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écoles italiennes n'en ont point enfin détourné les

yeux.

Tous les genres de littérature ont été cultivés dans cette ancienne patrie des arts, autant qu'ailleurs, excepté dans les matières où la liberté de penfer donne plus d'effor à l'efprit chez d'autres nations. Ce fiècle furtout a mieux connu l'antiquité que les précédens. L'Italie fournit plus de monumens que toute l'Europe enfemble; & plus on a déterré de ces monumens, plus la fcience s'eft étendue.

On doit ces progrès à quelques fages, à quelques génies répandus en petit nombre dans quelques parties de l'Europe, prefque tous long-temps obfcurs & fouvent perfécutés : ils ont éclairé & confolé la terre, pendant que les guerres la défolaient. On peut trouver ailleurs des listes de tous ceux qui ont illuftré l'Allemagne, l'Angleterre, l'Italie. Un étranger serait peut-être trop peu propre à apprécier le mérite de tous ces hommes illuftres. Il fuffit ici d'avoir fait voir que dans le fiècle paffé les hommes ont acquis plus de lumières d'un bout de l'Europe à l'autre que dans tous les âges précédens.

CHAPITRE

CHAPITRE

X X X V.

Affaires ecclefiaftiques. Difputes mémorables.

Des trois ordres de l'Etat, le moins nombreux eft l'Eglife; & ce n'eft que dans le royaume de France que le clergé eft devenu un ordre de l'Etat. C'est une chofe auffi vraie qu'étonnante, on l'a déjà dit, & rien ne démontre plus le pouvoir de la coutume. Le clergé donc, reconnu pour ordre de l'Etat, eft celui qui a toujours exigé du fouverain la conduite la plus délicate & la plus ménagée. Conferver à la fois l'union avec le fiége de Rome, & foutenir les libertés de l'Eglife gallicane, qui font les droits de l'ancienne Eglife; favoir faire obéir les évêques comme fujets, fans toucher aux droits de l'épifcopat; les foumettre en beaucoup de choses à la jurifdiction féculière, & les laiffer juges en d'autres; les faire contribuer aux befoins de l'Etat, & ne pas choquer leurs priviléges: tout cela demande un mélange de dextérité & de fermeté que Louis XIV eut prefque toujours.

Le clergé en France fut remis peu à peu dans un ordre & dans une décence dont les guerres civiles & la licence des temps l'avaient écarté. Le roi ne fouffrit plus enfin, ni que les féculiers poffédaffent des bénéfices, fous le nom de confidentiaires, ni que ceux qui n'étaient pas prêtres euffent des évêchés, comme le cardinal Mazarin qui avait poffédé l'évêché de Metz, n'étant pas même fous-diacre, & le duc de Verneuil qui en avait auffi joui étant féculier.

Ce que payait au roi le clergé de France & des
Siècle de Louis XIV. Tom. II.

T

Evêques

non-prêtres.

tuit.

villes conquifes allait, année commune, à environ Don gra- deux millions cinq cents mille livres ; & depuis, la

valeur des espèces ayant augmenté numériquement, ils ont fecouru l'Etat d'environ quatre millions par année, fous le nom de décimes, de fubvention extraordinaire, de don gratuit. Ce mot & ce privilége de don gratuit se font confervés comme une trace de l'ancien usage où étaient tous les feigneurs de fiefs d'accorder des dons gratuits aux rois dans les befoins de l'Etat. Les évêques & les abbés étant feigneurs de fiefs, par un ancien abus, ne devaient que des foldats dans le temps de l'anarchie féodale. Les rois alors n'avaient que leurs domaines comme les autres feigneurs. Lorfque tout changea depuis, le clergé ne changea pas; il conferva l'usage d'aider l'Etat par des dons gratuits. (39)

A cette ancienne coutume qu'un corps qui s'affemble

(39) En France le clergé eft exempt, comme la noblesse, des tailles & de quelques-uns des droits d'aides. La noblesse était censée remplacer les impôts par son service personnel, & le clergé par fes prières. Pendant quelque temps on demanda au pape la permiffion d'imposer des décimes fur le clergé, toujours sous le prétexte de combattre les infidelles ou les hérétiques. Enfin l'usage de s'adreffer au clergé affemblé, & de se paffer du confentement de Rome, a prévalu: mais pour ménager Rome qui excommuniait, il n'y a pas encore long-temps, chaque jeudi-faint, les fouverains qui obligeaient le clergé à contribuer aux charges publiques, on donna aux décimes le nom de don gratuit. Lorsqu'à la fin du règne de Louis XIV on ajouta la capitation & le dixième aux impôts déjà trop onéreux, on n'ofa établir ces nouvelles taxes d'une manière rigoureufe; & le clergé obtint facilement d'être exempt de ces impôts, en payant des dons gratuits plus confidérables. Il eft donc évident qu'il ne doit point ce dernier privilège aux anciens ufages de la nation, puifque jufqu'à ce moment il n'avait joui que des priviléges de la nobleffe, & que la nobleffe a payé ces nouveaux impôts. Cette exemption eft donc une pure grâce accordée par Louis XIV; grâce qui eft une injustice à l'égard des citoyens; grâce que ni le temps, ni aucune affemblée nationale n'ont confacrée. Nos fouverains, mieux inftruits de leurs droits &

