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Anecdote

&

s'expofer à une nouvelle guerre contre l'Angleterre en faveur du prétendant, reconnu par lui pour roi, qu'on appelait alors le chevalier de St George; cependant le fait eft très-certain. Il faut avouer que Louis eut toujours dans l'ame une élévation qui le portait aux grandes choses en tout genre. Le comte de Stair ambassadeur d'Angleterre l'avait bravé. Il avait été fingulière. forcé de renvoyer de France Jacques III, comme dans fa jeunesse on avait chaffé Charles II & fon frère. Ce prince était caché en Lorraine à Commerci. Le duc d'Ormond & le vicomte de Bolingbroke intéreffèrent la gloire du roi de France; ils le flattèrent d'un foulévement en Angleterre & furtout en Ecoffe contre George I. Le prétendant n'avait qu'à paraître; on ne demandait qu'un vaisseau, quelques officiers & un peu d'argent. Le vaiffeau & les officiers furent accordés faus délibérer; ce ne pouvait être un vaiffeau de guerre, les traités ne le permettaient pas. L'Epine d'Anican célébre armateur fournit le navire de transport, du canon & des armes. A l'égard de l'argent le roi n'en avait point. On ne demandait que quatre cents mille écus, & ils ne fe trouvèrent pas. Louis XIV écrivit de fa main au roi d'Espagne Philippe V fon petit-fils, qui les prêta. Ce fut avec ce fecours que le prétendant paffa fecrétement en Ecoffe. Il y trouva en effet un parti confidérable, mais il venait d'être défait par l'armée anglaise du roi George.

Louis était déjà mort; le prétendant revint cacher dans Commerci la deftinée qui le pourfuivit toute fa vie, pendant que le fang de fes partisans coulait en Angleterre fur les échafauds.

Nous verrons dans les chapitres réservés à la vie privée & aux anecdotes, comment mourut Louis XIV au milieu des cabales odieufes de fon confeffeur, & des plus méprifables querelles théologiques qui aient jamais troublé des efprits ignorans & inquiets. Mais je confidère ici l'état où il laiffa l'Europe.

La puiffance de la Ruffie s'affermiffait chaque jour dans le Nord, & cette création d'un nouveau peuple & d'un nouvel empire était encore trop ignorée en France, en Italie & en Espagne.

La Suède, ancienne alliée de la France, & autrefois la terreur de la maifon d'Autriche, ne pouvait plus fe défendre contre les Ruffes, & il ne reftait à Charles XII que de la gloire.

Un fimple électorat d'Allemagne commençait à devenir une puiffance prépondérante. Le fecond roi de Pruffe, électeur de Brandebourg, avec de l'économie & une armée, jetait les fondemens d'une puiffance jufque-là inconnue.

La Hollande jouiffait encore de la confidération qu'elle avait acquise dans la dernière guerre contre Louis XIV: mais le poids qu'elle mettait dans la balance devint toujours moins considérable. L'Angleterre, agitée de troubles dans les premières années du règne d'un électeur de Hanovre, conferva toute fa force & toute fon influence. Les Etats de la maison d'Autriche languirent fous Charles VI; mais la plupart des princes de l'Empire firent fleurir leurs Etats. L'Espagne refpira fous Philippe V, qui devait fon trône à Louis XIV. L'Italie fut tranquille jufqu'à

t

Il faut fe défier des anec

dotes.

80 PARTICULARITÉS ET ANECDOTES

l'année 1717. Il n'y eut aucune querelle eccléfiaftique en Europe qui pût donner au pape un prétexte de faire valoir fes prétentions, ou qui pût le priver des prérogatives qu'il a confervées. Le janfénifme feul troubla la France, mais fans faire de fchifme, fans exciter de guerre civile.

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Particularités & anecdotes du règne de Louis XIV.

LES
ES anecdotes font un champ refferré où l'on
glane après la vafte moiffon de l'hiftoire; ce font
de petits détails long-temps tachés, & de-là vient
le nom d'anecdotes; ils intéreffent le public quand
ils concernent des perfonnages illuftres.

Les vies des grands-hommes dans Plutarque font un recueil d'anecdotes plus agréables que certaines : comment aurait-il eu des mémoires fidelles de la vie privée de Théfée & de Licurgue? Il y a dans la plupart des maximes qu'il met dans la bouche de fes héros plus d'utilité morale que de vérité hiftorique.

