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Descartes ne les vantait pas moins. « Quelque dessein que j'aie en lisant ces lettres, soit que je les lise pour les examiner ou seulement pour me divertir, j'en retire toujours beaucoup de satisfaction; et bien loin d'y trouver quelque chose qui soit digne d'être repris, parmi tant de belles choses que j'y vois, j'ai de la peine à décider quelles sont celles qui méritent le plus de louange . » Bientôt on confondit le genre avec l'écrivain qui réussissait si bien au goût de son siècle, et Balzac fut appelé l'Épistolier, comme La Fontaine sera nommé plus tard le Fablier. Ce fut à qui obtiendrait la faveur de recevoir une de ces précieuses pièces d'éloquence. « Il est persécuté, s'écrie Balzac, parlant de lui-même, il est assassiné de civilités qui lui viennent des quatre parties du monde, et il y avait hier au soir, sur la table de sa chambre,

on sent percer le reproche), le sens clair et net, et les périodes accomplies de tous leurs membres... Vous seriez responsable devant Dieu si vous laissiez votre plume oisive, et vous la devez employer en de plus graves et de plus importants sujets. >>

Richelieu n'a point persisté, on le sait, dans cette estime, fondée, pourtant, du grand Epistolier, considéré uniquement comme écrivain. Balzac, pour suivre le conseil du ministre, composa le Prince et le lui envoya, en glissant par maladresse, dans l'épître dédicatoire, quelques allusions peu voilées aux démêlés de Richelieu et de Marie de Médicis. Le Cardinal se sentit blessé et il dit un jour à son favori Boisrobert, lié aussi d'amitié avec Balzac : <<< Votre ami est un étourdi. Qui lui a dit que je suis mal avec la reine mère? Je croyais qu'il eût du sens; mais ce n'est qu'un fat. » L'écrivain tombé ainsi en disgrâce ne se releva pas de ce coup, qu'il supporta noblement.

1 Cette lettre, écrite en latin et adressée à Balzac lui-même, est de 1658 elle est tout entière sur le ton de l'éloge. Descartes y décrit sa vie de savant et de philosophe, dans sa retraite d'Amsterdam.

cinquante lettres qui lui demandaient des réponses à être montrées, à ètre copiées, à être imprimées 1... >> Le patient se complaît trop à décrire son supplice pour queses plaintes soient sincères, et l'on sent que son prétendu martyre lui est bien doux. Écrire des lettres, non point pour y mettre une nouvelle, un récit, un sentiment, comme l'ont fait si excellemment Mme de Sévigné et Mme de Maintenon, mais pour faire parade de beau langage, telle fut l'œuvre capitale de la vie de Balzac, celle qui lui a procuré le plus de gloire chez ses contemporains et celle qui lui compte le moins au jugement de la postérité.

Ces trop nombreuses lettres sont de trois espèces. Il y en a de sérieuses, qui sont de véritables dissertations morales et politiques sur les grands événements contemporains. La paix, la guerre, les affaires de religion, les menaces de l'hérésie, la tenue des conclaves, la politique des princes, telles sont les graves questions qui y sont traitées. L'idée en avait été donnée par le cardinal de La Valette, «<lequellui avait commandé, écrit Balzac, de ne rien laisser passer dans le monde sans lui en écrire son sentiment et de faire des sujets de lettres de toutes les affaires publiques 2. » Il y a, mais en trop petit nombre, des

1 Entretien VII.

2 27 septembre 1621.

lettres familières adressées à des écrivains, en particulier à Chapelain et à Conrart, et qui roulent le plus souvent sur la littérature. C'est par ces deux amis, par Chapelain surtout, que l'ermite de la Charente, comme on appelait alors Balzac, restait en relations avec les beaux esprits et la société polie.

