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L'archiduc

dont nos rois ajoutent encore le titre à celui de France, par un usage qui femble au-deffous de leur grandeur.

A ces défaftres s'en joignait un autre, qui parut décifif. Les Portugais, avec quelques anglais, prirent toutes les places devant lefquelles ils se préfentèrent, & s'avancèrent jufque dans l'Eftramadoure espagnole, différente de celle du Portugal. C'était un français devenu pair d'Angleterre qui les commandait, milord Galloway, autrefois comte de Ruvigny; tandis que le duc de Berwick, anglais & neveu de Marlborough, était à la tête des troupes de France & d'Espagne, qui ne pouvaient plus arrêter les victorieux.

Philippe V, incertain de fa deftinée, était dans Ch pro- Pampelune. Charles, fon compétiteur, groffiffait son Ene. parti & fes forces en Catalogne: il était maître de

clame roi

26 juin1 706.

l'Arragon, de la province de Valence, de Carthagène, d'une partie de la province de Grenade. Les Anglais avaient pris Gibraltar pour eux, & lui avaient donné Minorque, Ivica & Alicante. Les chemins d'ailleurs lui étaient ouverts jusqu'à Madrid. Galloway y entra fans refiftance, & fit proclamer roi l'archiduc Charles. Un fimple détachement le fit auffi proclamer à Tolède. (2)

Tout parut alors fi défefpéré pour Philippe V

(2) On tint à Madrid, au nom de l'archiduc, plufieurs confeils où furent appelés les hommes les plus diftingués de fon parti. Lemarquis de Ribas fecrétaire d'Etat fous Charles II y affifta. C'était lui qui avait dresse le teftament de ce prince en faveur de Philippe V. Des cabales de cour l'avaient fait difgracier. On lui propofa de déclarer que le teftament avait été fuppofé; mais il ne voulut confentir à aucune déclaration qui pût affaiblir l'autozite de cet ade; ni les menaces ni les promeffes ne purent l'ébranler.

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que le maréchal de Vauban, le premier des ingénieurs, le meilleur des citoyens, homme toujours occupé de projets, les uns utiles, les autres peu praticables, & tous finguliers, propofa à la cour de France d'en- On propofe voyer Philippe V régner en Amérique; ce prince y Philippe Ven d'envoyer confentit. On l'eût fait embarquer avec les efpagnols Amerique. attachés à son parti. L'Espagne eût été abandonnée aux factions civiles. Le commerce du Pérou & du Mexique n'eût plus été que pour les Français ; & dans ce revers de la famille de Louis XIV, la France eût encore trouvé la grandeur. On délibéra fur ce projet à Versailles mais la conftance des Caftillans, & les fautes des ennemis, confervèrent la couronne à Philippe V. Les peuples aimaient dans Philippe le choix qu'ils avaient fait, & dans fa femme, fille du duc de Savoie, le foin qu'elle prenait de leur plaire, une intrépidité au-deffus de fon fexe, & une conftance agiffante dans le malheur. Elle allait elle-même de ville en ville animer les cœurs, exciter le zèle, & recevoir les dons que lui apportaient les peuples. Elle fournit ainfi à fon mari plus de deux cents. mille écus en trois femaines. Aucun des grands, qui avaient juré d'être fidelles, ne fut traître. Quand Galloway fit proclamer l'archiduc dans Madrid, on cria, vive Philippe ; & à Tolède, le peuple ému chaffa ceux qui avaient proclamé l'archiduc.

Les Espagnols avaient jufque-là fait peu d'efforts pour foutenir leur roi; ils en firent de prodigieux quand ils le virent abattu, & montrèrent en cette occafion une espèce de courage contraire à celui des autres peuples, qui commencent par de grands efforts, & qui fe rebutent. Il est difficile de donner

un roi à une nation malgré elle. Les Portugais, les Anglais, les Autrichiens, qui étaient en Espagne, furent harcelés par-tout, manquèrent de vivres, firent des fautes prefque toujours inévitables dans un pays étranger, & furent battus en détail. Enfin Philippe V Philippe V, trois mois après être forti de Madrid en rentre dans fugitif, y rentra triomphant, & fut reçu avec autant feptembre d'acclamations que fon rival avait éprouvé de froideur & de répugnance.

Madrid. 22

1706.

25 avril 1707.

Louis XIV redoubla fes efforts, quand il vit que les Espagnols en fefaient; & tandis qu'il veillait à la fureté de toutes les côtes fur l'Océan & fur la Méditerranée, en y plaçant des milices; tandis qu'il avait une armée en Flandre, une auprès de Strasbourg, un corps dans la Navarre, un dans le Rouffillon; il envoyait encore de nouvelles troupes au maréchal de Berwick dans la Caftille.

