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indépendants de l'existence de l'homme, sont connus de l'intelligence qui embrasse tous les êtres.

Et enfin ce doute suprême, que les esprits exceptionnels sont seuls susceptibles d'éprouver au milieu des sentiments les plus profonds de certitude, n'est pas un obstacle à l'accomplissement des desseins de la nature; l'homme agit toujours comme si ce dont il est certain était vrai ; il est rare qu'il songe alors à la possibilité de l'erreur, et, quand il le fait, cette crainte salutaire ne l'inquiète ni ne le retient : c'est un simple rappel au juste sentiment de sa faiblesse.

DE L'OPÉRATION INVERSE DE LA DÉDUCTION,
OU DE LA RÉDUCTION.

12. Nous avons parlé de l'opération de l'esprit qui consiste à déduire un rapport d'autres rapports donnés. Or on peut se proposer la question inverse, et chercher de quels rapports on pourrait déduire un rapport désigné, c'està-dire à quels rapports on pourrait ramener la connaissance du rapport désigné. Cette opération est, comme nous le verrons bientôt, d'une grande importance. Nous la désignerons sous le nom de réduction, tiré du mot latin qui signifie ramener, comme l'opération inverse ou la déduction tire son nom du mot latin qui signifie déduire. Quoi qu'il en soit, nous convenons de désigner exclusivement sous le nom de réduction l'opération par laquelle on ramène la connaissance d'une chose à celle d'autres choses dont elle sera la conséquence.

La solution de cette question est généralement indéterminée, parce qu'une même proposition peut être la conséquence de données très-diverses; l'art consiste à choisir les plus convenables à l'objet qu'on a en vue.

DES PROPOSITIONS RÉCIPROQUES.

13. Lorsque deux propositions sont telles, que chacune d'elles se déduit de l'autre comme conséquence nécessaire, nous disons qu'elles sont réciproques. Il n'arrive pas toujours qu'une proposition qui se déduit d'une autre l'entraîne réciproquement, et nous verrons plus tard combien il est important de constater cette réciprocité, lorsqu'elle a lieu pour le moment nous nous bornons à la définir.

DES PROPOSITIONS INCOMPATIBLES.

14. On appelle ainsi des propositions qui ne peuvent pas être vraies en même temps. Ainsi, par exemple, une proposition qui dirait qu'une chose est plus grande qu'une certaine autre serait incompatible avec celle qui dirait qu'elle est plus petite, parce qu'elles ne peuvent être vraies ensemble; mais elles pourraient être fausses toutes les deux, et c'est ce qui aurait lieu si les deux choses étaient égales.

Mais si les deux propositions sont précisément la négation l'une de l'autre, ce qu'on appelle contradictoires, si l'une est vraie, l'autre, qui la nie, sera fausse; et si l'une est fausse, l'autre, qui ne fait que la nier, sera vraie.

La proposition contradictoire d'une autre peut renfermer un plus ou moins grand nombre de cas différents, et si l'on en omettait quelques-uns, on n'aurait plus qu'une proposition incompatible avec la première, mais non la contradictoire on ne pourrait plus affirmer que, si l'une des deux est fausse, l'autre sera vraie. Ainsi, en reprenant l'exemple choisi précédemment d'une proposition qui dit

qu'une première chose est plus grande qu'une seconde, la contradictoire dirait. que la première chose n'est pas plus grande que la seconde ; ce qui comporterait deux cas, celui où elle serait plus petite, et celui où elle serait égale. Si l'on réduisait la seconde proposition à dire que la première chose est plus petite que la seconde, on aurait, comme cidessus, deux propositions incompatibles, mais non contradictoires elles ne pourraient être vraies toutes deux, mais elles pourraient toutes les deux être fausses; et par conséquent on ne pourrait conclure, comme dans le cas des propositions contradictoires, que, si l'on reconnaît la fausseté de l'une, on aura prouvé la vérité de l'autre.

:

QUE DU FAUX ON PEUT QUELQUEFOIS DÉDUIRE LE VRAI.

15. Nous avons dit que la considération simultanée de plusieurs rapports reconnus vrais, ou, en d'autres termes, de plusieurs propositions vraies, pouvait conduire à admettre comme évidente la vérité d'un nouveau rapport, et c'est ce que nous avons appelé déduire ou raisonner. Mais il n'est pas impossible d'arriver par une déduction exacte à une proposition vraie en partant de rapports faux, c'est-à-dire contraires à la nature des choses.

Cette remarque importante n'avait pas échappé à la sagacité d'Aristote. Dans le livre II de ses Premiers analytiques, il dit: On peut tirer le vrai de propositions fausses, les propositions étant toutes deux fausses, ou l'une des deux seulement; et il le prouve par divers exemples. Nous croyons ne pouvoir nous dispenser d'en citer textuellement quelques-uns, quelque bizarre qu'en soit la forme.

En voici un d'abord où les deux prémisses sont fausses et la conclusion vraie :

Tout homme est pierre,

Toute pierre est animal,

Donc tout homme est animal.

En voici un autre dans le même cas :

Toute pierre est animal,

Aucun cheval n'est animal,

Donc aucun cheval n'est pierre.

Enfin en voici un troisième où l'une seulement des deux prémisses est fausse et la conclusion vraie :

Tout cheval est animal,

Aucun homme n'est animal,

Donc aucun homme n'est cheval.

Aristote conclut naturellement de là que la vérité absolue d'une proposition bien déduite ne prouve pas la vérité des prémisses.

Aux exemples d'Aristote on en pourrait ajouter une foule d'autres tirés des Mathématiques. Nous en présenterons quelques-uns, lorsque, à la suite de cette première Partie de notre Ouvrage, nous nous occuperons spécialement des méthodes qui se rapportent aux sciences comprises sous cette dénomination générale. On reconnaîtra qu'en partant d'un principe faux on peut parvenir à un résultat exact, soit parce que ce principe est un mélange de vrai et de faux, et qu'on ne l'a employé que dans ce qu'il a de vrai, soit que les applications répétées qu'on en a faites dans la série des déductions aient introduit des erreurs qui se soient compensées et détruites les unes par les autres.

Nous pouvons donc regarder comme établies les deux propositions suivantes :

1o Si en partant de certains rapports admis on parvient par des raisonnements justes à un rapport vrai, on ne peut en conclure que les premiers le soient.

de

Car il n'est pas impossible de déduire des rapports vrais rapports faux.

28 CHAPITRE PREMIER.— DU RAISONNEMENT ET DES SCIENCES.

2o Si en partant de certains rapports on parvient par des raisonnements justes à un rapport faux, les premiers ne sont pas tous vrais.

Car, s'ils l'étaient, on n'aurait pu en déduire que des rapports vrais.

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