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avantages qu'on avait en Allemagne pour fauver une partie de la France. Le pays par où les ennemis pénétraient eft fec, ftérile, hériffé de montagnes; les vivres rares; la retraite difficile. Les maladies, qui défolèrent l'armée ennemie, combattirent encore pour Louis XIV. Le fiége de Toulon fut levé, & La Provence bientôt la Provence délivrée, & le Dauphiné hors de danger: tant le fuccès d'une invasion est rare, quand on n'a pas de grandes intelligences dans le pays. Charles-Quint y avait échoué; & de nos jours les troupes de la reine de Hongrie y échouèrent encore. (f)

Cependant cette irruption, qui avait coûté beaucoup aux alliés, ne coûtait pas moins aux Français elle avait ravagé une grande étendue de terrain, & divifé les forces.

L'Europe ne s'attendait pas que dans un temps d'épuifement, & lorfque la France comptait pour un grand fuccès d'être échappée à une invasion, Louis XIV aurait affez de grandeur & de ressources pour tenter lui-même une invafion dans la GrandeBretagne, malgré le dépériffement de fes forces maritimes, & malgré les flottes des Anglais, qui couvraient la mer. Ce projet fut propofé par des

(f) Le respect pour la vérité dans les plus petites chofes oblige encore de relever le discours que le compilateur des mémoires de madame de Maintenon fait tenir par le roi de Suède Charles XII au duc de Marlborough. Si Toulon eft pris, je l'irai reprendre. Ce général anglais n'était point auprès du roi de Suède dans le temps du fiége. Il le vit dans Alt-ranstad en avril 1707, & le fiége de Toulon fut levé au mois d'août. Charles XII d'ailleurs ne fe mêla jamais de cette guerre; il refufa conftamment de voir tous les français qu'on lui députa. On ne trouve dans les mémoires de Maintenon que des difcours qu'on n'a ni tenus ni pu tenir; & on ne peut regarder ce Mvre que comme un roman mal digéré.

fauvée. 22

août 1707.

Louis XIV

envoie le prétendant en

Ecoffe avec une flotte.

écoffais attachés au fils de Jacques II. Le fuccès était douteux; mais Louis XIV envisagea une gloire certaine dans la feule entreprise. Il a dit lui-même que ce motif l'avait déterminé autant que l'intérêt politique.

Porter la guerre dans la Grande-Bretagne, tandis qu'on en foutenait le fardeau fi difficilement en tant d'autres endroits, & tenter de rétablir du moins fur le trône d'Ecoffe le fils de Jacques II, pendant qu'on pouvait à peine maintenir Philippe V fur celui d'Efpagne, c'était une idée pleine de grandeur, & qui après tout n'était pas deftituée de vraisemblance.

Parmi les Ecoffais, tous ceux qui ne s'étaient pas vendus à la cour de Londres gémiffaient d'être dans la dépendance des Anglais. Leurs vœux fecrets appelaient unanimement le defcendant de leurs anciens rois, chaffé au berceau des trônes d'Angleterre, d'Ecoffe & d'Irlande, & à qui on avait difputé jufqu'à fa naiffance. On lui promit qu'il trouverait trente mille hommes en armes, qui combattraient pour lui, s'il pouvait feulement débarquer vers Edimbourg, avec quelque fecours de la France.

Louis XIV, qui dans fes profpérités paffées avait fait tant d'efforts pour le père, en fit autant pour le fils, dans le temps même de fes revers. Huit vaiffeaux de guerre, foixante & dix bâtimens de transport furent préparés à Dunkerque. Six mille hommes Mars 1708. furent embarqués. Le comte de Gacé, depuis maréchal Le préten de Matignon, commandait les troupes. Le chevalier Forbin Janfon, l'un des plus grands-hommes de mer, conduifait la flotte. La conjoncture paraiffait favorable; il n'y avait en Ecoffe que trois mille hommes

dant aborde

& revient.

de troupes réglées. L'Angleterre était dégarnie. Ses foldats étaient occupés en Flandre fous le duc de Marlborough. Mais il fallait arriver ; & les Anglais avaient en mer une flotte de près de cinquante vaisfeaux de guerre. Cette entreprise fut entièrement femblable àcelle que nous avons vue en 1744 en faveur du petit-fils de Jacques II. Elle fut prévenue par les Anglais. Des contre-temps la dérangèrent. Le miniftère de Londres eut même le temps de faire revenir douze bataillons de Flandre. On se saisit dans Edimbourg des hommes les plus fufpects. Enfin, le prétendant s'étant présenté aux côtes d'Ecoffe, & n'ayant point vu de signaux convenus, tout ce que put faire le chevalier de Forbin, ce fut de le ramener à Dunkerque. Il sauva la flotte; mais tout le fruit de l'entreprise fut perdu. Il n'y eut que Matignon qui y gagna. Ayant ouvert les ordres de la cour en pleine il y vit les provisions de maréchal de France; récompenfe de ce qu'il voulut & qu'il ne put faire.