Enfin Balzac a excellé dans le talent frivole d'écrire à une personne pour le seul plaisir de lui adresser des choses aimables et flatteuses, et nul n'a tourné plus habilement un nombre plus considérable de compliments. » Jamais, dit M. Nisard, politesse ne fut plus féconde et plus ingénieuse que celle de Balzac ; jamais on ne déploya tant de ressources pour ne pas se copier, sans cependant être trop forcé. Il eut le génie de ces formules finales qui terminent toutes les lettres, et ce qu'il dépense d'esprit pour amener, de mille manières différentes et toutes spirituelles, l'inévitable votre très humble et très obéissant serviteur, est incroyable. » Il pousse à ses dernières limites l'art de dire pompeusement des riens; il rehausse des choses petites et insignifiantes par de grandes expressions, par des paroles magnifiques, et il les écrit sérieusement, sans se moquer de ses correspondants, qui acceptent non moins sérieusement ses étonnantes hyperboles.

Il dit au cardinal de La Valette, nouvellement nommé, qu'il vient de « quitter le deuil pour s'habiller

de la couleur des roses 1. Il écrit au grammairien Vaugelas : « Les reines viendront des extrémités du monde pour essayer le plaisir qu'il y a en votre conversation, et vous serez le troisième après Salomon et Alexandre, qui les aurez fait venir au bruit de votre vertu 2... » Il complimente Godeau, évêque de Grasse, sur une paraphrase des Épîtres de saint Paul : « Il n'y a plus de mérite à être dévot. La dévotion est une chose si agréable dans votre livre, que les profanes mêmes y prennent du goût, et vous avez trouvé l'invention de sauver les âmes par la volupté. Je n'en reçus jamais tant que depuis huit jours que vous me nourrissez des délices de l'ancienne Église, et que je fais festin dans les agapes de votre saint Paul. C'était un homme qui ne m'était pas inconnu : mais je vous avoue que je ne le connaissais que de vue.... Votre paraphrase m'a mis dans sa confidence et m'a donné part en ses secrets. J'étais de la basse-cour, je suis à cette heure du cabinet 3, etc., etc... >>

3

L'évêque d'Angoulême lui avait envoyé des confitures parfumées, et il l'en remercie en ces termes :

« Vous m'avez donné à pleines mains ce qu'on met avec épargne sur les autels, ce que les hommes comptent par

1 1er février 1621. 29 octobre 1625. 3 5 janvier 1633.

grains, et dont il n'y a que le roi de Tunis qui soit aussi mauvais ménager que vous. En effet, cette profusion d'odeurs étrangères que vous avez jetée dans vos confitures m'oblige de parler de la sorte, et de vous dire que si vous paissiez toutes vos brebis à ce prix-là, il n'y en aurait point en votre diocèse qui ne vous coutât davantage par jour que l'éléphant ne fait à son maître. Je vois donc bien, Monseigneur, que je suis la tête la plus chère que vous ayez sous votre conduite, et je ne recevrais pas de vous une nourriture si délicate et si précieuse que je la reçois, si votre affection ne vous faisait accroire que ma vie vaut plus que celle des autres, et qu'elle mérite, par conséquent, d'être plus soigneusement conservée 1. >>

Le penchant de Balzac à l'hyperbole était irrésistible. Bien averti de son défaut, il commence ainsi une de ses lettres à Chapelain : « J'ai renoncé solennellement à l'hyperbole. C'est un écueil que je ne regarde qu'en tremblant et que je crains plus que Scylle et Charybde 2... » Après cela, espérez encore une conversion. L'hyperbole lui avait joué pourtant plus d'un mauvais tour. Par exemple, elle le mena un jour jusqu'à dire à mademoiselle de Gournay en manière de compliment : « Depuis le temps qu'on vous loue, la chrétienté a changé dix fois de face 3.

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Le grand tort des lettres de Balzac est donc de manquer de vérité, de mesure et de naturel. On sent un homme de talent qui écrit pour écrire, pour

4 25 décembre 1626.

2 1er juillet 1640. 3 30 août 1624.

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