y avait aucune règle à démontrer, et la recherche de ces règles n'aurait eu absolument aucun sens.

Quant à l'interprétation des valeurs négatives des inconnues, elle ne pouvait offrir aucune difficulté, puisque tout était prévu dès l'origine, et qu'on savait ce qu'indiquerait leur apparition.

Mais, quoiqu'on ait toujours reconnu que les quantités négatives pouvaient généraliser certaines formules, on ne s'est pas toujours assujetti à le démontrer; et des géomètres éminents ont cru possible de démontrer, pour le calcul de ces quantités, des règles qui dispenseraient de toute discussion particulière. Nous allons en indiquer quelques-unes, et l'on reconnaîtra facilement combien elles sont illusoires.

pas

150. Démonstration de Laplace. On trouve les sages suivants dans la première leçon faite à l'École Normale par ce grand géomètre:

« Pour soustraire une quantité algébrique d'une autre,

D. Sc. de rais., 2o Part.

I I

on écrit, à la suite de la quantité dont on soustrait, la quantité à soustraire, en changeant les signes de tous ses termes, ensuite on fait la réduction. Cette règle est évidente quand le nombre à soustraire a le signe + ; supposons qu'il ait le signe et que l'on propose de soustraire b de a; je dis que le résultat de l'opération est a+b. En effet, le nombre a = a + b a+b—b; en retranchant b sous cette forme, c'est évidemment effacer-b, et alors il reste a+b. » Pour effectuer la multiplication, si le multiplicande et le multiplicateur ne renferment qu'un terme, on multiplie leurs coefficients numériques, on ajoute les exposants des lettres semblables....

>>> Quant au signe du produit, il doit être positif, si les signes du multiplicande et du multiplicateur sont les mêmes; s'ils sont différents, le signe du produit doit être négatif. Cette règle présente quelques difficultés; on a de la peine à concevoir que le produit de-a par - b soit le même que celui de a par b. Pour rendre cette identité sensible, nous observerons que le produit de a par + b ab, puisque ce produit n'est que — a répété autant de fois qu'il y a d'unités dans b. Nous observerons ensuite que le produit de-a par b-b est nul, puisque le multiplicateur est nul; ainsi le produit de — a par → b étant ab, le produit de a par b doit être d'un signe contraire, ou égal à + ab, pour le détruire.

est

» Quant à la division, si le dividende et le diviseur ne renferment qu'un seul terme, on divise le coefficient numérique du dividende par celui du diviseur, etc. Enfin on donne au quotient le signe + ou le signe -, suivant que les signes du dividende et du diviseur sont les mêmes ou contraires. Tout cela résulte de ce que le produit du quotient par le diviseur est égal au dividende. »

Dans tout cela Laplace suppose les quantités négatives isolées; et si d'abord il considère la soustraction d'un po

ment soustraire

lynôme, il l'abandonne aussitôt pour se demander comb de a, question qui n'a aucun sens. Pour y répondre, il ajoute et retranche b de a, ce qui lui donne ab-b, et il regarde comme évident que retrancher b c'est l'effacer, ce qui est un non-sens double; car c'est d'abord supposer qu'on attache un sens à la soustraction deb, qui n'en a aucun, et ensuite que la soustraction algébrique soit la suppression non pas d'un nombre, mais d'une opération.

151. Passons à la multiplication. Il admet que a multiplié par + donne-ab, par la raison que c'est la répétition de-a un nombre de fois marqué par b. Mais si-a isolé n'a aucun sens, que signifie la répétition de — a? Cela admis, il remarque que tout produit dont le multiplicateur est b—b doit être nul; d'où il conclut que — a multiplié par b-b donne pour produit zéro. Or—a multiplié par le premier terme b donne, comme il vient de l'établir, - ab; donc il est nécessaire que le second terme, ou le produit de — a par-b, donne +ab pour le détruire.

