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à priori sont en petit nombre, et il faut qu'elles soient bien nettement énoncées, afin que le lecteur sache bien qu'on n'a nullement pour but de les définir ou de les démontrer, mais seulement d'y ramener toutes les autres. Il pourra bien s'en trouver parfois que nous n'aurons pas particulièrement désignées; le lecteur jugera facilement que nous les aurons regardées comme faisant partie des données premières, acquises comme nous l'avons dit, et auxquelles nous cherchons à tout

ramener.

DES

MÉTHODES

COMMUNES A TOUTES

LES SCIENCES DE RAISONNEMENT.

CHAPITRE PREMIER.

DU RAISONNEMENT ET DES SCIENCES.

1. Les vérités nécessaires existent par elles-mêmes; le raisonnement et la méthode ne sont que des moyens que l'homme emploie pour les découvrir ou les reconnaître, et ne doivent par conséquent être envisagés que par rapport à l'esprit humain : leur unique objet est de produire en lui la connaissance et la certitude.

L'état de certitude est produit dans l'homme par le sentiment clair de la vérité, ou, en d'autres termes, par l'évidence. Descartes admet que lorsqu'on l'éprouve, c'est bien la vérité qu'on aperçoit, parce que, dit-il, Dieu ne peut avoir voulu nous tromper. Il n'est cependant personne qui n'ait cru quelquefois avoir l'évidence, et n'ait reconnu plus tard qu'il s'était trompé. Ce sentiment n'est donc pas infaillible, et l'on ne doit s'y fier qu'avec une extrême ré

serve.

Il est des vérités dont l'évidence frappe immédiatement tous les esprits, et qu'on doit admettre comme point de départ : les méthodes ont pour objet de faire servir ces vérités

à en découvrir d'autres qui produisent dans les hommes le même sentiment d'évidence, et qu'ils admettent alors avec la même certitude que les premières. Des êtres supérieurs à l'homme pourraient n'avoir pas besoin de ces détours et apercevoir immédiatement toutes les vérités avec la même évidence; nos méthodes ne leur seraient pas nécessaires : elles ne sont faites, nous le répétons, que pour suppléer à la faiblesse de l'esprit humain.

CE QUE C'EST QUE RAPPORTS ET LOIS.

2. Une vérité dans la conception de laquelle entre la considération d'une certaine chose s'appelle une propriété de cette chose.

L'expression d'une vérité quelconque sera désignée généralement sous le nom de proposition.

Une vérité dans la conception de laquelle entre la considération de plusieurs choses est ce qu'on appelle un rapport entre ces choses.

Les rapports nécessaires qui dérivent de la nature des choses sont ce qu'on appelle les lois de ces choses.

CE QUE C'EST QU'UNE DÉFINITION.

3. Les choses nouvelles dont on voudra introduire la notion, en les rattachant aux premières sur lesquelles tous les hommes sont d'accord, devront être déterminées au moyen des rapports qu'elles ont avec celles qui sont connues. Il ne faudra pas que tous les rapports possibles soient exprimés : on devra se borner à ceux qui sont nécessaires et suffisants pour que l'existence de la chose soit complétement et distinctement assurée; car toute autre condition ajoutée serait une conséquence des premières, ou serait incompatible avec elles.

C'est en l'entendant ainsi que nous dirons que la défi

nition d'une chose est l'expression de ses rapports avec des choses connues.

Et par conséquent toutes les choses ne peuvent être définies, puisqu'il faut pour cela en connaître déjà d'autres. On ne peut, comme nous l'avons dit, que ramener de proche en proche à celles qu'on admet par le sentiment de l'évidence.

DÉDUCTION, RAISONNEMENT.

4. Lorsque plusieurs rapports dont l'existence est certaine entraînent avec évidence celle d'un nouveau rapport, on dit que ce dernier est une conséquence des autres ; et cette opération de l'esprit par laquelle on arrive à la connaissance d'un rapport, d'après d'autres rapports admis, se nomme une déduction ou un raisonnement.

Ainsi, raisonner ou déduire, c'est parvenir, au moyen de rapports connus, à des rapports qu'on ne connaissait pas. Cette déduction se fait par le sentiment de l'évidence, qui n'a besoin d'aucune règle et ne peut être suppléé par aucune.

5. Toutefois, les hommes étant sujets à l'erreur, il pourra arriver qu'une proposition qu'on aura regardée comme une conséquence de certaines autres ne le soit cependant pas. Dans ce cas, on aura fait ce qu'on appelle un faux raisonnement, soit que la proposition déduite soit fausse par ellemême, soit qu'étant vraie elle ne soit pas une conséquence nécessaire des premières.

Aristote a donné des règles de déduction dans des conditions très-variées et les écoles philosophiques n'ont fait pendant longtemps que reproduire, sans les éclaircir, les ingénieuses discussions de ce grand homme. Il a fallu vingt siècles pour qu'il se trouvât un autre homme de génie qui osât penser et dire que l'évidence était le seul caractère au moyen duquel on pût s'assurer de la justesse ou de la faus

DUH. Méth. I.

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seté d'un raisonnement. Depuis Descartes, la plupart des logiciens qui enseignent les règles du syllogisme ne le font que par respect pour leur illustre auteur et pour ne pas supprimer de la Philosophie ce qui en a été longtemps la partie la plus essentielle. Nous ne parlerons pas de toutes ces propositions qui tiennent une si grande place dans la logique d'Aristote; nous nous bornerons à dire qu'elles ne sont exactes qu'en y introduisant certaines restrictions et explications, qui étaient certainement bien dans l'esprit de cet homme si éminent, mais qui n'ont été nettement formulées que par Euler. Par là ces fameuses règles se sont réduites à des exercices ingénieux de raisonnement; elles doivent disparaître de l'exposition générale des méthodes.

COMMENT SE FONT LES DÉDUCTIONS.

6. Lorsque l'on a admis ou démontré que tous les individus qui composent un certain groupe jouissent d'une certaine propriété commune, et que l'on reconnaît un individu comme appartenant à ce groupe, on peut affirmer qu'il en jouit lui-même : on ne fait ainsi que répéter pour cet individu ce qu'on avait implicitement affirmé de lui, en même temps que de tous les autres. Cette affirmation résultant de l'énonciation de deux propositions, savoir que l'individu fait partie du groupe, et que tous les individus du groupe jouissent d'une même propriété, constitue l'une des formes de déduction qui se rencontrent le plus fréquemment. C'est la forme de syllogisme qu'on cite le plus ordinairement dans les Traités de logique, et à laquelle, au fond, toutes les autres se ramènent. Cela est si étrangement simple, qu'on peut s'étonner qu'on ait jugé à propos de donner un nom à une pareille opération de l'esprit; et probablement qu'on ne l'eût pas fait si l'on

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