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CHAPITRE V.

DE L'ANALYSE.

24. Cette méthode, qui s'applique à la démonstration de propositions énoncées, et à la résolution de questions proposées, ne semble pas très-connue de la plupart des logiciens. Elle est due aux anciens philosophes géomètres, mais elle s'applique à toutes les recherches qui sont du ressort du raisonnement pur.

On en trouve les premières traces dans les Éléments d'Euclide il ne paraît pas toutefois que ce soit à ce grand géomètre qu'on doive en attribuer l'invention, et Pappus d'Alexandrie la fait remonter à Platon, dont les ouvrages n'en font cependant aucune mention, non plus que d'une autre invention géométrique très-importante qui lui est encore attribuée. Cette absence de mention ne doit pas suffire pour infirmer la croyance des savants d'Alexandrie, qui n'étaient pas assez éloignés des temps de Platon et d'Euclide pour que la tradition à cet égard se fût altérée au point de refuser le mérite de l'invention à Euclide, s'il avait réellement été le premier qui l'eût fait connaître. Il est vraisemblable que Platon, à la fois philosophe et géomètre, mais surtout philosophe, qui cependant regardait la Géométrie comme le préliminaire obligé de la Philosophie, puisqu'il avait écrit sur le seuil de son école : Que nul n'entre ici s'il n'est géomètre; il est probable, dis-je, que Platon, dans son enseignement oral, aura fait connaître beaucoup de choses importantes en Géométrie, et n'aura pas trouvé place pour elles dans les ouvrages si considé

rables qu'il a écrits sur la Philosophie. Un passage d'une de ses lettres prouve même que cette omission est volontaire. Ce qui augmente encore la probabilité que cette tradition n'est pas erronée, c'est que les diverses inventions qu'elle lui attribue ont un caractère de grandeur et de généralité conforme à ce que l'on pouvait attendre d'un esprit si profond et si élevé.

Pappus, après avoir brièvement exposé la méthode analytique, telle qu'elle se trouve dans Euclide, donne en passant l'étymologie probable du mot analyse, conformément à l'esprit de cette méthode. Les logiciens modernes en donnent une autre, et entendent la méthode tout autrement que les anciens. La différence de signification attribuée au même mot n'a rien qui puisse surprendre, parce que l'on sait que les mêmes prépositions peuvent avoir dans la composition des mots grecs des sens très-différents. Ce qui serait fâcheux serait qu'on pensât que les deux méthodes sont identiques; mais si l'on admet qu'elles n'ont rien de commun, pourquoi les désigner par le même nom, lorsque surtout l'une a précédé l'autre de tant de siècles ? Nous discuterons ces divers points de vue avec beaucoup de détail; mais nous devons commencer par exposer la méthode telle que nous la concevons.

MÉTHODE ANALYTIQUE POUR LA DÉMONSTRATION

DES THÉORÈMES.

25. Lorsque l'on aura à trouver la démonstration d'une proposition énoncée, on cherchera d'abord si elle peut se déduire comme conséquence nécessaire de propositions admises, auquel cas elle devra être admise elle-même, et sera par conséquent démontrée. Si l'on n'aperçoit pas de quelles propositions connues elle pourrait être déduite, on cherchera de quelle proposition non admise elle pourrait

l'être, et alors la question sera ramenée à démontrer la vérité de cette dernière. Si celle-ci peut se déduire de propositions admises, elle sera reconnue vraie, et par suite la proposée : sinon, on cherchera de quelle proposition non encore admise elle pourrait être déduite, et la question sera ramenée à démontrer la vérité de cette dernière. On continuera ainsi jusqu'à ce que l'on parvienne à une proposition reconnue vraie; et alors la vérité de la proposée sera démontrée.

On voit donc que cette méthode, que l'on appelle analyse, consiste à établir une chaîne de propositions commençant à celle qu'on veut démontrer, finissant à une proposition connue, et telles qu'en partant de la première chacune soit une conséquence nécessaire de celle qui la suit; d'où il résulte que la première est une conséquence de la dernière, et par conséquent vraie comme elle.

L'analyse n'est donc autre chose qu'une méthode de réduction.