mer,

Quelques (g) hiftoriens ont fuppofé que la reine Anne était d'intelligence avec fon frère. C'est une trop grande fimplicité de penfer qu'elle invitât fon compétiteur à la venir détrôner. On a confondu les temps: on a cru qu'elle le favorifait alors, parce

(g) Entr'autres Reboulet, pag. 233 du tom. VIII. Il fonde ses soupçons fur ceux du chevalier de Forbin. Celui qui a donné au public tant de menfonges, fous le titre de mémoires de madame de Maintenon, & qui fit imprimer en 1752 à Francfort une édition frauduleuse du Siècle de Louis XIV, demande dans une des notes qui font ces hiftoriens qui ont prétendu que la reine Anne était d'intelligence avec fon frère. C'est un fantôme, dit-il. Mais on voit ici clairement que ce n'est point un fantôme & que l'auteur du Siècle de Louis XIV n'avait rien avancé que la preuve en main ; il n'est pas permis d'écrire l'hiftoire autrement..

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que depuis elle le regarda en fecret comme fon héritier. Mais qui peut jamais vouloir être chaffé par fon fucceffeur ?

Duc de Tandis que les affaires de la France devenaient Bourgogne de jour en jour plus mauvaifes, le roi crut qu'en les armées. fefant paraître le duc de Bourgogne fon petit-fils à

commande

la tête des armées de Flandre, la présence de l'héritier préfomptif de la couronne ranimerait l'émulation, qui commençait trop à se perdre. Ce prince, d'un efprit ferme & intrépide, était pieux, jufte & philofophe. Il était fait pour commander à des fages. Elève de Fénélon archevêque de Cambrai, il aimait fes devoirs : il aimait les hommes; il voulait les rendre heureux. Inftruit dans l'art de la guerre, il regardait cet art plutôt comme le fléau du genre humain & comme une néceffité malheureufe, que comme une fource de gloire. On oppofa ce prince philofophe au duc de Marlborough: on lui donna pour l'aider le duc de Vendôme. Il arriva ce qu'on ne voit que trop fouvent le grand capitaine ne fut pas affez écouté, & le confeil du prince balança fouvent les raifons du général. Il fe forma deux partis; & dans l'armée des alliés, il n'y en avait qu'un, celui de la cause commune. Le prince Eugène était alors fur le Rhin; mais toutes les fois qu'il fut avec Marlborough, ils n'eurent jamais qu'un fentiment.

Le duc de Bourgogne était fupérieur en forces; la France, que l'Europe croyait épuifée, lui avait fourni une armée de près de cent mille hommes ; & les alliés n'en avaient alors que quatre-vingts mille. Il avait encore l'avantage des négociations, dans un pays fi

long-temps efpagnol, fatigué de garnifons hollan-
daifes, & où beaucoup de citoyens penchaient pour
Philippe V. Des intelligences lui ouvrirent les portes
de Gand & d'Ypres : mais les manœuvres de guerre
firent évanouir le fruit des manœuvres de politique.
La divifion, qui mettait de l'incertitude dans le
confeil de guerre, fit que d'abord on marcha vers la
Dendre, & que deux heures après on rebroussa vers
'Efcaut, à Oudenarde : ainfi on perdit du temps.
On trouva le prince Eugène & Marlborough qui n'en
perdaient point, & qui étaient unis. On fut mis en
déroute vers Oudenarde; ce n'était pas une grande
bataille, mais ce fut une fatale retraite. Les fautes fe 1708.
multiplièrent. Les régimens allaient où ils pouvaient
fans recevoir aucun ordre. Il y eut même plus de
quatre mille hommes qui furent pris en chemin par
l'armée ennemie, à quelques milles du champ de
bataille.

L'armée découragée fe retira fans ordre, fous
Gand, fous Tournai, fous Ypres, & laiffa tranquil-
lement le prince Eugène, maître du terrain, affiéger
Lille avec une armée moins nombreuse.

Défaite à

Oudenarde. 11 juillet

Mettre le fiége devant une ville auffi grande & auffi Siége de fortifiée que Lille, fans être maître de Gand, fans Lille. pouvoir tirer fes convois que d'Oftende, fans les pouvoir conduire que par une chauffée étroite, au hafard d'être à tout moment furpris; c'eft ce que l'Europe appela une action téméraire, mais que la méfintelligence & l'efprit d'incertitude, qui régnaient dans l'armée française, rendirent excufable. C'est enfin ce que le fuccès juftifia. Leurs grands convois, qui pouvaient être enlevés, ne le furent point. Les

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