souvent conferve, & qu'un corps qui ne s'affemble point perd néceffairement, fe joint l'immunité toujours réclamée par l'Eglife, & cette maxime, que fon bien eft le bien des pauvres : non qu'elle prétende ne devoir rien à l'Etat dont elle tient tout; car le royaume, quand il a des befoins, est le premier pauvre: mais elle allégue pour elle le droit de ne donner que des fecours volontaires ; & Louis XIV exigea toujours ces fecours, de manière à n'être pas refufé.

On s'étonne dans l'Europe & en France que le clergé paye fi peu; on fe figure qu'il jouit du tiers du royaume. S'il poffédait ce tiers, il eft indubitable qu'il devrait payer le tiers des charges, ce qui fe monterait, année commune, à plus de cinquante millions, indépendamment des droits fur les confommations qu'il paye comme les autres fujets ; mais on se fait des idées vagues & des préjugés fur tout.

Il est inconteftable que l'Eglife de France eft de toutes les Eglifes catholiques celle qui a le moins accumulé de richeffes. Non- feulement il n'y a point d'évêque qui fe foit emparé, comme celui de Rome, d'une grande fouveraineté, mais il n'y a point d'abbé qui jouiffe des droits régaliens, comme l'abbé du Mont-Caffin & les abbés d'Allemagne. En général les évêchés de France ne font pas d'un revenu trop immenfe. Ceux de Strasbourg & de Cambrai font les de ceux de leurs peuples, fentiront fans doute un jour que leur intérêt & la juftice exigent egalement de foumettre aux taxes les biens du clerge dans la proportion qu'ont ces biens avec ceux du refte de la nation; & qu'en general tout privilége, en matière d'impôt, eft une veritable injustice, depuis que la conftitution militaire ayant changé, il n'existe plus de fervice personnel gratuit, & que les efprits s'étant éclairés, on fait que ce ne font point les proceffions des moines, mais les évolutions des foldats qui décident du fuccès des batailles.

Richeffes du clergé.

Livre II,

plus forts; mais c'eft qu'ils appartenaient originairement à l'Allemagne, & que l'Eglife d'Allemagne était beaucoup plus riche que l'Empire.

Giannone, dans fon hiftoire de Naples, affure que chapitre 6. les eccléfiaftiques ont les deux tiers du revenu du pays. Cet abus énorme n'afflige point la France. On dit que l'Eglife poffède le tiers du royaume, comme on dit au hasard qu'il y a un million d'habitans dans Paris. Si on fe donnait feulement la peine de fupputer le revenu des évêchés, on verrait, par le prix des baux faits il y a environ cinquante ans, que tous les évêchés n'étaient évalués alors que fur le pied d'un revenu annuel de quatre millions; & les abbayes commendataires allaient à quatre millions cinq cents mille livres. Il est vrai que l'énoncé de ce prix des baux fut un tiers au-deffous de la valeur ; & fi on ajoute encore l'augmentation des revenus en terre, la fomme

totale des rentes de tous les bénéfices confiftoriaux fera portée à environ feize millions. Il ne faut pas oublier que de cet argent il en va tous les ans à Rome une fomme confidérable, qui ne revient jamais, & qui eft en pure perte. C'est une grande libéralité du roi envers le S Siége: elle dépouille l'Etat dans l'efpace d'un fiècle de plus de quatre cents mille marcs d'argent; ce qui dans la fuite des temps appauvrirait le royaume, fi le commerce ne réparait pas abondamment cette perte. (40)

(40) Un Etat ne s'appauvrit pas en payant chaque année un faible tribut, comme un homme ne fe ruine pas en payant une rente fur les revenus de fa terre. Mais ce tribut payé à Rome eft en finance une diminution de la richesse annuelle, & en théologie une véritable simonie, qui damne infailliblement dans l'autre monde celui qu'elle enrichit fur la terre.

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