Mais parmi les diverses propositions dont la première pourrait être déduite, laquelle faudra-t-il choisir? Même question pour chacune de celles qui composent cette chaîne. On ne peut rien dire de précis à cet égard: la suite des propositions peut être prolongée indéfiniment sans qu'on parvienne à une proposition connue, comme il est possible aussi qu'on y parvienne promptement: cela dépend de la sagacité et de l'étendue des connaissances de celui qui cherche la démonstration; et s'il a réussi à la découvrir, il pourra la communiquer aux autres en leur indiquant la série de propositions qui l'y ont fait parvenir.

CAS OU LA DÉPENDANCE DES PROPOSITIONS SUCCESSIVES
PEUT ÊTRE RENVERSÉE.

26. Si deux des propositions successives dont nous venons de parler étaient réciproques, on pourrait considérer

la seconde comme déduite de la première, au lieu de la considérer comme ayant la première pour conséquence. Et si cette réciprocité a lieu depuis la première jusqu'à la dernière, on peut dire que la méthode analytique consiste à établir une suite de propositions dont la première soit celle qui est à démontrer, et telles que la seconde se déduise de la première, la troisième de la seconde, et ainsi de suite jusqu'à ce que l'on parvienne à une proposition reconnue vraie.

Et l'on voit même que la réciprocité n'est nécessaire que pour les propositions consécutives où la déduction a été renversée; elle ne l'est nullement pour celles où l'ordre de déduction est celui que nous avons prescrit en exposant la méthode analytique. Sous ces conditions, le second procédé n'est autre que le premier.

27. Remarque. Il est souvent plus commode de déduire une conséquence d'une proposition que d'en trouver une autre dont celle-ci serait la conséquence. Dans ce cas, on pourra employer la seconde manière de procéder pour toutes les propositions successives, ou pour quelques-unes seulement, en ayant soin de s'assurer de la réciprocité, car si elle n'avait pas lieu, ne fût-ce que pour deux consécutives seulement, la seconde de ces deux pourrait être vraie sans que la première le fût, puisque le vrai peut quelquefois se déduire du faux. Il ne suffirait donc pas que la suite des propositions se terminât par une qui fût reconnue vraie pour que toutes les précédentes, jusqu'à la première, le fussent elles-mêmes; il n'y aurait donc pas démon

stration.

MÉTHODE ANALYTIQUE POUR LA SOLUTION DES PROBLÈMES. 28. Nous avons dit que, dans un ordre quelconque de choses, l'objet d'un problème est de déterminer une ou

plusieurs choses, d'espèces données, ayant des rapports désignés avec des choses données, ou, en d'autres termes, satisfaisant à des conditions données. Or on aura évidemment des choses de l'espèce désignée qui y satisferont, si l'on en trouve de cette même espèce assujetties à de nouveaux rapports qui entraînent les premiers comme conséquences nécessaires. Si ce nouveau problème est plus facile à résoudre que le premier, la question sera avancée.

Et l'on pourra même ne pas s'assujettir à prendre pour objet de la recherche des choses de l'espèce demandée; il suffira que la connaissance des nouvelles choses entraîne immédiatement celle des proposées. Il sera alors indifférent de déterminer les unes ou les autres, et l'on sera moins gêné pour la transformation de la question. On aura ainsi ramené le problème à un autre où de nouveaux rapports seront imposés à de nouvelles choses.

Si ce second problème ne peut être immédiatement résolu, on cherchera de la même manière à le ramener à un troisième, dont toutes les solutions en fourniront du second comme celles du second en fournissaient du premier.

Si l'on ne peut résoudre immédiatement ce troisième, on cherchera semblablement à le ramener à un quatrième, et ainsi de suite jusqu'à ce que l'on parvienne à un problème que l'on sache résoudre. Alors chacune de ses solutions en fera connaître du précédent; chacune de celles-ci en fera connaître du problème qui précède, et en remontant ainsi jusqu'au premier on voit que chaque solution du dernier problème en fournit une du proposé.

Cette méthode s'appelle encore analyse, parce qu'elle ramène le problème proposé à une suite d'autres, jusqu'à ce que l'on en trouve un qu'on sache résoudre; comme dans le cas des théorèmes, la méthode que nous avons appelée analyse ramène la démonstration du proposé à une suite d'autres, jusqu'à ce que l'on parvienne à un théorème

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