L'hiftoire fecrète de Juftinien par Procope eft une fatire dictée par la vengeance; & quoique la vengeance puiffe dire la vérité, cette fatire, qui contredit l'hiftoire publique de Procope, ne paraît pas toujours vraie.

Il n'eft pas permis aujourd'hui d'imiter Plutarque, encore moins Procope. Nous n'admettons pour vérités historiques que celles qui font garanties. Quand des contemporains comme le cardinal de Retz & le duc

de

de la Rochefoucauld, ennemis l'un de l'autre, confirment le même fait dans leurs mémoires, ce fait est indubitable; quand ils fe contredifent, il faut douter: ce qui n'est point vraisemblable ne doit point être cru, à moins que plufieurs contemporains dignes de foi ne dépofent unanimement.

Les anecdotes les plus utiles & les plus précieufes font les écrits fecrets que laiffent les grands princes, quand la candeur de leur ame fe manifefte dans. ces monumens ; tels font ceux que je rapporte de Louis XIV. (*)

Les détails domeftiques amufent feulement la curiofité; les faibleffes qu'on met au grand jour ne plaifent qu'à la malignité, à moins que ces mêmes faibleffes n'inftruisent, ou par les malheurs qui les ont fuivies, ou par les vertus qui les ont réparées.

Les mémoires fecrets des contemporains font fufpects de partialité; ceux qui écrivent une ou deux générations après doivent user de la plus grande circonspection, écarter le frivole, réduire l'exagéré, & combattre la fatire.

Louis XIV mit dans fa cour, comme dans fon règne, tant d'éclat & de magnificence que les moindres détails de fa vie femblent intéreffer la poftérité, ainfi qu'ils étaient l'objet de la curiosité de toutes les cours de l'Europe & de tous les contemporains. La fplendeur de fon gouvernement s'eft répandue fur fes moindres actions. On eft plus avide, furtout en France, de favoir les particularités de fa cour que les révolutions de quelques autres Etats. Tel eft l'effet de la grande réputation. On aime mieux apprendre ce qui fe (*) Chapitre XXVIII de cette histoire.

Siècle de Louis XIV. Tom. II.

F

res amours,

chans livres.

paffait dans le cabinet & dans la cour d'Auguste que le détail des conquêtes d'Attila ou de Tamerlan.

Ses premiè- Voilà pourquoi il n'y a guère d'hiftoriens qui fujet de plu- n'aient publié les premiers goûts de Louis XIV pour fieurs me la baronne de Beauvais, pour mademoiselle d'Argencourt, pour la nièce du cardinal Mazarin, qui fut mariée au comte de Soiffons père du prince Eugène ; furtout pour Marie Mancini fa fœur, qui épousa enfuite le connétable Colonne.

Comment

Il ne régnait pas encore, quand ces amusemens occupaient l'oifiveté où le cardinal Mazarin, qui gouvernait defpotiquement, le laiffait languir. L'attachement feul pour Marie Mancini fut une affaire importante, parce qu'il l'aima affez pour être tenté de l'époufer, & fut affez maître de lui-même pour s'en féparer. Cette victoire qu'il remporta fur sa paffion commença à faire connaître qu'il était né avec une grande ame. Il en remporta une plus forte & plus difficile, en laiffant le cardinal Mazarin maître abfolu. La reconnaissance l'empêcha de fecouer le joug qui commençait à lui pefer. C'était une anecdote trèsconnue à la cour, qu'il avait dit après la mort du cardinal: Je ne fais pas ce que j'aurais fait, s'il ,, avait vécu plus long-temps. " ( dd)

Il s'occupait à lire des livres d'agrément dans ce l'efprit & le loifir; il lifait furtout avec la connétable Colonne,

il fe formait

goût.

(dd) Cette anecdote eft accréditée par les mémoires de la Porte, pag. 255 & fuivantes. On y voit que le roi avait de l'averfion pour le cardinal; que ce miniftre, fon parrain & furintendant de fon éducation, l'avait très-mal élevé, & qu'il le laissa souvent manquer du néceffaire. Il ajoute même des accufations beaucoup plus graves, & qui rendraient la mémoire du cardinal bien infame; mais elles ne paraiffent pas prouvées, & toute accufation doit l'être.

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