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CHAPITRE II.

CE QUE C'EST QU'UNE SCIENCE DE RAISONNEMENT.

16. Quelles que soient les choses que l'on considère, l'ensemble des rapports nécessaires qui dérivent de leur nature forme ce que nous appellerons la science de cette chose. Cette définition peut être ainsi formulée

La science d'une chose est l'ensemble des lois de cette chose.

Ainsi la science des nombres sera l'ensemble des lois des nombres; la science de l'étendue sera l'ensemble des lois de l'étendue; la science du mouvement, l'ensemble des lois du mouvement, etc.

Lorsque la nature d'une chose sera complétement déterminée, soit par sa définition, soit autrement, toutes ses lois le seront aussi. La science de cette chose sera donc un ensemble de conséquences nécessaires de données admises, c'est-à-dire de vérités qui pourront être obtenues par le seul raisonnement. C'est là ce que nous appellerons une science de raisonnement.

Pour que la science d'une chose soit élevée à ce degré, il faut donc que la nature de cette chose soit rigoureusement déterminée pour nous. Si elle est susceptible d'être ramenée complétement à d'autres connues, une définition la déterminera. Dans le cas contraire, il faudra qu'on admette comme évidentes certaines vérités, certaines propriétés, qui suffisent à l'exacte détermination de la chose et déterminent par suite toutes ses lois.

17. Cela ne présentera aucune difficulté, par exemple pour la science des nombres, dont la notion s'acquiert si facilement et offre si peu de complication.

Ce sera moins simple pour la science de l'étendue, ou la Géométrie, parce que l'idée que nous nous faisons de l'étendue ou de l'espace, soit indéfini, soit limité, nous offre, outre l'idée de nombres, celles de forme, de grandeur, de position; de sorte qu'il est nécessaire de tirer de l'observation, aidée de la réflexion, des notions générales qui déterminent complétement la nature des choses renfermées dans l'idée d'étendue. Le nombre de ces principes primitifs est très-limité et, dès qu'ils sont admis, toutes les lois de l'étendue peuvent en être déduites par le seul raisonne

ment.

La science du mouvement demande encore un plus grand nombre de principes primitifs que les précédentes. Elle a d'abord besoin de tous ceux qui se rapportent à celles-ci, parce que le mouvement suppose l'espace et tout ce qui en dépend. Mais dans notre système du monde, dont les lois auraient pu être différentes de ce qu'elles sont, et où les corps ne sont plus seulement figurés, comme la Géométrie les suppose, mais matériels, il est indispensable de demander à l'observation et à l'expérience certains rapports entre les effets et les causes ou forces, qui, généralisés par des hypothèses très-vraisemblables, déterminent la nature de toutes les choses qui peuvent être considérées dans les phénomènes du mouvement. En admettant ces principes primitifs comme certains, toutes les lois du mouvement s'en déduiront comme conséquences nécessaires, et la science du mouvement sera une science de raisonnement. Mais il ne faudra pas oublier que, les principes ayant quelque chose d'hypothétique, il en sera de même des conséquences; et que ce n'est que par la concordance des résultats du raisonnement avec ceux de l'expérience que ces principes s'ap

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CE QUE C'EST QU'UNE SCIENCE DE RAISONNEMENT. prochent de plus en plus de produire en nous le sentiment de certitude.

Si maintenant nous passons à la considération des phénomènes où les causes sont moins susceptibles d'être appréciées et mesurées que dans ceux du mouvement, il peut cependant arriver que des observations et des expériences beaucoup plus répétées et variées conduisent à reconnaître des faits tellement généraux qu'on puisse, avec une grande probabilité, les regarder comme se vérifiant dans des cas et pour des substances qui n'ont pas été soumis à ces épreuves. Admettant alors ces faits comme des principes, on aura une branche de Physique, composée de tous les phénomènes résultant des combinaisons diverses des corps, et des circonstances de tout genre où l'on n'aura à appliquer que ces principes, ou d'autres encore, entièrement déterminés et connus. Cette branche rentrera donc dans la catégorie des sciences de raisonnement.

Ainsi, par exemple, dans l'étude des phénomènes lumineux, si l'on admet qu'un rayon marche en ligne droite tant qu'il ne rencontre aucun corps, soit opaque, soit transparent, que dans le premier cas il se réfléchit dans le plan normal, en faisant un angle égal à celui d'incidence, et que dans le second cas il se réfracte suivant une autre loi constante, alors la théorie de la lumière pourra être traitée comme une science de raisonnement dans toutes les questions dépendant de la propagation, de la réflexion et de la réfraction de rayons soumis à ces principes admis comme exacts. Ces questions auront des solutions entièrement déterminées, que l'on cherchera par les mêmes méthodes que dans toutes les autres sciences de raisonnement.

Enfin si, au lieu de se borner aux rapports généraux entre les forces et les corps bruts, ou à des branches particulières de la Physique, réductibles comme la théorie de la lumière à un petit nombre de faits généraux, on voulait

32 CHAP. II. CE QUE C'EST QU'UNE SCIENCE, etc.

étudier les phénomènes relatifs aux corps vivants, il serait bien autrement difficile d'obtenir des données premières qui détermineraient complétement leur nature et entraîneraient toutes les lois de ces êtres, comme des conséquences. nécessaires. C'est ce que l'on n'a pas encore tenté, et ce qui est, sans doute, au-dessus des forces de l'humanité.

Ce n'est pas que le raisonnement ne s'applique souvent à l'étude de ces phénomènes si compliqués, et que les sciences plus simples dont nous avons parlé d'abord ne puissent leur prêter un secours utile; mais les lois de ces phénomènes ne pouvant être déduites par le seul raisonnement de principes admis d'avance, même hypothétiquement, leur ensemble ne constitue pas ce que nous avons nommé une science de raisonnement.

Quant à l'établissement des premiers principes, ou des axiomes propres à chaque science, nous nous bornerons ici à ce que nous venons d'en dire sommairement. Nous donnerons à cet égard plus de détails et de développements, lorsque nous traiterons particulièrement chacune d'elles.

CHAPITRE III.

DES DIVERS GENRES DE QUESTIONS QUI SE PRÉSENTENT

DANS UNE SCIENCE DE RAISONNEMENT.

DÉDUCTION SANS BUT DÉTERMINÉ.

18. Certaines vérités étant admises, on peut se proposer d'en déduire de nouvelles, sans autre but que d'acquérir des connaissances que l'on n'a pas, et dont on ne prévoit même nullement la nature. C'est ainsi que beaucoup de découvertes se sont faites, et se font encore tous les jours: seulement on ne mentionne et on ne conserve que celles qui ont quelque importance.

DÉMONSTRATION DE PROPOSITIONS ÉNONCÉES.

19. Si l'on veut communiquer aux autres une vérité qu'on a découverte ou reconnue d'une manière quelconque, par exemple en déduisant au hasard, comme nous venons de le dire, on ne leur fait pas suivre tous les détours par lesquels a pu passer l'inventeur, en marchant à l'aventure; mais on fixe l'attention sur le but, en commençant par énoncer la proposition qui est l'expression de cette vérité ; puis on montre comment elle peut être déduite comme conséquence nécessaire de propositions admises. C'est là ce qu'on appelle démontrer la proposition énoncée; et l'on donne le nom général de théorème à toute proposition qui a besoin d'une démonstration pour devenir évidente.

DUH. - Méth. I.

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