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militaire, & Defmarets qui adminiftra les finances, ne purent ni faire des plans de guerre plus heureux, ni rétablir un crédit anéanti. (6)

Le cruel hiver de 1709 acheva de défefpérer la nation. Les oliviers, qui font une grande reffource dans le midi de la France, périrent. Prefque tous les arbres fruitiers gelèrent, Il n'y eut point d'efpérance de récolte. On avait très-peu de magasins. Les grains qu'on pouvait faire venir à grands frais des Echelles du Levant & de l'Afrique pouvaient être pris par les flottes ennemies, auxquelles on n'avait prefque plus de vaiffeaux de guerre à oppofer. Le fléau de cet hiver était général dans l'Europe, mais les ennemis avaient plus de refsources. Les Hollandais furtout, qui ont été fi long-temps les facteurs des nations, avaient affez de magasins pour mettre les armées floriffantes des alliés dans l'abondance; tandis que les troupes de France, diminuées & découragées, femblaient devoir périr de mifère.

Le roi vendit pour quatre cents mille francs de vaiffelle d'or. Les plus grands feigneurs envoyèrent leur vaiffelle d'argent à la monnaie. On ne mangea dans Paris que du pain bis pendant quelques mois. Plufieurs familles, à Versailles même, fe nourrirent de pain d'avoine. Madame de Maintenon en donna l'exemple.

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Funeftes effets de l'hi ver de 1 709.

demande la

Louis XIV, qui avait déjà fait quelques avances Louis XIV pour la paix, n'héfita pas, dans ces circonftances paix. funeftes, à la demander à ces mêmes Hollandais autrefois fi maltraités par lui.

(6) Pour bien juger Defmarets il faut lire le mémoire qu'il présenta au régent pour lui rendre compte de fon administration; ce mémoire fait regreter que ce prince ne l'ait pas laiffé à la tête des finances.

Siècle de Louis XIV. Tom. II.

C

dais devien

nent fiers.

Les Etats-Généraux n'avaient plus de ftathouder depuis la mort du roi Guillaume; & les magiftrats

hollandais, qui appelaient déjà leurs familles les familles patriciennes, étaient autant de rois. Les quatre Les Hollan- commiffaires hollandais, députés à l'armée, traitaient avec fierté trente princes d'Allemagne à leur folde. Qu'on faffe venir Holstein, difaient-ils; qu'on dife à Heffe de nous venir parler. (m) Ainfi s'expliquaient des marchands qui, dans la fimplicité de leurs vêtemens & dans la frugalité de leurs repas, fe plaifaient à écrafer à la fois l'orgueil allemand qui était à leurs gages, & la fierté d'un grand roi autrefois leur vainqueur.

On les avait vus vendre à bas prix leur attachement à Louis XIV en 1665, foutenir leurs malheurs en 1672 & les réparer avec un courage intrépide; & alors ils voulaient ufer de leur fortune. Ils étaient bien loin de s'en tenir à faire voir aux hommes, par de fimples démonftrations de fupériorité, qu'il n'y a de vraie grandeur que la puissance : ils voulaient que leur Etat eût en fouveraineté dix villes en Flandre, entr'autres Lille qui était entre leurs mains, & Tournai qui n'y était pas encore. Ainfi les Hollandais prétendaient retirer le fruit de la guerre, nonfeulement aux dépens de la France, mais encore aux dépens de l'Autriche pour laquelle ils combattaient ; comme Venise avait autrefois augmenté fon territoire des terres de tous fes voifins. L'efprit républicain est au fond auffi ambitieux que l'efprit monarchique.

(m) C'eft ce que l'auteur tient de la bouche de vingt personnes qui les entendirent parler ainsi à Lille après la prise de cette ville. Cependant il fe peut que ces expreffions fuffent moins l'effet d'une fierté groffière que d'un ftyle laconique affez en usage dans les armées.

des Hollan

dais.

Il y parut bien quelques mois après; car lorfque Prétentions ce fantôme de négociation fut évanoui, lorsque les armes des alliés eurent encore de nouveaux avantages, le duc de Marlborough, plus maître alors que fa fouveraine en Angleterre, & gagné par la Hollande, fit conclure avec les Etats-Généraux, en1709, ce célébre traité de la barrière, par lequel ils refteraient maîtres de toutes les villes frontières qu'on prendrait fur la France, auraient garnison dans vingt places de la Flandre aux dépens du pays, dans Hui, dans Liége & dans Bonn ; & auraient en toute fouveraineté la haute Gueldre. Ils feraient devenus en effet fouverains des dix-fept provinces des Pays-bas ; ils auraient dominé dans Liége & dans Cologne. C'eft ainfi qu'ils voulaient s'agrandir fur les ruines mêmes de leurs alliés. Ils nourriffaient déjà ces projets élevés, quand le roi fecrétement le préfident Rouillé pour envoya effsayer de traiter avec eux.