Ce fut avec ces troupes, fecondées des Efpagnols, que Berwick gagna la bataille importante d'Almanza fur Galloway. (3) Almanza, ville bâtie par les Maures, eft fur la frontière de Valence : cette belle province fut le prix de la victoire. Ni Philippe V ni l'archiduc ne furent préfens à cette journée; & c'eft fur quoi le fameux comte Péterboroug,

(3) Berwick avait commandé avec fuccès en Efpagne pendant l'année 1704. Des intrigues de cour le firent rappeler. Le maréchal de Teffé demandait un jour à la jeune reine pourquoi elle n'avait pas confervé un général dont les talens & la probité lui auraient été fi utiles. Que voulez-vous que je vous dife, répondit-elle, c'est un grand diable d'anglais, fec, qui va toujours tout droit devant lui. Dans la campagne que termina la bataille d'Almanza, Berwick était inftruit de l'état de l'armée alliée, & de fes projets, par un officier-général portugais qui, perfuadé que l'alliance du roi de Portugal avec l'empereur était contraire à fes vrais intérêts, le trahiffais par efprit de patriotisme. Mém. de Berwick.

fingulier en tout, s'écria qu'on était bien bon de fe battre pour eux. C'eft ce qu'il manda au maréchal de Teffe, & c'eft ce que je tiens de fa bouche. Il ajoutait qu'il n'y avait que des efclaves qui combattiffent pour un homme, & qu'il fallait combattre pour une nation. Le duc d'Orléans, qui voulait être à cette action, & qui devait commander en Espagne, n'arriva que le lendemain; mais il profita de la victoire il prit plufieurs places, & entr'autres

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Lérida, l'écueil du grand Condé. (4)

D'un autre côté, le maréchal de Villars, remis 22mai1707. en France à la tête des armées, uniquement parce qu'on avait befoin de lui, réparait en Allemagne le malheur de la journée d'Hochftet. Il avait forcé les lignes de Stolhoffen au-delà du Rhin, diffipé toutes les troupes ennemies, étendu les contributions à cinquante lieues à la ronde, pénétré jufqu'au Danube. Ce fuccès paffager fefait refpirer fur les frontières de l'Allemagne; mais en Italie tout était perdu. Le royaume de Naples fans défense, & accoutumé à changer de maître, était fous le joug des victorieux; & le pape, qui n'avait pu empêcher que les troupes allemandes paffaffent par fon territoire, voyait, fans ofer murmurer, que l'empereur fe fit fon vaffal malgré lui. C'eft un grand exemple de la force des opinions reçues & du pouvoir de la

(4) L'armée du duc d'Orléans prit auffi Saragoffe; lorsque les troupes françaises parurent à la vue de la ville, on fit accroire au peuple que ce camp qu'il voyait n'était pas un objet réel, mais une apparence caufée par un fortilège le clergé fe rendit proceffionnellement fur les murailles pour exorcifer ces fantômes ; & le peuple ne commença à croire qu'il était affiégé par une armée réelle, que lorfqu'il vit les houffards abattre quelques têtes. Mémoires de Berwick.

B &

du Dauphiné

coutume, qu'on puiffe toujours s'emparer de Naples fans confulter le pape, & qu'on n'ofe jamais lui en refufer l'hommage.

Pendant que le petit-fils de Louis XIV perdait Naples, l'aïeul était fur le point de perdre la frovence & le Dauphiné. Déjà le duc de Savoie & le prince Eugène y étaient entrés par le col de Tende. Les fron- Ces frontières n'étaient pas défendues comme le tières du côté font la Flandre & l'Alface, théâtre éternel de la toujours né-guerre, hériffé de citadelles que le danger avait gligées. averti d'élever. Point de pareilles précautions vers le Var, point de ces fortes places qui arrêtent l'ennemi, & qui donnent le temps d'affembler des armées. Cette frontière a été négligée jufqu'à nos jours, fans que peut-être on puisse en alléguer d'autre raison, finon que les hommes étendent rarement leurs foins de tous les côtés. Le roi de France voyait, avec une indignation douloureuse, que ce même duc de Savoie, qui un an auparavant n'avait prefque plus que fa capitale, & le prince Eugène, qui avait été élevé dans fa cour, fuffent prêts de lui enlever Toulon & Marfeille.

Août 1707.

Toulon était affiégé & preffé: une flotte anglaise, maîtreffe de la mer, était devant le port & le bombardait. Un peu plus de diligence, de précautions & de concert auraient fait tomber Toulon. Marseille fans défense n'aurait pas tenu; & il était vraisemblable que la France allait perdre deux provinces. Mais le vraisemblable n'arrive pas toujours. On eut le temps d'envoyer des fecours. On avait détaché des troupes de l'armée de Villars, dès que ces provinces avaient été menacées ; & on facrifia les

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