Cette démonstration pèche d'abord comme la précédente, en ce qu'on se propose de multiplier-a, ce qui n'a pas de sens. Et ensuite, en prenant pour multiplicateur b-b qui est un polynôme, la quantité négative -- b n'est plus isolée : de telle sorte que, s'il avait pris un multiplicande réel, par exemple m-a, il aurait démontré que — a multiplié par b donne un terme ab au produit, quand-a et-b sont des termes de facteurs polynômes. Il ne prend donc même pas la question qu'il annonçait, savoir la multiplication de deux quantités négatives isolées.

+

Quant à la division de deux monômes, dont l'un au moins est négatif, c'est de même une opération qui n'a pas de sens, et qu'il ramène à la multiplication d'après la définition qu'on en donne quand elle signifie quelque chose.

Et nous dirons généralement que toute démonstration de règles sur les quantités négatives isolées ne peut être qu'une illusion, puisqu'il n'y a aucun sens à attacher à des opérations arithmétiques sur des choses qui ne sont pas des nombres, et n'ont aucune existence réelle.

SI LES QUANTITÉS NÉGATIVES ISOLÉES DOIVENT ÊTRE DITES PLUS PETITES QUE ZÉRO.

152. Euler, dans son Introduction à l'Analyse infinitésimale, a dit que les quantités négatives étaient moindres que zéro.

D'Alembert, dans le premier volume de ses Opuscules mathématiques, s'exprime ainsi à ce sujet :

« Qu'il me soit permis de remarquer combien est fausse l'idée qu'on donne quelquefois des quantités négatives, en disant que ces quantités sont au-dessous de zéro. Indépendamment de l'obscurité de cette idée envisagée métaphysiquement, ceux qui voudront la réfuter par le calcul pourront se contenter de considérer cette proportion

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proportion réelle, puisque le produit des extrêmes est égal

au produit des moyens, et que d'ailleurs

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I

I

I et

1. Cependant, si l'on regardait les quantités né

I.

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gatives comme au-dessous de zéro, 1 serait > 1, et — 1 <1; ainsi il ne pourrait y avoir proportion. Il est vrai que M. Leibnitz prétend que n'est pas moyen proportionnel entre 1 et 1, non plus que — 2 entre 1 el 4, quoiqu'il avoue que - 2 X 2 = 1×4, « parce que les » quantités négatives, dit-il, entrent dans le calcul sans >> entrer dans les rapports, et que des fractions ne sont pas

» la même chose que des rapports. » J'avoue que je ne sens point la force ni la vérité de cette raison: elle tendrait à renverser toutes les notions algébriques par des limitations inutiles et forcées; et elle ne serait juste d'ailleurs qu'en supposant que les quantités négatives sont au-dessous de zéro, ce qui n'est pas. »

153. Carnot approuve la réfutation de d'Alembert, et s'exprime en ces termes, au commencement de sa Géométrie de position :

« Les notions qu'on a données jusqu'ici des quantités négatives isolées se réduisent à deux celles dont nous venons de parler, savoir que ce sont des quantités moindres que zéro ; et celle qui consiste à dire que les quantités négatives sont de même nature que les positives, mais prises dans un sens contraire. D'Alembert détruit l'une et l'autre de ces notions. Il repousse d'abord la première par un argument qui me paraît sans réplique.

» Soit, dit-il, cette proportion :

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Si la notion combattue était exacte, c'est-à-dire si - I était plus petit que zéro, à plus forte raison serait-il moindre que 1; donc le second terme de cette proportion serait moindre que le premier; donc le quatrième devrait ètre moindre que le troisième, c'est-à-dire que 1 devrait être moindre que 1; donc I serait tout ensemble moindre et plus grand que 1, ce qui est contradictoire. »

154. Ces diverses opinions sont aussi peu fondées les unes que les autres.

Et d'abord, quand on nie que les quantités négatives soient moindres que zéro, il faudrait demander à ceux qui l'affirment ce qu'ils entendent par là; autrement on ne

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