leur

envoie un ne

Ce négociateur vit d'abord dans Anvers deux Le roi leur magiftrats d'Amfterdam, Bruys & Vanderduffen, qui gociateur. parlèrent en vainqueurs, & qui déployèrent avec l'envoyé du plus fier des rois toute la hauteur dont ils avaient été accablés en 1672. On affecta enfuite de négocier quelque temps avec lui, dans un de ces villages que les généraux de Louis XIV avaient mis autrefois à feu & à fang. Quand on l'eut joué affez long-temps, on lui déclara qu'il fallait que le roi de France forçât le roi fon petit-fils à defcendre du trône fans aucun dédommagement; que l'électeur de Bavière François-Marie, & fon frère l'électeur de Cologne demandaffent grâce, ou que le fort des armes ferait les traités.

Les dépêches défefpérantes du président de Rouillé arrivaient coup fur coup au confeil dans le temps de la plus déplorable mifère où le royaume eût été réduit dans les temps les plus funeftes. L'hiver de 1709 laiffait des traces affreufes; le peuple périffait de famine. Les troupes n'étaient point payées; la défolation était par-tout. Les gémiffemens & les terreurs du public augmentaient encore le mal.

Le confeil était compofé du dauphin, du duc de Bourgogne fon fils, du chancelier de France Pontchartrain, du duc de Beauvilliers, du marquis de Torci, du fecrétaire d'Etat de la guerre Chamillart & du contrôleur-général Defmarets. Le duc de Beauvilliers fit une peinture fi touchante de l'état où la France était réduite, que le duc de Bourgogne en verfa des larmes & tout le confeil y mêla les fiennes. Le chancelier conclut à faire la paix à quelque prix que ce pût être. Les miniftres de la guerre & des finances avouèrent qu'ils étaient fans reffource. Une fcène fi trifte, dit le marquis de Torci, ferait difficile à décrire, quand même il ferait permis de révéler le fecret de ce qu'elle eut de plus touchant. Ce fecret n'était que celui des pleurs qui coulèrent.

Le marquis de Torci, dans cette crife, propofa d'aller lui-même partager les outrages qu'on fefait au roi dans la perfonne du préfident Rouillé; mais comment pouvait-il espérer d'obtenir ce que les vainqueurs avaient déjà refufé? il ne devait s'attendre qu'à des conditions plus dures.

Les alliés commençaient déjà la campagne. Torci 22 mai1709. va fous un nom emprunté jufque dans la Haye. Lo grand-penfionnaire Heinfius eft bien étonné, quand

on lui annonce que celui qui eft regardé chez les étrangers comme le principal miniftre de France est dans fon antichambre. Heinfius avait été autrefois envoyé en France par le roi Guillaume, pour y difcuter fes droits fur la principauté d'Orange. Il s'était adreffé à Louvois fecrétaire d'Etat ayant le département du Dauphiné, fur la frontière duquel Orange eft fituée. Le ministre de Guillaume parla vivement, non-feulement pour fon maître, mais pour les réformés d'Orange. Croirait-on que Louvois lui répondit qu'il le ferait mettre à la bastille? (n) Un tel difcours tenu à un fujet eût été odieux; tenu à un ministre étranger, c'était un infolent outrage au droit des nations. On peut juger s'il avait laiffé des impressions profondes dans le cœur du magiftrat d'un peuple libre.

Il y a peu d'exemples de tant d'orgueil fuivi de Humiliation tant d'humiliations. Le marquis de Torci, fuppliant de Louis XIV'. dans la Haye au nom de Louis XIV, s'adreffa au prince Eugène & au duc de Marlborough, après avoir perdu fon temps avec Heinfius. Tous trois voulaient la continuation de la guerre. Le prince y trouvait fa grandeur & fa vengeance; le duc fa gloire & une fortune immenfe qu'il aimait également ; le troisième, gouverné par les deux autres, fe regardait comme un fpartiate qui abaiffait un roi de Perfe. Ils propo- infultanies fèrent non pas une paix, mais une trève; & pendant faites à Louis cette trève une fatisfaction entière pour tous leurs alliés, & aucune pour les alliés du roi ; à condition que le roi fe joindrait à fes ennemis pour chaffer

(n) Voyez les mémoires de Torci, tome III, page 2 ; ils ont confirmé tout ce qui eft avancé ici.

Propofitions

XIV.

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